Je ne suis l'auteure d'aucun ouvrage, mais je favorise l'élaboration de milliers de documents et d'informations ayant permis de partager une connaissance qui n'existait pas jusqu'à présent. L'atelier oeuvre à la révélation, depuis une dizaine d'années, d'un territoire dont on parlait assez peu en tant que tel.
Si l'on regarde d'abord l'histoire à grande échelle, il est étonnant de constater que la suppression du département de la Seine, évoquée par Roland Castro, a coïncidé avec la création de la région urbaine lyonnaise. Quarante ans pour démolir ou quarante ans pour construire ! C'est important à souligner, car on a certaines difficultés, aujourd'hui, à appréhender la lenteur et à travailler dans le temps long.
Paul Delouvrier a créé une rupture. Il a fait construire les villes nouvelles, le RER, et a laissé le centre, la métropole actuelle, vivre sa vie, qui s'est accélérée avec la décentralisation de 1983. Un système urbain polycentrique très équipé s'est installé durant cette période, accentué par un retour à la ville dû au ralentissement de l'économie.
L'idée d'un réseau de transport en rocade est apparue, en 1994, dans le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU). Reprise par certains élus, en particulier du Val-de-Marne, elle ne figurait néanmoins plus dans le schéma directeur de la région d'Île-de-France (SDRIF) en cours d'élaboration. On en est ainsi arrivé à la situation paradoxale dans laquelle un SDRIF était élaboré et mené à terme, alors que l'État prenait à son tour la décision de mettre en place un réseau de transport. Cela doit nous interpeller sur le temps que nous consacrons aux documents de planification, à la valeur que nous leur accordons et à l'usage que nous en faisons.
On en arrive ainsi au réseau du Grand Paris Express, un réseau de métro, paradoxalement doté de gares - pas de stations -, elles-mêmes conçues de manière à créer des identités hyperlocales et non forcément comme des lieux de connexion et de développement. Chaque maire a créé son comité de pôle et, alors que ces comités s'enchaînent les uns aux autres, ils ne discutent pas entre eux.
Parallèlement, le système métropolitain s'est installé tant bien que mal, avec des Établissements publics territoriaux (EPT) ayant à charge la mise en place de plans locaux d'urbanisme. Pourtant, les responsables locaux prochainement élus, par effet collatéral ou de ricochet, verront en six ans leur territoire connaître le même bouleversement qu'au temps des annexions du baron Haussmann, avec la particularité que le Grand Paris Express est un réseau en rocade, en interconnexion, et qu'il s'installe dans une zone déjà bâtie.
C'est ainsi ! Désormais, il faut se projeter, mais en gardant en tête l'idée de réparation. Or la planification normative ne permet pas cette réparation, car elle enferme tout dans des présupposés.
Pour le stationnement, par exemple, la situation est complexe du fait de la faiblesse de l'espace public dans la zone du Grand Paris - 10 à 15 % de surface d'espace public, contre 28 % dans Paris. Il y a peu de rues, tout le monde veut les utiliser et, plus on a de stationnements en ouvrage, plus elles sont sollicitées. Or, dans les plans de planification, on manque d'information sur les stationnements existants ou en ouvrage.
Prenons la question de la nature et de la beauté. Je suis frappée de la beauté de la Nationale 20 au niveau de Bourg-la-Reine, et l'on sait que là où l'on dispose d'alignements d'arbres, de beaux espaces, les valeurs foncières sont plus élevées. Pourquoi ne le fait-on pas partout ? Il n'y a pas de programmes de verdissement dans les plans locaux d'urbanisme. Le SDRIF prévoit 10 mètres carrés d'espace vert par habitant... Si on les met tous dans la forêt de Pierrelaye, il y a peu de chance que l'on en soit satisfait à Montrouge ou Gentilly ! Dans le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) en cours d'élaboration, nous avons donc prévu un espace vert public à moins de 10 minutes à pied pour tous les habitants.
Ainsi, dans un certain nombre de domaines, il faut trouver des outils pour aller vite. Nous avons six ans pour mettre en place un système de conversation pouvant s'affranchir de certaines prescriptions, avec des périmètres à géométrie variable en fonction des thèmes traités.
Prenons l'exemple du rez-de-chaussée actif, qui emporte l'adhésion générale car il permet une forme d'intensification de la vie. C'est le cas sur les grands axes, comme l'ex-Nationale 34 traversant Nogent-sur-Marne, sur laquelle nous avons mené un travail particulier intégrant la dimension de l'habitat pavillonnaire. Ce dernier, qui représente 11 % de l'habitat et 40 % du territoire, est une valeur de la métropole et la distingue des villes nouvelles, expliquant que, si la première et les secondes ne peuvent se penser indépendamment, elles n'exigent pas forcément les mêmes remèdes.
Par ailleurs, l'Établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) gèrent beaucoup d'argent, mais ces outils ne sont structurés ni pour produire la beauté et la mutation dont nous avons besoin, ni pour répondre à certains enjeux actuels, comme le nombre élevé de quartiers classés en politique de la ville dans la métropole, les zones de vieillissement de l'habitat pavillonnaire ou les questions liées à la paupérisation et aux marchands de sommeil.
S'agissant du crumble et du millefeuille, je vois une différence : un millefeuille est « foutu » dès qu'on le coupe, un crumble reste un crumble jusqu'à ce qu'on ait fini de le manger. La ville est un ensemble complexe ; il faut la gérer dans toute sa complexité. C'est ce qui la rend belle. Depuis 160 ans, Paris subit toutes les expérimentations urbaines de la planète. Cela lui donne une épaisseur - heureuse - que n'a pas une ville nouvelle ou une ville comme La Courneuve, n'ayant connu qu'une seule histoire. Cette complexité n'est donc pas un problème et nous disposons d'outils pour l'aborder.