J’ai expliqué voilà quelques instants que le cœur du texte initial créant le délit de non-retrait ne constituait en aucun cas une atteinte à la liberté d’expression, laquelle ne doit pas être confondue avec la liberté de déverser des torrents de boue délictueux. Je n’y reviens donc pas.
Je voudrais seulement répondre à deux ou trois arguments que j’ai entendus au cours du débat, à commencer par l’argument d’autorité, utilisé larga manu depuis longtemps, selon lequel la version initiale du texte serait inconstitutionnelle et inconventionnelle.
Le Conseil d’État, que l’on sollicite un peu trop, souligne pourtant que ce délit « ne viendrait que donner une portée effective aux dispositions actuelles de la directive e-commerce » et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et « ne soulèverait pas de difficulté au regard du droit constitutionnel et des obligations conventionnelles de la France ». Il faut tout de même le dire à un moment ou à un autre.
De la même façon, en ce qui concerne la non-conformité au droit européen, je rappelle que la loi allemande, qui prévoit le même délit et va beaucoup plus loin que la loi française, a fait l’objet des mêmes critiques, mais n’a subi aucune censure de la part des instances européennes.
Comme M. Ouzoulias, je m’étonne de l’exclusion des moteurs de recherche du dispositif. Les plateformes publient les contenus haineux, les moteurs dirigent vers ces contenus ; ne sanctionner que les premiers revient à vouloir punir les producteurs de drogue sans inquiéter les dealers. Tout l’écosystème est concerné.
Je voudrais terminer sur une réflexion qui pourrait nous rassembler tous. J’entends les critiques expliquant que l’efficacité du texte initial est sujette à caution – l’avenir nous le dira. De la même façon, je reste convaincu que le texte du Sénat ne sera pas opérant. Nous pouvons toutefois nous accorder sur la certitude que le combat contre la dégradation de plus en plus inquiétante de ce magnifique outil que pourrait être internet sera long, difficile et incertain. Il nécessitera beaucoup d’autres propositions et beaucoup d’autres séances comme celle-ci. Arriverons-nous un jour à faire cesser les deux menaces fondamentales auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui : la diffusion généralisée de la haine et la déstabilisation inquiétante de notre démocratie ? La réponse précise, nette et définitive à cette question est : « Dieu seul le sait », mais cela ne doit pas nous empêcher de tenter ensemble de progresser.