L'article 2 de la proposition de loi est celui qui a le plus fait couler d'encre. Il s'agit de généraliser dans notre pays la dissociation du foncier et du bâti en créant des organismes fonciers libres. Ceux-ci seraient détenus à majorité par des personnes publiques. Ils auraient pour vocation d'acquérir et de gérer du foncier pour réaliser des logements, mais aussi des locaux à usage commercial et de bureaux. Un nouveau bail réel de long terme et rechargeable serait créé, le bail réel libre (BRL). Il aurait lui aussi une vocation large, sous certaines conditions de loyers et de prix dans les zones tendues. Comme cela nous a été dit lors des auditions, il s'agit d'un outil d'investisseur et d'aménageur allant beaucoup plus loin que le logement abordable ou intermédiaire qui était au point de départ du travail de Jean-Luc Lagleize. Cet article suscite d'importantes réserves que vous êtes plusieurs ici à partager.
Tout d'abord, cette disposition, susceptible de changer profondément le droit de propriété, nous arrive sous la forme d'une habilitation à légiférer par ordonnance via un amendement du Gouvernement, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. C'est pour nous antinomique avec l'essence même d'une initiative d'origine parlementaire et avec la bonne manière de légiférer, surtout sur un sujet aussi important. De plus, la dissociation du foncier et du bâti n'est pas, par elle-même, la solution. Il y en a plusieurs contre-exemples, à Lyon avec les baux emphytéotiques des Hospices civils, ou encore à Londres ou à Amsterdam. Cette habilitation très large suscite aussi des interrogations et des inquiétudes. Ceux qui avaient fait savoir leur intérêt pour le développement d'une offre de logement plus abordable grâce à cet outil sont inquiets de la porte qui est ainsi ouverte à une financiarisation du logement sans garde-fous suffisants, voire à l'évincement programmé des bailleurs sociaux.
Au contraire, au cours de nos auditions et de manière très consensuelle, les différents acteurs nous ont tous dit deux choses. D'une part, ils croient à la dissociation du foncier et du bâti pour produire du logement abordable. D'autre part, ils n'ont pas besoin d'un nouvel outil juridique alors que les organismes de foncier solidaire (OFS) commencent juste à se développer, qu'on commence à se les approprier dans les territoires, et qu'ils commencent à donner satisfaction.
Pour eux, comme pour vos rapporteures, les OFS reposent sur quatre piliers qu'il nous faut conserver : la gouvernance publique, la non-lucrativité de l'organisme, la vocation sociale marquée et les dispositifs antispéculation, comme les conditions restrictives de revente, qui permettent aux acteurs publics de pérenniser dans le temps leur investissement en faveur du logement social et d'éviter tout effet d'aubaine ou enrichissement sans cause.
Ils sont donc demandeurs de certaines évolutions des OFS et du BRS pour les rendre plus souples et efficaces. Cela nous a conduits à vous proposer, d'une part, de supprimer l'article 2, et, d'autre part, d'introduire plusieurs articles additionnels, pour permettre aux organismes d'HLM, agréés en tant qu'OFS, de vendre des logements en utilisant le BRS, ce qui n'est pas possible si l'on lit strictement le texte actuel ; d'élargir la compétence des OFS aux rez-de-chaussée pour qu'ils puissent prendre en charge les locaux commerciaux ou professionnels, par exemple à l'occasion de la réhabilitation d'un centre bourg dans une opération « Action coeur de ville » ; enfin, d'introduire un peu plus de mixité en favorisant la hausse des plafonds de ressources dans une limite compatible avec le service d'intérêt général défini par la loi et le droit européen. Concrètement, là où le plafond d'un BRS est au niveau du prêt social location-accession, nous souhaiterions qu'il puisse être porté jusqu'au prêt locatif social-accession. Cela permettrait à un plus grand nombre de ménages d'avoir accès à cette offre.