Intervention de Carole Bonnet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 février 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur les retraites des femmes enjeux et perspectives

Carole Bonnet, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (Ined) :

Mon propos portera sur les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes et leur évolution.

Le sort des femmes en matière de retraite s'améliore, comme en témoigne l'augmentation, au fil des générations, du ratio de la pension moyenne perçue par les femmes sur la pension moyenne perçue par les hommes. Pour les générations qui partent aujourd'hui à la retraite, ce ratio est de deux tiers. Cette réduction des écarts va se poursuivre mais, même à des horizons lointains, ces écarts demeurent assez importants : pour la génération de 1970, qui partira en retraite aux alentours de 2035-2040, cet écart serait encore de l'ordre de 20 %. Comment s'explique-t-il ?

Après une période de réduction importante, nous constatons depuis le milieu des années 1990 une stagnation de la réduction des écarts salariaux entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. L'écart des revenus salariaux moyens entre les femmes et les hommes était ainsi de 27 % en 1995 et de 24 % en 2015 : en vingt ans, les progrès n'ont pas été considérables !

La retraite reflète en partie ce qui se passe sur le marché du travail, donc si on ne réduit pas les inégalités constatées sur le marché du travail, il sera difficile de s'attaquer aux inégalités de retraite.

Depuis le milieu des années 1990, le taux de temps partiels est très élevé pour les femmes : il s'établit aujourd'hui à 30 %, ce qui a un impact sur le niveau des retraites.

Les écarts de pension, qui sont de l'ordre de 40 % en moyenne et de 33 % pour les dernières générations, seraient plus importants si l'on ne prenait en compte que les droits acquis au titre de l'activité professionnelle. Les femmes bénéficient en effet d'importants mécanismes redistributifs qui permettent de réduire l'écart des pensions de l'ordre de dix points. Deux de ces mécanismes jouent un rôle particulier pour les femmes : les minima de pension et les droits familiaux. Ils représentent à eux seuls 19 % de la masse des pensions de droits directs versées aux femmes.

Les droits familiaux sont donc un élément très important et, en l'absence de réforme, d'après les projections disponibles, ils seraient montés en charge dans les années à venir.

Les dispositifs de solidarité - droits familiaux, minima de pensions, périodes assimilées pour le chômage - représentent un peu plus de 10 % des pensions de droit direct des hommes, mais un peu plus de 20 % de celles des femmes. La part des dispositifs de solidarité augmente de façon significative avec le nombre d'enfants ; ils représentent ainsi plus du tiers de la pension de retraite d'une femme ayant eu trois enfants. Ces dispositifs devront être particulièrement examinés au sein de la réforme.

Dans le système actuel, à législation inchangée, une convergence entre l'âge de départ à la retraite des femmes et celui des hommes se serait opérée avec le temps. En moyenne, les hommes partent aujourd'hui un peu plus tôt que les femmes, mais à l'avenir, les femmes, notamment celles de la génération 1970, auraient rattrapé l'écart, voire auraient pu partir un peu plus tôt grâce aux trimestres validés, par les effets combinés de leur participation accrue au marché du travail et des droits familiaux.

Les écarts de pensions de droit direct sont importants, mais la vie en couple et les pensions de réversion, notamment, permettent de réduire les écarts de niveau de vie. Le niveau de vie des femmes retraitées atteint 95 % de celui des hommes retraités en 2016. Cependant, nous assistons à des évolutions importantes : l'arrivée à la retraite des « baby-boomers » modifie profondément la structure des populations de retraités : il y aura moins de femmes mariées, plus de personnes seules non veuves - divorcées ou célibataires. Cette population plus hétérogène renforce la nécessité d'acquisition de droits propres par les femmes, via leur activité professionnelle ou les droits familiaux.

Il est très difficile d'évaluer les effets de la réforme, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la réforme transforme complètement le système de retraite. On était auparavant habitué à analyser des réformes paramétriques. Or cette réforme change non seulement le mode de calcul des droits, désormais fondés sur les points, mais les dispositifs de solidarité, les droits familiaux et les doits conjugaux évoluent aussi, et il existera une période de transition où coexisteront les deux systèmes, avec un système de conversion des droits acquis. Il est donc difficile d'appréhender un changement complet de système.

