Intervention de Pierre-Louis Bras

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 février 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur les retraites des femmes enjeux et perspectives

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Le Conseil d'orientation des retraites réunit des parlementaires, des partenaires sociaux, des représentants des agriculteurs, des professions libérales, des personnalités qualifiées et des experts, ainsi que des représentants d'administrations comme la Direction générale du Trésor, la Direction générale de la fonction publique, l'Insee ou la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Nous n'avons pas de représentation spécifique des femmes, mais la parité s'applique dans les désignations.

Le COR rassemble des personnes aux opinions extrêmement divergentes, qui réfléchissent aux enjeux de la réforme. En introduction, je souligne qu'il est difficile de parler des femmes et de la retraite sans considérer la diversité des emplois occupés par les femmes. L'impact de la réforme sur les femmes passe en premier lieu par l'impact de la réforme sur l'emploi qu'elles occupent. Ainsi, au sein des catégories actives de la fonction publique, la possibilité de départ anticipée est maintenue pour les fonctions régaliennes - police, armée, surveillants de prison... - qui sont principalement masculines, alors que l'hôpital public ou l'éducation sont des secteurs plutôt féminins. Des évolutions qui n'ont rien à voir avec le genre ont finalement un impact genré.

J'évoquerai maintenant les droits familiaux. La législation actuelle prévoit des majorations de durée d'assurance par enfant, sous forme de trimestres validés, avec des différences entre la fonction publique et le régime général, et des majorations de pension à partir de trois enfants, qui bénéficient autant aux hommes qu'aux femmes.

Le nouveau dispositif prévoit une majoration de points de 5 % par enfant, dès le premier enfant. Cette majoration sera attribuée par défaut à la mère, mais pourra être partagée entre les parents. Une majoration supplémentaire de 1 % sera attribuée à chaque parent à partir du troisième enfant. Ce système est très différent du précédent ; les majorations en termes de durée d'assurance n'avaient plus de sens dans un système par points fondé sur les cotisations acquittées et les points acquis.

Désormais les avantages dépendront du nombre d'enfant et seront proportionnels au revenu salarial de carrière. L'Insee estime que l'arrivée d'un enfant a un impact significatif sur le revenu salarial des femmes, celui-ci connaît une baisse de 20 % en moyenne au bout de cinq ans, car les femmes se retirent parfois du marché du travail, passent à temps partiel, refusent des promotions ou des mutations géographiques, etc. On constate aussi une baisse du salaire horaire de 5 % en moyenne. Cet impact est toutefois inégal en fonction des niveaux de revenu des femmes. La baisse de revenus serait de 40 % pour les femmes du premier décile, celles qui ont les revenus les plus modestes, et serait très faible pour les femmes du dernier décile, les plus aisées. À cet égard, l'hypothèse d'une compensation forfaitaire peut apparaître plus juste et plus redistributive.

Une autre question concerne la possibilité d'option ouverte entre les parents. L'option ouverte été privilégiée car la Cour de justice de l'Union européenne aurait pu considérer qu'attribuer le bénéfice de la majoration uniquement aux femmes constituait une discrimination à raison du sexe. Dans le système actuel, très complexe, les options sont peu utilisées et dans la majorité des couples, les majorations de durée d'assurance sont attribuées aux femmes. On peut faire l'hypothèse qu'il continuera à en être de même dans le nouveau système proposé et que les femmes continueront à bénéficier de la majoration. Toutefois, si l'homme a un revenu, et donc une retraite potentielle, nettement plus élevé que sa femme, le couple peut avoir intérêt à le faire bénéficier de la majoration de 5 %. Cependant cela présente un risque pour la femme en cas de divorce, car il n'est pas possible de revenir sur ce choix. Il est très difficile de prévoir ce que seront les comportements futurs. Je ne sais pas quel sera l'effort de communication autour des options, ni dans quelle mesure les couples seront tentés de maximiser le dispositif. L'étude d'impact repose sur l'hypothèse que 90 % des majorations seront attribuées aux femmes. Mais c'est une hypothèse « arbitraire ».

J'en viens aux droits conjugaux. Le changement de philosophie du système est considérable, à tel point que l'on peut hésiter à parler encore de pension de réversion. Actuellement la pension de réversion consiste en un reversement au conjoint survivant d'une partie de la pension du conjoint décédé. Désormais, le système prévoit une garantie financière représentant 70 % des droits à retraite des deux époux.

La législation actuelle poursuit en fait deux objectifs, sans les distinguer : celui de correction des rôles sociaux et celui du maintien du niveau de vie du survivant. L'idée sous-jacente était qu'il existe une répartition genrée des tâches, que les femmes assument davantage le travail domestique au détriment de leur carrière professionnelle et qu'elles acquièrent donc moins de droits à la retraite. La pension de réversion visait à compenser cet écart. Mais elle permettait aussi de maintenir le niveau de vie du conjoint survivant, à un âge où il n'est pas facile de refaire sa vie ni de retrouver du travail. Les deux objectifs étaient mêlés, si bien que parfois la pension de réversion permettait d'améliorer le niveau de vie du conjoint survivant, mais pas toujours.

Désormais, le second objectif est clairement privilégié et cette réforme transforme, selon moi, la réversion en un dispositif que l'on pourrait qualifier d'assurance veuvage.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion