Les tarifs américains vont passer de 10 % à 15 % le 18 mars prochain. Ils touchent les avions ainsi que de nombreux autres biens, notamment agricoles. C'est le résultat d'un conflit qui date de quinze ans, mais il y a bien d'autres sujets qui sont en jeu. Ce conflit est utilisé pour créer une guerre commerciale et un rapport de forces. Nous sommes très attachés à ce que les autres filières comprennent qu'il ne s'agit pas d'une bagarre entre filières, mais qu'il nous faut le soutien européen pour nous défendre. Notre objectif est la désescalade et la résolution du conflit, mais en conservant notre solidarité européenne et notre solidarité entre filières. Nous échangeons avec les représentants des filières concernées afin de bien défendre l'intérêt européen avec les moyens légaux qui nous seront fournis en mai par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). J'ai conscience que c'est long et très dur. La guerre commerciale est un outil utilisé par certains grands blocs : le bloc européen doit aussi avoir la volonté de se défendre avec des outils commerciaux lorsque cela est justifié.
Stelia est une entreprise du groupe Airbus qui a su se développer et qui est compétitive sur ses segments de marché. Il n'y a pas de raison de penser qu'elle ne poursuivra pas sa croissance.
Les territoires contribuent à notre compétitivité. Par exemple, l'aéroport de Toulouse est un outil essentiel pour Airbus et sa présence industrielle durable. La formation, les transports sont déterminants : nous avons besoin d'un tissu socio-économique très actif, d'un territoire à l'écoute de nos besoins, même changeants et contradictoires. Nous essayons d'être très intégrés avec les écosystèmes locaux. C'est un jeu collectif. Un des sujets les plus compliqués est celui des transports : nous essayons de limiter les déplacements professionnels intersite et de développer le télétravail lorsque cela est possible.
Nous sommes avant tout une entreprise de haute technologie : nous avons besoin de recherche, de recruter nos personnels et de les former. Nous avons une activité de formation interne très importante avec une université d'entreprise qui forme sur les sujets techniques, mais aussi managériaux. L'intelligence artificielle - avec notamment le projet d'institut interdisciplinaire en intelligence artificielle (3iA) basé à Toulouse - sera la clé pour attirer les talents de demain. Le lycée professionnel Airbus est un outil très utile pour Airbus, pour le rayonnement de la filière et pour les jeunes qui y prennent le goût du travail et trouvent ensuite des emplois dans toute la filière. Il faut que les pouvoirs publics aident les entreprises à développer ce type d'initiatives.
Le marché des très gros porteurs long-courriers tels que l'A380 est probablement derrière nous. La décision a été collective, mais c'est plutôt le marché qui a pris cette décision pour nous. Le marché s'oriente actuellement vers des avions plus petits, plus efficaces d'un point de vue environnemental et plus adaptés à la cyclicité du remplissage des avions. L'arrêt de l'A380 est-il un échec pour Airbus ? Au contraire, je pense que c'est une réussite pour Airbus. C'est certes un demi-échec commercial, mais cela nous a beaucoup appris sur l'A350 et nous permis de changer de stature internationale sur le long courrier. Notre carnet de commandes est aujourd'hui plus rempli pour l'A350 que Boeing pour le 787... Cela aurait été inimaginable il y a quelques années. Notre métier implique une forte prise de risques sur des projets importants et l'ADN d'Airbus c'est de lancer ces projets innovants. Nous devons nous permettre d'avoir quelques échecs, car c'est le prix à payer pour comprendre à entreprendre et innover. L'A380 aura eu son rôle dans le développement d'Airbus.
L'Europe a toujours privilégié la concurrence égale en Europe, à la compétitivité de l'Europe à l'égard des autres blocs. La nouvelle Commission européenne a désormais compris qu'il fallait désormais défendre notre compétitivité. Il faut changer de vision, mais aussi les règles en vigueur. S'agissant de Thalès, les conditions d'une consolidation en Europe sont très compliquées en raison des règles européennes. L'objectif lointain doit cependant rester de construire un champion européen, mais le chemin n'est pas évident. Nous sommes donc aujourd'hui en concurrence avec Thalès.
Une entreprise technologique du futur s'articule autour de la recherche et de l'innovation. La situation des grands blocs est en train d'évoluer avec l'arrivée de la Chine : les Chinois travaillent sur le long terme, leur volonté d'acquisition technologique est très forte, ils y consacrent beaucoup de moyens et bénéficient d'une base de coûts très favorable. Nous devons donc être très attentifs à notre base de coûts, notamment en France et en Allemagne où le coût du travail est très élevé - c'est un risque pour notre industrie. Notre avantage comparatif ce sont les technologies, c'est pourquoi la recherche et le développement sont si importants. Le modèle français avec une forte capacité d'investissement dans les nouvelles technologies est intéressant et inspire la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les États-Unis.
J'ai présidé le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) : nous avons été écoutés sur l'importance d'avoir des financements ciblés. Nous devons assurer l'animation de la filière, il en va de la performance de l'écosystème. Les investissements pour les transitions numériques, de l'automatisation et énergétiques devront être très fortement augmentés.
Même en fonctionnant au kérosène, nos avions sont d'ores et déjà certifiés pour un mix de carburants allant jusqu'à 50 % de biocarburants. Or aujourd'hui l'incorporation est quasiment nulle dans les carburants disponibles à la pompe. Pour stabiliser les émissions de CO2 malgré l'augmentation du trafic aérien, une décision doit être prise pour que les biocarburants soient disponibles dans les aéroports. Cela ne tient pas aux constructeurs, qui ont déjà fait que cela soit possible. L'incorporation en petite quantité à court terme est intéressante, même si nous savons que les biocarburants ne sont pas la solution de long terme, car les surfaces de production ne sont pas suffisantes.
L'hydrogène et les carburants synthétiques sont utilisés avec succès en laboratoire ou sur des démonstrateurs, mais nous avons encore cinq ans de développements technologiques devant nous. Nous croyons au développement d'une filière de l'hydrogène et nous faisons la promotion de cette technologie, car on peut la stocker pour une utilisation dans les moyens de transport. L'hydrogène est un stockage d'énergie extrêmement crédible, beaucoup plus que la batterie. Nous croyons aussi beaucoup aux carburants de synthèse. Le très gros enjeu sera la quantité d'énergie primaire décarbonée dont nous aurons besoin. La France a beaucoup de chance de bénéficier du nucléaire, car il est totalement décarboné. Nous allons donc pouvoir produire beaucoup de carburant artificiel et d'hydrogène avec le nucléaire.
Je reprends le fil des questions dans l'ordre où elles ont été posées.
Sur l'A220, vous m'interrogez sur l'ouverture au marché américain. Les États-Unis ont mené aussi, et avec un certain succès, une guerre commerciale contre le Canada pour empêcher le C-Series de Bombardier de pénétrer sur leur marché. Quand Airbus a décidé de rejoindre le programme, qui est devenu l'A220, nous avons installé une chaîne d'assemblage aux États-Unis pour sortir des risques de tarifs et de blocage, car les États-Unis sont le plus gros marché pour cet appareil. Il ne faut pas croire que la guerre commerciale n'a lieu qu'entre les États-Unis et l'Europe. Elle s'est déroulée aussi entre les États-Unis et le Canada. Mais comme il y a un fort besoin pour ce type d'appareil aux États-Unis, l'A220 nous ouvre beaucoup de possibilités vers des clients américains, y compris certains qui étaient historiquement des clients de notre concurrent, qui vont passer vers une solution A220.
