Intervention de Jean Bizet

Délégation aux entreprises — Réunion du 16 juillet 2019 à 14h45
Réunion conjointe de la délégation aux entreprises et du groupe interparlementaire d'amitié france-royaume-uni : échanges avec une délégation de parlementaires britanniques du groupe d'amitié royaume-uni-france sur les conséquences du brexit pour les entreprises

Photo de Jean BizetJean Bizet, sénateur, président de la commission des affaires européennes :

Après quatre décennies d'échanges au sein du marché unique européen, devenu le premier marché économique mondial grâce à la fluidité dont il bénéficiait, la filière automobile est devenue européenne. Tel n'aurait pas pu être le cas si l'économie européenne n'avait pas été bâtie sur la fluidité des échanges entre la Grande-Bretagne et les 27 autres États membres. Demain, la question se posera de savoir si nos amis britanniques souhaitent conserver des normes identiques. J'ignore quel sera l'accord de libre-échange qui nous liera au-delà du 31 octobre 2019. J'ignore quelle sera la position de Boris Johnson. Elle pourra évoluer d'un jour à l'autre, voire dans la même journée. Si je fais référence aux décisions du sommet du mois de juillet 2018, je vous rappelle qu'il avait été clairement indiqué que la Grande-Bretagne souhaitait une sortie de l'Europe pour pratiquer du dumping (dumping fiscal, dumping environnemental, dumping social). Or, celui qui maîtrise les normes maîtrise le commerce. Les relations se tendront entre la Grande-Bretagne et les 27, au détriment de la fluidité. La situation sera dramatique.

Nous voyons déjà l'annonce d'une baisse de l'impôt sur les sociétés. Certes, cette décision incitera les autres États à agir de même au bénéfice des entreprises. En revanche, aller au-delà sur un certain nombre de normes suscitera nécessairement des crispations et fera disparaître la fluidité actuelle. Dès lors, l'ensemble des acteurs seront fragilisés. J'invite par conséquent nos amis britanniques à élever le débat sur le sujet. Nous souhaiterions par exemple une union douanière étroite, qui solutionnerait la difficulté de la frontière entre l'Ulster et la République d'Irlande. Au-delà, tout pourra se construire dans le temps.

Pour terminer sur une note positive, il n'est pas impossible que la Grande-Bretagne ait ouvert la voie à une autre façon d'appréhender l'Europe. Nos amis anglais resteront toujours situés à quelques miles nautiques des côtes françaises. Sur un certain nombre de points, ils resteront un partenaire privilégié. Du côté des Balkans, six pays frappent à la porte de l'Union européenne, sans y être prêts. Je ne trouve ainsi qu'une conclusion, celle d'une Europe à plusieurs cercles. Je n'emploie pas le terme d'Europe à « plusieurs vitesses », qui heurte davantage.

Peu importe cependant la sémantique : sans cette approche, l'Europe sortira de l'Histoire, pour ne plus être que la spectatrice d'une guerre technologique entre les États-Unis et la Chine. La balle est désormais dans le camp de nos amis anglais. Je les invite à éviter le dumping. En effet, les normes ne pourront pas suivre. Par exemple, le Royaume-Uni souhaite déjà des accords de libre-échange avec les États-Unis. Or, les produits américains agroalimentaires, globalement, ne correspondent pas aux préférences collectives européennes. Il est préférable de se donner trois ou quatre ans au-delà du 31 octobre 2019, sauf à voir le Royaume-Uni révoquer l'article 50 de son propre chef. Vous en avez la possibilité. De notre côté, nous ne ferons pas l'économie de repenser le fonctionnement de l'Union européenne, sous peine de voir l'Europe disparaître.

Sir Edward Leigh. - Je me félicite du grand nombre de personnes présentes aujourd'hui représentant le monde de l'entreprise. Les politiques ont tendance à élucubrer quand les acteurs du monde de l'entreprise sont plus concrets. Je suis membre du conseil d'administration d'une banque de la City. Nous possédions une succursale de petite taille à Paris qui est sur le point de devenir une grande succursale. Le Brexit est appelé à se dérouler. Nous ne pouvons pas ignorer un mandat démocratique de cette ampleur : 17 millions de personnes se sont prononcées en faveur du Brexit. Si nous l'ignorons, les partis traditionnels existants dans le monde politique britannique seront dévastés. De leur côté, les pêcheurs et les personnes du monde de l'entreprise trouveront une façon d'aller de l'avant. Je ne doute pas que l'impôt sur les sociétés diminuera. Je peux vous rassurer en revanche quant à l'idée selon laquelle le gouvernement britannique irait vers un dumping. Il est question en effet de normes internationales. Je ne peux certes pas parler au nom de mes collègues travaillistes. Le gouvernement conservateur a en revanche annoncé qu'il ne diminuerait pas les normes. Je pense par conséquent que nous pouvons rester positifs.

Ma question est la suivante. Je fais partie d'un groupe numériquement très important qui travaille pour tenter d'améliorer et de garantir le statut des citoyens européens qui vivent à Londres et au Royaume-Uni. Nous rencontrerons Michel Barnier vendredi prochain. Nous lui demanderons de retirer la partie de l'accord de retrait relatif au statut des citoyens européens. Les personnes résidant déjà au Royaume-Uni pourraient ainsi conserver les droits qui leur sont dus et il en irait de même pour les résidents britanniques en France. Jusqu'à présent, Michel Barnier n'était pas disposé à répondre favorablement. Quelle est la position du Sénat français sur le sujet ?

Lord Paul Murphy. - La proposition précédente est intéressante. Je serais d'accord si je pensais qu'elle était possible. Néanmoins, l'Europe ne peut pas choisir les morceaux de l'accord avec lesquels elle est d'accord et les morceaux de l'accord avec lesquels elle n'est pas d'accord. Au bout du compte, l'accord serait en effet moribond. La seule alternative est constituée d'une part d'un nouvel accord, d'autre part, plus probablement, d'une sortie sans accord. L'incertitude est grande aujourd'hui. La situation est si peu claire et incertaine que l'activité économique montrera finalement le chemin aux politiques. Ce scénario n'est certes pas optimiste. Nous ne vivons pas cependant des heures pouvant inciter à l'optimisme.

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