Intervention de François Héran

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 3 mars 2020 à 15h50
Audition de M. François Héran professeur au collège de france chaire migrations et sociétés

François Héran, professeur au Collège de France, chaire migrations et sociétés :

J'ai consacré une bonne partie de ma vie professionnelle à obtenir l'utilisation de statistiques ethniques. Il y a une véritable méconnaissance de la part notamment des médias : ces statistiques ne sont pas interdites, mais elles sont soumises à un régime de dérogation. L'interdiction de principe a été posée par la loi du 6 juin 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi Informatique et Libertés, qui interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l'origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l'appartenance syndicale, la santé ou l'orientation sexuelle des individus. Mais cette même loi introduit une dizaine de dérogations au principe d'interdiction : le traitement de telles données reste donc interdit, sauf si la finalité de l'enquête est recevable et sous réserve que l'anonymat soit conservé, le consentement de la personne obtenu, les données sécurisées, etc.

Sachez que 90 % du savoir que nous détenons sur la population française a été acquis par dérogation. Nos statistiques sont à la fois ethniques - au sens européen du terme : elles recueillent des données d'état civil tel que le pays de naissance des parents ou la première nationalité des parents - et républicaines. Elles ne sont cependant pas ethno-raciales, contrairement à la Grande-Bretagne et à l'Irlande qui prennent en compte la couleur de la peau.

Depuis plusieurs années, nous avons donc fait un travail d'acculturation commune avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui s'est montrée sensible au fait que la France puisse apporter des données aux comparaisons européennes. Depuis 2001, nous disposons donc de données ethniques partout en Europe. En revanche, la CNIL n'accorde aucune dérogation pour des fichiers administratifs de gestion d'élèves, de locataires, etc. L'enquête Trajectoires et Origines n'est pas un fichier administratif, mais un échantillon de 22 000 personnes tirées au sort.

De la même façon, il existe trois grandes enquêtes françaises dans lesquelles la religion apparaît en clair. C'est donc bien autorisé, sous conditions, même si cela demeure toujours difficile à expliquer en quelques secondes à un journaliste qui vous demande si vous êtes pour ou contre de telles statistiques.

Il me semblerait intéressant que ces grandes variables soient désormais intégrées dans le recensement et le Sénat pourrait jouer là un rôle important. Mais nous faisons face à l'opposition notamment de la CGT-Insee, de SOS Racisme, etc. Nous disposons déjà de cette information pour les adultes vivant encore chez leurs parents - via la nationalité et le pays de naissance de la personne de référence du ménage -, soit environ un tiers de la population ; il s'agirait donc de l'étendre à l'ensemble de la population. Je l'ai demandé au Conseil national de l'information statistique (CNIS) qui s'occupe d'établir le questionnaire du recensement, mais ma demande a été rejetée au motif que les questions existantes étaient déjà nombreuses.

Les Juifs ont toujours été accusés de vivre séparés, dès le IVe siècle à Alexandrie où l'on parlait d'amixie et de misanthropie. À cela s'est ajouté le vieil antisémitisme chrétien. C'est finalement Louis XVIII qui va réellement émanciper les Juifs.

L'enquête Trajectoires et Origines montre, grâce aux travaux de Patrick Simon et de Michèle Tribalat, que l'endogamie concerne toutes les religions, à hauteur de 70 à 80 % en moyenne : elle concerne ainsi 80 % des musulmans croyants, mais également 80 % des catholiques croyants et 60 à 65 % des personnes sans religion. Le taux d'endogamie diminue avec le temps : elle est moindre un an après l'arrivée sur le territoire français et diminue encore les années suivantes. Mais on observe aussi chez les individus de la seconde génération un certain malentendu : les hommes recherchent un mariage traditionnel, tandis que les femmes attendent un mariage moderne. Il existe pour apparier ces attentes des mariage brokers aux États-Unis et des marieuses locales dans le monde musulman.

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