Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la péréquation est un bon sujet. Un sujet de débat, certes, mais l’essentiel à nos yeux est que la volonté de débattre ne se substitue pas durablement à la volonté d’agir en faveur de la péréquation. Or, sur ce terrain, la frilosité du Gouvernement et de sa majorité s’est vérifiée maintes fois ici même. Nous en avons fait le constat à plusieurs reprises, notamment lors de l’examen de notre proposition de loi sur le renforcement de la péréquation des ressources des collectivités, en 2007.
Pourtant, aujourd'hui, il y a urgence à agir ; deux raisons de fond le rappellent de manière lancinante.
La première raison de fond réside dans les risques de rupture d’égalité républicaine face aux services publics de proximité.
Depuis plusieurs années, les transferts de compétences diverses aux collectivités se sont multipliés, sans que les ressources correspondantes aient été octroyées à celles-ci pour la mise en œuvre de ces actions de service public déléguées.
Dans le cadre de l’acte II de la décentralisation de 2004, de nouvelles compétences sont chaque année transférées en nombre aux collectivités. Mais cette montée en puissance des compétences est mal compensée et se révèle, de ce point de vue, de plus en plus préjudiciable aux budgets locaux.
L’écart entre « décentralisation institutionnelle » et « décentralisation financière » aboutit à un « effet de ciseaux » pour les collectivités. À cet égard, je rappelle la menace financière qui pèse aujourd’hui sur les budgets de certains départements.
Par conséquent, sauf à laisser certaines collectivités hors de tout processus de développement local, la péréquation doit impérativement accompagner l’accroissement des compétences locales.
La deuxième raison de fond tient à l’injuste répartition des ressources et à l’iniquité fiscale.
Du fait de la diminution marquée de la part des ressources fiscales dans la structure du financement des collectivités territoriales, la fiscalité locale n’assure pas l’équité entre les collectivités sur le territoire.
Selon les conclusions des rapports officiels publiés au cours des derniers mois, il y a en France de fortes disparités de potentiel fiscal par habitant. Cela varie du simple au double pour les régions, du simple au quadruple pour les départements et de 1 à 1 000 pour les communes. C’est considérable ! La situation mérite incontestablement d’être corrigée.
Or aucune réforme ni correction n’ont été faites sur les bases d’imposition et sur le système de prélèvements fiscaux.
D’une manière générale, les ressources fiscales des collectivités locales, qui sont assises sur des bases obsolètes, apparaissent aujourd’hui en décalage avec la réalité des besoins générés par les compétences exercées et, surtout, ne reposent pas sur un dispositif de réelle justice fiscale.
Aussi la péréquation est-il le seul moyen de corriger de telles inégalités de traitement.
Au-delà de ces deux constats alarmants, on doit en outre faire état – c’est sans doute ce qui justifie notre débat d’aujourd'hui – d’une aggravation de la situation tenant à la loi de finances pour 2010.
Les différents rapports officiels de ces derniers mois ont apprécié l’effet de la suppression de la taxe professionnelle et du nouveau schéma local en matière de fiscalité. D’après ces rapports, la compensation par les dotations de l’État d’une partie de la perte de recettes liée à la réforme de la taxe professionnelle pourrait avoir pour inconvénient une réduction mécanique de la part de péréquation dans l’ensemble des dotations versées aux collectivités. Elle aurait surtout l’inconvénient de figer les rentes de situation dont bénéficient actuellement certaines collectivités en raison de leur assiette fiscale, la réforme de la taxe professionnelle pouvant même accroître certaines disparités existantes !
En outre, les simulations réalisées par le journal La Tribune – certains d’entre vous ont pu les consulter – ont montré à quel point la suppression de la taxe professionnelle et ses conséquences pouvaient contribuer, via les mécanismes de substitution, à enrichir les communes déjà riches et à appauvrir les communes déjà pauvres. Cela a été clairement établi.
Sur tous ces points, l’inaction du Gouvernement depuis l’adoption de la loi de finances pour 2010 reste troublante. Mis en garde contre le risque de « double peine » pour les territoires déjà fragilisés, le Gouvernement a, jusqu’à ce jour, fait le choix de rester inerte s’agissant du renforcement des politiques de péréquation.
J’ajoute que, avec les conséquences prévisibles de la réforme territoriale, ce sont une nouvelle fois les collectivités territoriales affaiblies qui ne seront plus en mesure de financer les équipements publics nécessaires à leur population. En définitive, plus le retard sera important en matière de péréquation, plus on perpétuera les écarts entre les territoires.
Que faire pour corriger les inégalités ?
Certes, les quelques réformes conduites ces dernières années ont modestement contribué à améliorer la situation. Je pense à la légère augmentation de la part « péréquatrice » de la DGF, qui est passée de 12, 3 % à 16, 5 %. Je pense également à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, qui a été abondée depuis 2005 par la loi de programmation pour la cohésion sociale. Je pense, enfin, à la dotation de solidarité communautaire, qui, depuis la « loi Chevènement », offre quelques possibilités de partage et une forme de solidarité à l’échelle de l’intercommunalité.
Cependant, malgré la mise en œuvre de ces correctifs, l’efficacité péréquatrice stagne en France, comme en témoignent les travaux des professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant.
On est donc en droit de se demander pourquoi le gouvernement français ne se montre pas capable d’honorer les promesses péréquatrices maintes fois formulées depuis 2002.
À cet égard, madame la ministre, je note que vos propositions correspondent simplement à une volonté de corriger les effets réducteurs ou néfastes de la réforme introduite par la loi de finances pour 2010. Il s’agit non pas d’améliorer la péréquation, mais de corriger les effets pervers du dispositif prévu par le budget de 2010.
En bref, vous avez cassé la porcelaine et vous cédez maintenant sous le poids des revendications des élus de la majorité, qui se sont plaints ici même, aux mois de novembre et de décembre derniers. Ils ont demandé l’instauration d’une clause de revoyure sur la péréquation mise en œuvre de façon totalement inégalitaire dans la loi de finances pour 2010.
Les modifications proposées aujourd'hui visent à répondre à leurs attentes, mais n’améliorent en rien la péréquation dans notre pays, contrairement à ce qui avait été clairement annoncé lors de l’examen du projet de loi de décentralisation, lequel prévoyait l’adoption d’une loi organique à cette fin.
Pourquoi le Gouvernement se satisfait-il de ces résultats ? Est-ce de l’ordre du renoncement ? Est-ce délibéré ? Est-ce une façon de se conformer à l’idéologie du « chacun pour soi » ? Les clauses de revoyure devaient mettre en place de nouveaux mécanismes de péréquation. Comme moi, vous constatez, mes chers collègues, que les propositions faites sont très modestes sur ce plan !
Pour conclure, je rappelle que nous avons débattu au sein de notre assemblée de propositions visant à améliorer la péréquation. Or elles ont toujours été rejetées, ce qui est regrettable. Nous avons mis en avant la nécessité de prévoir une DGF améliorée, une CSG départementale ainsi qu’une intégration du revenu pour la fiscalité locale. Toutes ces mesures, jusqu’à présent, ont été remises à plus tard.
Dans ces conditions, nous sommes aujourd'hui insatisfaits des propositions qui nous sont faites. Nous avons bien conscience que la réforme des finances locales dans notre pays était le premier volet de la réforme territoriale qui est en train de se mettre en place. Il s’agissait essentiellement de mettre au pas les collectivités, de geler leurs ressources, de limiter les possibilités de péréquation. La réforme territoriale, véritable reprise en main politique des territoires, contribuera à accentuer encore la situation de blocage, ce qui est regrettable !