Intervention de Guillaume Faury

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 mars 2020 à 9h30
Audition de Mm. Guillaume Faury président exécutif et antoine bouvier directeur de la stratégie et des affaires publiques d'airbus

Guillaume Faury, président exécutif d'Airbus :

C'est un plaisir d'être présent devant vous ce matin.

En 2019, le chiffre d'affaires d'Airbus s'est établi à 70,5 milliards d'euros. Nous comptons trois divisions : l'activité aviation commerciale - qui est l'activité la plus importante en termes de surface économique -, l'activité défense et espace et l'activité hélicoptères.

L'activité aviation commerciale a généré 55 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Nous avons enregistré un record de livraisons de 863 appareils en 2019 : il s'agissait d'un record à la fois pour Airbus et pour l'industrie - le précédent record était détenu par Boeing avec 806 livraisons enregistrées en 2018. Nous sommes donc dans une phase de forte montée en cadence : nos livraisons ont augmenté de 11 % en 2018 par rapport à 2017 et de 8 % en 2019 par rapport à 2018. Nos prises de commandes s'établissent au presque même niveau que nos livraisons, nous avons donc un taux de renouvellement de notre carnet de commandes - le book-to-bill ratio - de 1. C'est assez spectaculaire, car nous avons 7 700 commandes d'avions dans nos carnets de commandes, soit huit années de travail. Notre objectif de livraison est de 880 avions en 2020.

En 2019, nous avons mis plusieurs sujets derrière nous, notamment le sujet de la compliance et l'arrêt de la production de l'A380, évènement majeur pour l'industrie et pour Airbus. Si pour les monocouloirs, la demande est très forte avec un carnet de commande plein jusqu'en 2025, notre situation est beaucoup plus tendue sur les longs courriers : nous avons connu des surcapacités sur 2018-2019 qui ont entraîné des annonces de réduction de cadence, tant chez Boeing que chez Airbus. Les sujets de complexité sont nombreux : la crise du 737, les tarifs douaniers, le coronavirus, la situation de la compliance ; nous évoluons dans un environnement compliqué et changeant.

Nous sommes désormais n° 1 mondial dans l'activité aviation commerciale, mais cela tient beaucoup à la situation actuelle de Boeing, donc nous devons rester humbles.

L'activité hélicoptères a généré 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Nous sommes également n° 1 mondial dans ce secteur. Nos prises de commandes ont été très bonnes en 2019, en dépit d'un environnement commercial difficile et d'un marché très bas depuis plusieurs années dans le civil comme dans le militaire. Pourtant, avec 7,2 milliards d'euros de commandes, notre carnet de commandes s'améliore - notre book-to-bill ratio est de 1,2 -, ainsi que notre rentabilité et nos positions commerciales. Cependant, l'activité reste fragile compte tenu de la situation du marché. Ce secteur a notamment souffert de l'effondrement de l'activité pétrolière en 2016-2017 et a dû se restructurer.

L'activité défense et espace a généré 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019, en très légère baisse par rapport à 2018. Nous sommes n° 1 européen et premier fournisseur en France, en Allemagne et en Espagne. Nous restons petits par rapport à nos concurrents américains, mais nous avons des positions fortes. Nous sommes la seule entreprise au monde à être présente à la fois sur les trois segments de l'activité : les lanceurs, les satellites et les services. En 2019, le niveau de prise de commandes n'a cependant pas été suffisant par rapport au chiffre d'affaires pour la troisième année consécutive. Le marché se caractérise par une très forte tension sur les prix, une transition technologique en cours et le décalage des gros programmes. Notre niveau d'activité n'est donc pas suffisant pour faire face au niveau de nos frais fixes. C'est pourquoi nous sommes actuellement en discussion avec nos partenaires sociaux afin de redevenir compétitifs et de résister à la pression très forte sur les prix qui constitue une situation de marché nouvelle à laquelle nous devons nous adapter.

Nous avons accepté de faire face aux 3,6 milliards d'euros d'amende de la compliance. Quatre autorités judiciaires sont concernées : les autorités françaises - et notamment le Parquet national financier -, mais aussi celles de Grande-Bretagne - le Serious Fraud Office (SFO) - ainsi que le Departement of Justice et le Departement of State des États-Unis. Il s'agit de deux affaires : l'une liée à des soupçons de corruption et l'autre à la réglementation américaine sur le trafic d'armes au niveau international (International Traffic in Arms Regulations - ITAR). Nous avons signé une convention judiciaire d'intérêt public avec les autorités françaises, des differed prosecution agreements (DPA) avec les autorités britanniques et américaines, ainsi qu'un accord de mise en conformité sur le sujet ITAR. Ces conventions permettent à Airbus de se placer dans une situation nouvelle et de suspendre les poursuites judiciaires pendant trois ans. Si au terme de cette période, Airbus est en conformité avec ses obligations, les poursuites seront abandonnées. La convention judiciaire d'intérêt public, instaurée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, nous a permis de tirer un trait sur le passé, de regarder en face les irrégularités dont Airbus s'était rendue responsable et de changer profondément notre culture et nos processus de conformité aux lois dans le domaine commercial. L'Agence française anticorruption (AFA) a reconnu qu'Airbus était désormais au meilleur niveau en termes de conformité. Ce sont des sujets majeurs de compétitivité pour notre entreprise.

