Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis trop d’années maintenant, les collectivités locales doivent faire face à des contraintes de plus en plus lourdes, dont elles peinent à s’acquitter, le plus souvent en raison de certaines défaillances de l’État. Plusieurs raisons expliquent les difficultés que nombre de maires doivent aujourd’hui affronter.
En premier lieu, les dernières lois de décentralisation n’ont pas permis de compenser à due concurrence le transfert des compétences de l’État aux collectivités locales.
Le désengagement de l’État s’est ainsi nettement accentué, tant pour des raisons budgétaires – nous le constatons chaque année lors des débats que nous avons ici même au sujet de la dotation globale de fonctionnement – que pour des raisons politiques, dès lors que l’État ne veut plus fournir les services et prestations qui répondent aux besoins et aux attentes de nos concitoyens, notamment dans les territoires en difficulté.
Le dogme de la révision générale des politiques publiques fait manifestement du mal à nos collectivités !
Ce désengagement de l’État contraint les collectivités territoriales à se substituer à lui pour assumer des missions menacées par l’évaporation des services déconcentrés et des services publics de proximité – la sécurité en est un des exemples les plus frappants –, le tout dans un contexte de crise financière, de réduction des recettes, mais aussi de perte progressive d’autonomie financière.
En second lieu, le poids ainsi que la structure des dépenses locales restent un problème majeur. De l’ordre de près de 203 milliards d’euros par an, ces dépenses ne cessent de croître.
C’est dans ce contexte troublé que le Gouvernement a imposé aux collectivités territoriales, il y a exactement un an, la suppression de la taxe professionnelle. Cette réforme, menée à la hussarde, a pourtant un impact sur l’ensemble du système de financement des collectivités : en particulier, sur le rendement des impôts, le fonctionnement des fonds de péréquation et les modalités de répartition des dotations.
À ce dispositif s’est substituée la contribution économique territoriale, la CET, née dans la douleur. Or nous ne connaissons toujours pas, à ce jour, les modalités exactes de sa mise en œuvre. Le débat qui s’est tenu ici le 28 juin dernier sur la proposition de résolution relative à la contribution économique territoriale a démontré, s’il le fallait encore, que les malfaçons originelles de cette réforme menée sans concertation font peser de lourdes contraintes de financement sur les collectivités territoriales les plus fragiles, à commencer par les communes rurales.
L’écran de fumée du rapport Durieux n’a pas masqué l’embarras du Gouvernement quant à la « clause de revoyure » que le Sénat, rappelons-le, avait introduite dans la loi de finances pour 2010, et nous attendons toujours des simulations précises et sincères des recettes de chaque catégorie de collectivités, une estimation de leur variation à court, moyen et long termes, ainsi que de l’évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages. Comprenez, madame la ministre, que l’enjeu est vital pour les collectivités locales, à commencer par les plus petites et les plus fragiles !
Certes, la suppression de la taxe professionnelle a été voulue pour soutenir la compétitivité des entreprises : malheureusement, cet effort a été réalisé sans réelle prise en compte de ses implications pour les collectivités locales. Pour autant, le lien entre les entreprises et les territoires demeure trop distendu.
Sur ce point, les critères de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, c'est-à-dire en proportion des effectifs employés dans chaque commune par chacune des entreprises soumises à imposition, souffrent d’une trop grande imprécision pour assurer une prise en compte des charges réellement supportées par les collectivités locales. Cette situation aboutit à affaiblissement du lien entre les entreprises et leur territoire, qu’il faudrait au contraire renforcer, notamment pour mieux tenir compte des grandes installations industrielles implantées postérieurement à la réforme.
Le dispositif mis en place par la réforme se situe dans la longue tradition de complexité des finances locales, alors qu’on nous promettait une simplification. Les conditions de l’intéressement des collectivités territoriales à l’implantation des entreprises, clairement définies sous le régime précédent – c’était un de ses mérites ! –, ne nous semblent, à ce stade, que vagues et théoriques.
On nous avait assuré que la suppression de la taxe professionnelle ne porterait en aucun cas atteinte à la capacité des collectivités locales d’exercer leurs prérogatives.
