Intervention de Roxana Maracineanu

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 février 2020 à 11:5
Violences sexuelles dans le sport — Audition de Mme Roxana Maracineanu ministre des sports

Roxana Maracineanu, ministre des sports :

Je vous remercie d'avoir organisé cette audition et du soutien transpartisan que vous exprimez sur cette question.

Vendredi dernier, lors de la Convention nationale de prévention des violences dans le sport, j'ai reçu de nombreux témoignages de soutien, à l'instar de ce qui s'est passé lors des révélations par la presse de crimes anciens ou actuels. Il faut savoir que ce qui paraît dans la presse représente environ 25 % des témoignages qui arrivent au ministère des sports. Je remercie d'ailleurs la presse de s'être saisie de ce sujet, ce qui a permis de libérer la parole.

J'ai pris connaissance du rapport d'information du Sénat sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, qui dépasse le monde sportif. C'est un excellent travail, qui m'a beaucoup appris. Cela fait écho à ce que j'ai pu entendre sur le terrain, depuis que ces affaires ont été révélées. Votre travail et celui que nous réalisons aujourd'hui ont un vrai effet dans les territoires : en entendant parler de ces cas dans la presse ou par notre voix, certaines femmes - pas nécessairement des sportives - sont à même de se rappeler ce qu'elles ont vécu. Aujourd'hui, elles se font suivre par des psychologues et arrivent à vivre leur statut de victime la tête haute, au sein de leur famille et auprès de leurs amis.

Je suis sûre que cet élan a été entendu par les victimes. Dans le domaine du sport, nous avons pu l'entendre vendredi dernier, lorsque nous avons réuni les fédérations. Comme l'a déclaré le président de la Fédération française de tennis au cours de son intervention, il s'agit de permettre une véritable catharsis, aussi bien pour les fédérations et le ministère des sports que pour tous les acteurs présents, y compris les victimes.

Il est important de déconstruire avant de construire autre chose. Beaucoup a été entendu, mais beaucoup aussi a été tu. Nombreux sont ceux, et j'en fais partie, qui n'ont pas pris la mesure de ce qu'ils ont lu et entendu. Il nous fallait partager en quelque sorte cette culpabilité commune avant d'aborder une nouvelle étape. Il ne faut pas renoncer à se mobiliser, au prétexte que cela pourrait nuire à l'image du sport ou que notre pays accueille les jeux Olympiques dans quatre ans. De mon point de vue, la parole doit surgir : ce qui doit primer, c'est d'entendre les victimes.

Vous le savez, j'ai été sportive de haut niveau et je suis une amoureuse du sport, des exploits et de la performance. Pour autant, pour moi, au-delà de la performance, ce qui compte, c'est la recherche de la performance et les progrès qu'elle permet. C'est valable pour les sportifs de haut niveau comme pour les sportifs du quotidien. Je suis intimement persuadée des vertus que le sport peut offrir à ses pratiquants.

Pour que l'individu puisse s'épanouir grâce au sport, s'émanciper et devenir autonome, il doit être accompagné par quelqu'un qui, avant tout, a un geste éducatif et qui n'est pas animé par un désir de possession ou la volonté d'exercer une emprise ou une forme de pouvoir.

Parce que j'avais connu ou vécu des expériences dans le domaine de la natation qui pouvaient s'apparenter davantage à des relations d'emprise qu'à des relations éducatives et d'émancipation de l'individu au nom de la performance, dès mon arrivée au ministère, j'ai voulu mettre en avant cet aspect en proposant une formation aux éducateurs. Il s'agit de remettre la dimension éducative au coeur de la formation des éducateurs devant la recherche de performances.

Fréquentant par ailleurs les associations sportives dans lesquelles j'ai voulu inscrire mes enfants, j'ai eu la surprise de découvrir autour de moi quelques cas importants, même s'ils n'avaient pas l'ampleur de ceux qui ont été révélés par la presse, à l'échelle de trois petites villes. Cela m'était déjà arrivé lorsque j'étais éducatrice.

Par conséquent, je ne pouvais pas dire que de telles pratiques n'existaient pas aussi dans le sport ! Au-delà des belles images de performance qui sont véhiculées à la télévision, le sport est un système social à l'intérieur d'un autre système social, avec ses qualités et ses défaillances. Les violences, les addictions, les discriminations ou l'homophobie qui existent dans la société se trouvent également dans le monde sportif ; il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement. Se retrancher derrière une image positive ou d'exemplarité revient à se voiler la face.

Vers la fin de l'année 2018, j'ai découvert qu'une expérimentation avait lieu au sein de la Ligue de football de la région Centre Val-de-Loire, en lien avec nos services déconcentrés, visant à contrôler l'honorabilité des 10 000 bénévoles éducateurs au contact des enfants dans ce territoire. Il m'a paru intéressant et important d'accélérer cette expérimentation, d'examiner également ce qu'impliquerait la création d'un fichier à l'échelle d'un territoire, puis à l'échelle d'une fédération, et de réfléchir à la façon de le généraliser.

Nous avons lancé cette expérimentation en même temps que nous lancions un tour de France aux côtés de l'association « Colosse aux pieds d'argile ». Sébastien Boueilh, son président, est intervenu auprès de différents établissements - l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (Creps), l'École nationale de voile et des sports nautiques, etc. - pour prendre la mesure du phénomène. Il m'a informée que, chaque fois, au moins une dizaine de jeunes venaient à lui, plus de la moitié lui parlant de faits se déroulant non pas dans le milieu sportif, mais plutôt dans le milieu familial ou ailleurs. J'ai pris conscience de la dimension que pouvait avoir le sport dans la protection de l'enfance.

