« Plus c'est moche, moins on vote. » Je suis comme tout le monde, je n'ai pas beaucoup de certitudes. Mais moi qui travaille sur le Grand Paris depuis 1981 - à l'appel impératif et muet de la victoire de François Mitterrand, j'ai lancé le mouvement Banlieues 89 et annoncé que la grande vision du septennat serait les banlieues ; puis, en 1983, un premier plan a été remis après que l'association a organisé une visite en banlieue du Président de la République, en lui faisant visiter 4 000 logements géniaux à Châtenay-Malabry et 4 000 logements ignobles à La Courneuve -, j'ai deux preuves qui me permettent d'avancer une telle affirmation.
Première preuve : dans le cadre de Banlieues 89, nous avions lancé des projets dans toutes les villes de banlieue. Au bout de 100 projets, nous avions constaté que, dans les quartiers concernés, partout où les maires, qu'ils soient de droite ou de gauche, menaient un important travail urbain, le vote en faveur du Front national baissait de 30 %. Mais cette nouvelle, qui me fit entrer triomphal dans le bureau de François Mitterrand, n'arrangeait pas le Président, alors, comme par hasard, les crédits ont disparu et tout s'est arrêté !
Deuxième preuve, plus personnelle : au moment des émeutes de 2005 - un véritable état de guerre -, il ne se passa rien dans les dix villes où j'avais mené des projets de transformation de quartiers. Or, à l'époque, les gens s'en sont pris au centre commercial, à la cafétéria, à l'école près de chez eux ; ils s'en sont pris à eux-mêmes... Cela prouve bien que la beauté pacifie.
Ces quelques preuves m'ont conforté dans mes certitudes sur le rapport qui existe entre désenclavement, beauté des lieux, citoyenneté et citadinité.
Dans le rapport que j'ai remis au Président de la République - j'en suis à mon troisième président : François Mitterrand ; Nicolas Sarkozy, qui a eu la grande intelligence de relancer le Grand Paris ; Emmanuel Macron aujourd'hui -, je crois avoir trouvé une orientation intéressante. Pour résumer, il me semble que le général de Gaulle, en partenariat avec les communistes, a commis une énorme bêtise en supprimant le département de la Seine. Celui-ci permettait, à l'époque d'Henri Sellier, de prendre de l'argent au centre de Paris pour créer les cités-jardins, qui sont parmi l'habitat le plus beau qui ait jamais été réalisé en matière d'habitat social. En outre, cette disparition a conduit à la création de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, pratiquement un département sécessionniste, dans une sorte de tentative de fabriquer un Grand Paris des riches en allant vers l'ouest.
Dans mon rapport, je propose donc de bien identifier ce qui peut être fait par l'État, par les maires et par les citoyens.
L'État doit casser les corporatismes et, sur un certain nombre de sujets, donner des ordres sans rechercher la concertation. Il faut virer les militaires des forts, les plus beaux lieux de mise en scène de la métropole. Il faut exiger du port autonome qu'il ne soit plus autonome et qu'enfin on laisse des bateaux-bus circuler sur la Seine.
Les maires doivent créer des coalitions par projets. Prenons l'exemple des ponts : il y en a un tous les 300 mètres dans Paris et un tous les 4 kilomètres en banlieue ; tous les maires de la communauté d'agglomération Seine Amont devraient s'unir autour de cette question. Il faut aussi créer des chaînes de maires autour de la question des grands aéroports, des promontoires ou encore de l'A86, un projet qui me tient à coeur.
Les citoyens, enfin. Un travail immense doit être réalisé autour de la fabrication d'une oasis métropolitaine. Des choses merveilleuses se font en ce sens à la Ville de Paris, comme par exemple le permis de planter.
En combinant ces éléments, je suis à peu près certain que l'on peut élaborer des projets.
Je ne me prononcerai pas sur les questions institutionnelles. J'indiquerai juste que la métropole est trop petite à mon sens - elle doit être agrandie à la « zone dense », telle que définie par l'Insee - et qu'il faut une élection au suffrage universel. Sans cela, il n'y aura pas de projet de Grand Paris multipolaire tel que je l'imagine. Car il faut se projeter un peu ! À Issy-les-Moulineaux, on trouve des bâtiments industriels en bord de Seine, des grands bureaux et des logements. C'est très beau ! Il faut imaginer que le port de Paris, après qu'on ait mis fin à son autonomie, puisse être ainsi !
Pour « fabriquer » tout cela, je rêverais de réunir au Cirque d'hiver les 450 maires de la zone dense ; de réunir à la U-Arena les 450 services des parcs et jardins. L'une des deux actions publiques menées dans le cadre de l'élaboration de mon rapport a consisté à réunir les services des parcs et jardins sans les élus. C'était formidable de voir comment des équipes qui ne se parlaient jamais découvraient des connexions entre elles.
Il faut aussi que les architectes arrêtent de se battre entre eux lorsqu'ils interviennent sur le même quartier. Chez eux aussi, on trouve des trésors de citoyenneté active, mais le système de concours et de mise en compétition perpétuelle crée des haines et des antagonismes. C'est une question très sérieuse : ces intellectuels, qui sont des fabricants, représentent une force formidable pour la société française, et cette force est « tuée » par le système de la commande publique. C'est pourquoi, dans mon rapport, je mets en avant la notion de « scénariste urbain ». Tout le monde doit pouvoir devenir scénariste urbain !