On nous avait également assuré que, en cas de déficience budgétaire locale, l’État se porterait garant, et ce malgré la situation déficitaire des finances de l’État.
On nous avait enfin assuré que la réforme allait entraîner une diminution des délocalisations et une hausse de l’activité des entreprises sur l’ensemble de nos territoires.
Sur ces trois promesses, il y a loin de la coupe aux lèvres !
La suppression de la taxe professionnelle ne corrige en fin de compte que très partiellement les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales. Pis encore, elle permet à l’État de grignoter toujours plus leur autonomie financière, si chèrement acquise il y a plus de vingt-cinq ans, et même constitutionnalisée en 2003. Enfin, la croissance en berne et les mauvais chiffres estivaux du chômage ne nous permettent pas d’apprécier objectivement l’impact global de la réforme sur notre économie à l’aube de l’année 2011.
Au vu de ces considérations, l’ampleur des disparités de richesse fiscale entre collectivités locales rend indispensable l’adoption de mesures énergiques pour améliorer enfin notre système de péréquation. À notre sens, la péréquation doit porter sur l’ensemble de la fiscalité et non pas seulement sur les recettes issues de la fiscalité touchant les entreprises, comme c’est aujourd’hui le cas avec les prélèvements sur stocks et sur flux opérés au titre de la CVAE.
Il est indéniable que la fiscalité locale est peu lisible, économiquement peu efficace et socialement non redistributive ; j’en veux pour exemple la taxe d’habitation, qui est comparativement plus lourde pour les ménages modestes ou moyens que pour les ménages aisés. Pourquoi ne pas amorcer une réflexion approfondie sur l’introduction de la progressivité dans la fiscalité locale ? Pourquoi ne pas également revoir la définition du potentiel fiscal ?
En toute hypothèse, c’est au niveau communal que se révèlent les disparités de richesse les plus grandes, avec un écart de l’ordre de 1 à 1 000. Or il paraît d’ores et déjà indispensable de sanctuariser en 2011 les dotations allouées aux communes au titre du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.
Il est également vital de faire porter les efforts de péréquation sur l’ensemble des groupements de communes. L’achèvement de l’intercommunalité à l’horizon de 2013, objectif fixé par le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, doit être l’occasion de concevoir une véritable solidarité intercommunautaire. Le développement soutenu de l’intercommunalité dans les années 2000 ne s’est pas accompagné, hélas, de cette réflexion, alors même que les compétences des EPCI se sont considérablement élargies et que les inégalités se sont aggravées entre eux.
Face à ce constat, vous ne proposez rien de moins que de limiter les cofinancements, pourtant indispensables aux communes modestes ou défavorisées.
Parallèlement, les dispositifs de péréquation régionale et départementale, mais aussi entre les communes et les intercommunalités, ne sont toujours pas opérationnels aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, les élus locaux nous font part de leurs très vives et légitimes inquiétudes quant aux conditions dans lesquelles ils pourront assurer le prochain exercice budgétaire. Beaucoup se demandent aussi quel sort sera réservé aux ressources prévues, notamment celles qui proviennent du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.
Cette réforme mal conçue entraîne donc des effets inverses de ceux qui étaient escomptés : ne pouvant agir rapidement sur les frais de fonctionnement, les collectivités en difficulté sont contraintes de geler leurs investissements, pourtant essentiels au bon fonctionnement des services publics locaux.
En dépit de l’attention que les élus locaux portent à l’évolution de leurs dépenses, l’optimisation des moyens des collectivités locales constitue un enjeu plus que jamais capital.
En fin de compte, la définition d’un niveau optimal de péréquation, évalué de façon objective, s’avère indispensable. Sur ce point, la péréquation de la fiscalité économique paraît particulièrement adaptée, grâce au dynamisme de l’assiette que représente la valeur ajoutée des entreprises. Ce niveau optimal devra combiner au moins deux exigences pour être réellement efficace : d’une part, un niveau élevé de prélèvement, pour éviter tout effet de saupoudrage ; d’autre part, le renforcement de la territorialisation de la CVAE.