À sa nomination en tant que secrétaire d'État à la protection de l'enfance, j'ai associé mon collègue Adrien Taquet aux mesures que nous avions déjà prises, en particulier le plan de lutte contre les noyades et de déploiement de l'aisance aquatique en direction des enfants âgés de 3 à 4 ans. C'est un moyen de déceler de possibles violences auprès de 800 000 enfants.

Dès novembre 2018, il a annoncé un plan contenant 22 mesures, certaines reprenant celles que nous avions déjà mises en place dans le sport en faveur de la protection de l'enfance. Différents cas ont ensuite été médiatisés, la parole s'est libérée. Nous avons renforcé et systématisé les enquêtes administratives sur tous les cas, même les anciens. À titre personnel, je peux témoigner que jamais je n'ai entendu parler des agissements de cet entraîneur au sein du lycée climatique de Font-Romeu. Depuis lors, des outils de prévention ont été mis en place. Nous devons tous faire notre mea culpa pour ne pas avoir suffisamment prêté d'attention à ces faits.

J'ai annoncé pour mai un plan de prévention national et Fabienne Bourdais, inspectrice générale de l'éducation, du sport et de la recherche, a été nommée à la tête de la mission interministérielle dédiée à la lutte contre les violences sexuelles dans le sport. En collaboration avec les services d'Adrien Taquet et de Marlène Schiappa, avec le monde sportif, l'objectif est de libérer la parole, de créer une vraie chaîne de signalement pour accompagner les victimes, de s'occuper également des agresseurs en menant un véritable travail avec la justice. C'est ainsi que le ministère des sports mène un travail sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijais).

Fabienne Bourdais interviendra auprès de tous les acteurs sportifs et des associations qui luttent contre les violences sexuelles. Dans la foulée du plan national, les fédérations seront accompagnées afin de leur permettre de bâtir leur propre plan de prévention et de le mettre en oeuvre, le but étant de toucher tout le monde, des dirigeants des associations aux enfants et à leurs parents, contrairement à ce qui s'est passé dans la lutte contre la radicalisation et le dopage. Nous avons fait beaucoup dans ces domaines - rédigé des guides, mis en place des référents dans les fédérations -, mais le fait est que le message n'arrive pas au bout de la chaîne. L'Agence nationale du sport nous permettra aussi de discuter avec les autres acteurs. L'implication des parlementaires permettra de mobiliser les maires, par qui cette lutte doit également passer, les associations utilisant les équipements municipaux.

À terme, un contrat d'usage pourrait être signé entre les municipalités et les associations utilisant ces équipements de manière à pouvoir agir plus facilement quand un cas est avéré.

S'agissant de la formation des éducateurs, le module « éthique et intégrité » qui leur est délivré n'a pas de caractère obligatoire. Nous voulons enrichir son contenu afin qu'il puisse servir aux futurs éducateurs et aux futurs entraîneurs dans leur relation avec les athlètes : qu'est-ce qui est interdit ? Quelles limites poser et comment s'y tenir ? Faut-il mettre en avant le sacrifice pour parvenir à la performance ? Quel niveau d'autorité vis-à-vis des enfants ?

Dans beaucoup de cas, dans de nombreux témoignages de victimes que j'ai entendus, il apparaît que cette question du sacrifice pour parvenir à la performance n'est pas abordée et que des entraîneurs malveillants peuvent en profiter pour justifier également le sacrifice de l'intégrité morale et physique, lequel est présenté comme une épreuve comme une autre.

Pour les parents, pour les bénévoles associatifs, pour les dirigeants d'association, cette relation d'emprise doit être questionnée. Est-ce un moyen de parvenir à la performance ou ne vaut-il pas mieux en passer par un acte éducatif ? Ne doit-on pas prôner l'épanouissement de l'enfant et son accession à l'autonomie ? Voilà ce en quoi devrait consister le travail de l'éducateur, plutôt que cette relation de pouvoir avec le jeune.

La future loi « Sport et société » pourra comporter des dispositions relatives à la formation des éducateurs, au contenu de ce module, qui pourrait devenir obligatoire, et à son évaluation.

Ce projet de loi prévoira également des dispositions concernant un contrat de délégation. L'État doit pouvoir retirer une délégation, or sa situation n'est pas très sécurisée aujourd'hui. Ce contrat doit être plus étoffé et permettre de mettre plus facilement à l'amende les responsables des fédérations, lesquels se retranchent souvent derrière le ministère ou la justice. Or c'est non pas à moi, ministre des sports, que les enfants sont confiés, mais aux associations, qui font partie d'une fédération. Ce sont elles qui sont en première ligne, c'est donc à elles de réfléchir à ces questions. Elles ne peuvent pas s'exonérer de leurs responsabilités. Ensuite, nous nous devons évidemment de les accompagner, et il appartient au pouvoir judiciaire de sanctionner.

Nous avons signé vendredi dernier une convention avec le 119 afin de permettre les signalements. Parce que nous n'avons pas, nous, la capacité de tout gérer en interne, l'appui du 119 est indispensable aujourd'hui.

Enfin, nous travaillons activement à la constitution d'un fichier des associations à l'échelle nationale. Il est important pour nous de pouvoir communiquer sur ces thématiques avec les responsables associatifs. Or nous ne sommes clairement pas en capacité de le faire aujourd'hui. Ce fichier nous permettra de distinguer les associations sportives parmi l'ensemble des associations et de disposer d'un fichier d'adresses e-mail à jour.

Telles sont les quatre mesures que nous avons annoncées vendredi. La convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport a été très suivie, et par le mouvement sportif et par le mouvement associatif. Ce fut un beau moment d'échange d'expériences. C'est maintenant que tout commence : les ateliers vont débuter et aboutir à l'échelon national au mois de mai.

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