L'issue de cette procédure est le fruit d'années de travail. Airbus a rapidement fait le choix de coopérer et c'était le meilleur choix. Cette démarche a été pilotée par le conseil d'administration. Pendant les trois prochaines années, qui seront très importantes, nous allons être surveillés par l'AFA et par un moniteur pour la partie américaine relative aux exportations d'armements. Cela a très fortement impacté nos résultats en 2019 et va impacter notre trésorerie en 2020 en raison du paiement de l'amende. Cela a été une expérience traumatisante pour l'entreprise, mais nous avons tout fait pour en sortir par le haut, au meilleur niveau mondial, et nous tournons la page. Il ne faut jamais gâcher une crise.

Les tendances sont à une très forte augmentation du trafic aérien mondial : les estimations de marché tablent sur un doublement du trafic dans les quinze prochaines années, c'est-à-dire la poursuite du rythme actuel. La durée de vie moyenne d'un avion étant de 25 ans, près de 40 000 avions neufs devront être livrés sur les vingt prochaines années, en majorité par les principaux producteurs. Le marché européen est mature, mais d'autres zones vont connaître une croissance très forte.

Nous observons une très forte montée en cadence sur les monocouloirs, représentée chez Airbus par la gamme des A320 qui représente la très grosse majorité de notre carnet de commandes - 6 000 sur les 7 700 commandes d'appareils. Nous avons connu, sur cette gamme, des problèmes de moteur en 2018 - en lien avec la transition vers une nouvelle motorisation - et des difficultés en 2019 avec le développement d'une nouvelle version de cabine destinée à donner plus de flexibilité aux compagnies aériennes. Nous procédons aussi à un changement de composition de cette famille d'appareils. L'A321 monte en puissance : il représentait historiquement entre 20 et 25% des appareils produits ; 30% l'année dernière ; et 50 % de notre carnet de commandes actuel pour cette famille d'appareils. Mais seul le site de Hambourg peut actuellement livrer des A321 en Europe : nous allons donc déboucher ce goulot d'étranglement en installant une nouvelle chaîne d'assemblage à Toulouse, qui remplacera à terme une des deux vieilles chaînes des A320 pour davantage de flexibilité. Au total, nous avons huit chaînes d'assemblage pour la gamme A320 et A321.

Cette forte montée en cadence fait qu'il est impossible pour Airbus de tirer bénéfice des difficultés du Boeing 737 - qui ne vole plus et dont la production est arrêtée depuis le début de l'année - : nous continuons à servir nos clients, mais n'avons pas de solution pour les clients de Boeing qui ne sont pas livrés.

Sur les long-courriers, le marché est caractérisé par une offre importante par Boeing et Airbus, mais le marché est un peu moins dynamique que prévu et l'on s'attend à situation encore plus difficile l'année prochaine avec l'apparition de surcapacités. Il faudra travailler dur en 2020 pour gagner des commandes.

L'imposition de tarifs d'importation de 10 % sur les livraisons d'avions européens décidée par les États-Unis en octobre dernier résulte d'un conflit qui date de 2004. Les États-Unis ont attaqué l'Union européenne devant l'OMC en raison des financements publics reçus par Airbus. Il a fallu huit à neuf mois à l'Europe pour contre-attaquer. Quinze ans plus tard, l'OMC a rendu son jugement dans la première affaire, mais nous attendons en mai la décision symétrique qui donnera à l'Europe le droit d'imposer des tarifs douaniers aux importations en provenance des États-Unis. Nous comptons sur la détermination de l'Europe pour défendre son industrie aéronautique. De nombreuses filières sont touchées par la décision américaine, mais ne perdons pas de vue l'enjeu de la compétitivité de notre industrie aéronautique et notre capacité à financer de gros développements.

Nous avons constaté en 2019 qu'il n'y avait plus de marché pour l'A380, en raison notamment d'un changement des modes de transport qui ne se font plus seulement hub to hub, mais point à point avec des avions de moindre capacité. Notre gros client, Emirates, a réduit sa commande et l'a restructurée pour commander cinquante A350. C'est un signe très fort en faveur de l'A350 de la part d'une compagnie très exigeante. Airbus a eu l'opportunité de rentrer à la mi-2018 dans une joint-venture avec Bombardier et Investissement Québec pour produire l'A220. Nous sommes très satisfaits d'entrer sur ce segment des petits avions de 100-150 places qui se développe et qui complète bien notre gamme - désormais composée de l'A220, de l'A320-A321, de l'A330 et de l'A350 qui répondent bien au besoin du marché.

