Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 février 2020 à 9h45
Russie — Audition de M. Jean-Pierre Chevènement ancien ministre envoyé spécial du gouvernement

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement, envoyé spécial du Gouvernement pour la Russie :

Avant, Iyad Ag Kalhi fréquentait les boîtes de nuit à Paris, buvait du whisky, n'était pas l'islamiste qu'il est devenu. Cette affaire aurait pu être traitée plus légèrement... Puis Ansar Dine a basculé, direction Bamako. Et la décision d'intervenir a été prise, que j'ai approuvée à l'époque car nous ne pouvions pas réagir autrement.

Pour revenir à la Russie, elle est de nouveau présente en Afrique. Malgré leur legs historique, je ne pense pas qu'elle veuille récupérer la position qu'occupait l'Union soviétique, mais elle désire faire acte de présence, ne serait-ce que pour pouvoir négocier avec les uns ou les autres, être présente partout à faible coût. Je souhaite bien du plaisir aux Russes en République centrafricaine : entre les anti-balakas et les Sélékas, entre les pseudo-musulmans et les pseudo-chrétiens qui se tapent dessus, l'affaire est vraiment très difficile ! Nous avons essayé avec l'opération Sangaris de mettre un peu d'ordre, sans y être vraiment parvenus. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) connaît d'ailleurs des pertes, car dans ce pays sans État il y a beaucoup de coups d'État !

Sur les sanctions européennes, elles pourraient être levées s'il existe une volonté européenne, même sans unanimité. Jusqu'à présent, la levée des sanctions a été subordonnée à l'application des accords de Minsk, qui concernent l'Ukraine orientale et non la Crimée. Si l'on arrive à une solution, ce que je souhaite profondément, il faudra lever ces sanctions. Je crains que cela ne change rien malheureusement pour les entreprises françaises, car elles craignent non pas les sanctions européennes, mais les sanctions américaines, qui les astreignent à des amendes colossales. Je pense à Alstom, dont l'affaire a été décrite par M. Pierrucci dans son livre, et à BNP Paribas, condamnée à 9 milliards de dollars d'amende. Cette situation appelle à une grande vigilance de la part du Parlement et des pouvoirs publics : nous avons laissé se développer des comportements qui portent atteinte à notre souveraineté.

M. Vaugrenard a évoqué le sport et le dopage. Les sanctions doivent être appliquées. Il existe des frictions à l'intérieur de l'appareil d'État russe, et un nouveau ministre des sports a été désigné, l'ancien ayant été chassé.

Les sanctions sont un irritant de la relation franco-russe. Les Russes ont engagé une politique de diversification. Dans le domaine agroalimentaire, ils sont devenus le premier exportateur mondial de blé. Ils ont tiré bénéfice de ces sanctions. Globalement, ce que nous perdons est récupéré par la Chine et d'autres pays asiatiques, et même par les États-Unis, qui ont augmenté leurs parts de marché en Russie et vice-versa. On assiste à une forme de schizophrénie des Américains, très durs dans le langage, mais très tolérants dans les faits, surtout pour eux-mêmes ! General Electric a racheté les turbines d'Alstom, fabriquées à Belfort, et les Russes continuent pourtant à en acheter. Pour toutes les centrales qu'ils vendent à l'exportation, la partie conventionnelle est française. Au total, cela représente 1 à 2 milliards d'euros : nous ne sommes donc pas perdants sur tous les tableaux. Nous avons maintenu le contact, et j'y ai personnellement veillé, avec les autorités russes, pour que les équilibres soient préservés.

S'agissant de la dénatalité, le président Poutine, dans son discours du 15 janvier dernier, a fixé l'objectif de revenir à un taux de fécondité de 1,87, c'est-à-dire exactement le nôtre actuellement, à l'horizon 2024. La natalité russe était tombée très bas ; aujourd'hui, la Russie a un excédent naturel très faible, dû au vieillissement de la population. En France, notre natalité est passée de 820 000 naissances par an au début de la décennie 2010 à 750 000 aujourd'hui. Cela s'explique par la politique familiale, il faut en être conscient. Voulons-nous poursuivre sur cette pente de l'hiver démographique qui accable à peu près tous les pays européens ? Certains pays sont plus touchés que d'autres - je pense à l'Italie et l'Espagne, des pays catholiques curieusement. L'Allemagne, en revanche, compte plus de naissances que la France.

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