Par ailleurs, la population féminine est plus hétérogène que la population masculine, en raison de la dispersion des carrières et des écarts de salaires. En outre, cette population évolue, sous l'effet de la succession de différentes générations.

Enfin, il faut choisir quels indicateurs regarder : l'âge de départ, le montant des pensions ?

Il manque des éléments dans l'étude d'impact du Gouvernement pour apprécier les effets, en particulier redistributifs, de la réforme. Il manque les effets des nouveaux droits de solidarité, les effets dans la fonction publique - en particulier entre ceux qui ont des primes et ceux qui n'en ont pas, dans les secteurs de la santé et de l'éducation notamment, où les femmes sont surreprésentées. À ce stade, il nous est difficile de juger des effets redistributifs de la réforme. Pourtant, des modèles de micro-simulation existent, mais peu de résultats sont disponibles dans l'étude d'impact.

Selon celle-ci, « les pensions servies par le système de retraites seront en moyennes plus élevées dans le système universel que dans le système actuel, en raison notamment d'un âge moyen de départ plus élevé à la suite de la réforme ». Mais nous ne disposons que de peu d'indicateurs en dispersion à la fois sur les âges de départ et les montants moyens de pension. Par exemple, un graphique de l'étude d'impact montre les effets de la réforme sur les pensions moyennes et médianes : tout le monde gagne, mais pour la génération née en 1980, à la médiane, 50 % des femmes gagneraient seulement un petit peu plus, et nous ne savons pas ce qui se passe, en particulier dans le bas de la distribution des pensions.

D'après ce dont on dispose, on peut cependant penser qu'a priori :

- il y aura une meilleure valorisation des carrières plates, incomplètes ou heurtées ;

- et une amélioration du minimum de pension, qui sera de 85 % du SMIC net à carrière complète. Mais on s'interroge tout de suite sur cette notion de carrière complète ? Quid des carrières incomplètes et du rôle des droits familiaux ? On ne sait pas comment sera proratisé ce minimum, s'il sera proportionnel ou non... Ce point est renvoyé à un décret ;

- l'éligibilité à l'âge de référence pose également question. Le Gouvernement évoque toujours les femmes qui atteindront le taux plein à 65 ans au lieu de 67 ans, ce qui sera un progrès, mais pas les nombreuses personnes qui ont suffisamment validé de trimestres pour prendre leur retraite à taux plein à 62 ans, et qui devront désormais attendre 65 ans...

- s'agissant des droits familiaux, la question du choix du couple est importante. Comme la majoration de 5 % est proportionnelle, le choix rationnel sera de la porter sur la pension de l'homme, souvent plus élevée. Or l'étude d'impact suppose que 80 % des mères bénéficieront de la majoration, et que dans 20 % des cas, le couple choisira un partage. Nous ne savons pas si cette hypothèse est valide ; actuellement, la majoration de la durée d'assurance pour éducation des enfants bénéficie très majoritairement aux mères, alors qu'elle pourrait aussi bénéficier aux pères. Peut-être est-ce le résultat d'un défaut d'information sur cette possibilité ? Si l'on donne davantage d'informations, cela pourrait fortement modifier les choix. Un fléchage sur les mères pourrait être une meilleure solution, même si la Cour de justice de l'Union européenne condamne ces discriminations selon le sexe. Cependant, la Suède, par exemple, a fait le choix de donner une majoration au membre du couple qui a le plus faible revenu avant la naissance. En France, une telle mesure permettrait de flécher la majoration sur la mère.

Lorsque l'on remplace la majoration de durée d'assurance par une majoration par points, cela peut décaler l'âge de départ à la retraite. Auparavant, de nombreuses femmes pouvaient partir à 62 ans grâce aux trimestres validés. Mais si l'on supprime ces majorations de durée d'assurance, un certain nombre de mères avec enfants seront pénalisées et devront prendre leur retraite plus tard.

La réforme est également moins favorable aux salariées du secteur public qui ont un faible niveau de primes, comme dans les secteurs de l'éducation ou de la santé, alors que ce sont ceux qui sont les plus féminisés. Or, la prévision de revalorisation salariale prévue par le Gouvernement en compensation n'est pas encore chiffrée.

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