Bombardier est sorti de la joint venture, nous avons 75 % des parts et en aurons 100 % à terme avec le retrait d'Investissement Québec. Airbus a donné de la crédibilité commerciale et industrielle à ce petit avion ce qui a accru les commandes. Nous sommes actuellement en phase d'investissement pour réduire les coûts et augmenter la cadence, mais ce programme devrait devenir profitable au milieu de la décennie. Sa chaîne d'assemblage est à Mirabel, à côté de Montréal au Québec et nous en développons une autre chaîne à Mobile, en Alabama, aux États-Unis.

Nos chaînes d'assemblage sont à Toulouse - une chaîne A330, une chaîne A350 et deux chaînes A320 -, à Hambourg - quatre chaînes A320 et A321 -, à Mobile - une chaîne A320 et bientôt une chaîne A220 - et à Tianjin en Chine - une chaîne A320.

L'activité défense et espace est très importante pour Airbus. Nos trois activités développent beaucoup de synergies entre elles. Avec nos joint-ventures, ArianeGroup et MBDA, l'activité défense et espace fait de nous le premier acteur européen. Dans un contexte difficile, nous avons engagé un plan de restructuration et réduction de coûts. Nous sommes en discussion avec nos partenaires sociaux ; Airbus a une longue histoire positive de discussion avec eux, car notre industrie est cyclique. Il n'est, à ce stade, pas question de fermer des sites dans le cadre de cette restructuration. Nous devons nous assurer que nous disposons de la base de coûts qui nous permet d'être compétitifs, car nous sommes sur un marché fortement concurrentiel, même s'il s'agit d'activités à nature très régalienne avec des enjeux de souveraineté.

Notre programme de l'A400M a pu donner en 2019 une impression négative, mais ce programme a atteint tous ses objectifs de cette première année. C'est même une très bonne année du point de vue de l'exécution opérationnelle, nous avons signé des contrats. Mais il nous a manqué des revenus et des marges futures liés aux contrats d'exportation qui n'ont pas encore été signés : le temps pour obtenir ces contrats est plus long que ce que nous avions anticipé. La vision sur les exportations d'armes, notamment en direction des pays du Golfe, a aussi changé, par exemple en Allemagne. Nous l'avons pris en compte et avons passé une provision de 1,2 milliard d'euros au titre de la réduction de nos hypothèses d'export pour l'A400M. Les 88 avions livrés - la moitié des commandes environ - montrent de très bons résultats en opération. Mais ce programme a été un programme très difficile et très coûteux pour Airbus.

Nous faisons face à quatre très grands enjeux. Le premier de ces enjeux est, dans le domaine de la défense et de l'espace, la nécessaire prise de conscience par l'Europe de son besoin de souveraineté et de préparer de son avenir dans une logique de « bloc ». Des choses ont été faites au niveau européen, comme le Fonds de défense européen. Le système de combat aérien du futur (Future Combat Air System - FCAS) est essentiel pour la protection du territoire européen dans l'air et dans l'espace. La logique n'est plus celle d'objets indépendants mais d'un système connecté, c'est la logique du FCAS. La France et l'Allemagne se sont lancées dans son développement et Airbus est, avec Dassault, l'un des deux partenaires majeurs de ce programme, qui représente pour l'instant de petits montants. Le programme sera long et coûteux, mais il est stratégique et relève totalement de la nature et de la compétence d'Airbus.

Alors que les différentiels de compétitivité étaient liés aux produits - les avions -, désormais ce sont à la fois les produits et les outils de production qui font la différence. C'est le deuxième des enjeux auxquels nous faisons face : la révolution industrielle de la microélectronique est en train d'arriver dans l'aviation. Nous avons un très gros projet en cours pour préparer l'avion et l'usine de demain.

Le troisième de ces enjeux est relatif au numérique, dont nous sommes tous convaincus qu'il constitue un sujet majeur. Le prochain avion devra être conçu dès le départ pour générer des données, les transmettre et les utiliser pour sa sécurité et sa maintenance préventive. Chaque avion aura son jumeau digital qui constituera un outil de simulation, de prévision, d'anticipation et d'intelligence artificielle.

Le quatrième enjeu concerne la transition écologique et la décarbonation du transport aérien. L'avion qui entrera en service en 2035 aura une empreinte carbone au moins dix fois plus faible qu'aujourd'hui. Cette évolution est cohérente avec la trajectoire carbone sur laquelle l'aviation commerciale s'est engagée. Nous voyons ces technologies arrivés et nous explorons de nombreuses voies crédibles : des avions plus légers, un meilleur aérodynamisme, mais aussi la transformation des modes de propulsion. Pour remplacer le kérosène, nous pourrons aller vers de l'hydrogène ou des carburants synthétiques. Il faudra de très grandes quantités d'énergies décarbonées pour produire ces carburants synthétiques. Nous allons réussir à développer ces technologies, mais nous aurons aussi besoin d'un cadre réglementaire mondial égalisant le coût carbone pour tous les acteurs, et d'un réseau de distribution. Ces sujets nous dépassent largement, ils concernent tous les États et toutes les industries. L'Europe a un avantage compétitif sur les sujets environnementaux : c'est une opportunité pour nous.

Airbus a donc d'incontestables atouts, mais est confronté à un environnement très changeant.

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