Il n'y a finalement pas eu de Brexit sans accord. Le risque était très important fin mars 2019, mais nous nous étions organisés déjà pour le réduire. Le risque de blocage existe encore, mais je veux croire que la Grande-Bretagne et l'Europe vont réussir à se mettre d'accord sur leur relation à long terme. Dans ce cadre, nous n'avons pas de risque à court terme sur le fonctionnement des chaînes d'approvisionnement d'Airbus, ni sur la compétitivité de l'outil de production ou de nos fournisseurs. Importe désormais, pour nous, la relation de long terme entre la Grande-Bretagne et l'Europe. Notre écosystème est aujourd'hui très compétitif, et nous avons besoin qu'il le reste. En fait, il faudrait qu'il le devienne encore plus, avant l'arrivée probable de la Chine à l'horizon. J'espère en tous cas que la relation restera très proche, dans les domaines de la sûreté, de la sécurité et de la défense, qui sont très importants pour Airbus, et où les coopérations européennes ont encore beaucoup besoin de la Grande-Bretagne.
Sur les constellations de satellites, nous sommes dans une transition. L'étape précédente mobilisait de grands satellites géostationnaires, pour lesquels la quantité de technologie dans chaque kilo était relativement faible, avec des lanceurs qui n'avaient pas encore fait leur propre mutation. Aujourd'hui, le coût au kilo est beaucoup plus faible. Nous avons des lanceurs de tailles différentes, très flexibles, qui permettent de lancer des petits satellites en grande quantité, ou des gros satellites, ce qui donne des constellations de petits satellites à plus basse altitude, avec des repassages très réguliers, ce qui accroît la fréquence d'information. Bref, nous croyons aux constellations, et nous avons investi pour les développer. Nous fabriquons les satellites de la constellation One Web, notamment. Sur un certain nombre d'autres projets, nous sommes en train de faire des offres.
Vos questions sur les éoliennes m'ont appris des choses sur ce que fait Airbus ! Je ne sais pas si la France va se doter de quelque chose d'équivalent. En tous cas, il y a de plus en plus de possibilités avec l'Internet des objets, la connectivité, les capteurs et les croisements de technologie. Tous ces systèmes intelligents permettent d'économiser de l'énergie, de réduire des nuisances, bref de trouver de nouvelles façons de faire les choses. Nous sommes présents dans tous ces développements. L'éolien est un des vecteurs de fabrication de l'énergie verte, dont nous avons grand besoin. Il faut donc éviter d'être limité dans la croissance de l'éolien par des nuisances.
Mon métier est d'arriver à faire travailler tout le monde ensemble. J'ai besoin de tout le monde : de mes clients, de mes salariés, de mes actionnaires, de mes fournisseurs... Airbus est un employeur très important. Nous embauchons, nous formons, nous investissons. Mais, quand une activité a des difficultés de compétitivité, la pire des choses à faire serait de la laisser aller dans le rouge sans s'en occuper. Plus on attend, en effet, plus les décisions doivent être radicales. Nous essayons donc, au fur et à mesure de l'évolution des situations, de nous prendre en main pour redonner de la compétitivité à chaque activité. Vous avez parlé de licenciements. Nous n'avons pas prononcé ce mot. Nous sommes au début de la discussion avec nos partenaires sociaux. La culture de notre entreprise, et le privilège de la taille, nous conduisent à chercher toutes les solutions pour gérer le changement le plus humainement possible pour les employés et pour l'entreprise. J'ai été amené à plusieurs reprises dans ma carrière, dans différentes entités du groupe, ou dans d'autres groupes, à faire des choses similaires. Ce n'est pas amusant, mais il est très important pour un chef d'entreprise d'être capable de faire cela, et d'avoir le soutien des partenaires sociaux et des salariés, qui comprennent qu'on fait cela pour rester compétitif, pour rester dans l'activité ou pour redonner de la compétitivité et pouvoir ensuite rebondir, investir, être compétitif sur les marchés, et gagner des affaires. Mes emplois sont tout simplement liés aux affaires que je gagne. Or, pour gagner des affaires, il faut être au bon niveau de prix. Bref, il faut replacer tout cela dans le paysage un peu plus large d'un Airbus qui continue à embaucher. Nous allons trouver des solutions, développer des passerelles entre les différentes branches et entre les différentes activités. Le changement est toujours difficile, mais il est important : il faut toujours prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge !