Intervention de Bill Mitchell

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 20 février 2020 à 8h30
Audition de M. Bill Mitchell professeur à l'université de newcastle

Bill Mitchell, professeur à l'Université de Newcastle :

Merci de votre invitation. Je suis le fondateur de la Modern Monetary Theory (MMT) qui vise à mettre l'accent sur l'avantage qu'il y a à disposer de sa propre monnaie. Maîtriser sa monnaie permet d'éliminer la contrainte financière qui empêche le plein emploi, le développement de services publics et d'infrastructures de qualité ou l'investissement dans la lutte contre le changement climatique. Cette théorie va à l'inverse du discours des économistes mainstream pour lesquels le Gouvernement doit gérer ses finances comme un ménage, en visant l'équilibre ou en empruntant pour faire face à certaines de ses dépenses.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et le Japon n'ont pas cette exigence budgétaire car ces trois pays ont leur propre monnaie. La question y est plutôt de savoir qu'est-ce qu'on fait de cette facilité. Des gouvernements progressistes peuvent y soutenir les dépenses en faveur de l'emploi, au profit des pauvres, pour des transports de qualité ou pour lutter contre la crise climatique.

Les arguments selon lesquels un déficit conduit à l'inflation ou que le marché des emprunts d'État va générer une augmentation des taux d'intérêt sont des mythes.

Le Japon, pays que j'étudie depuis de nombreuses années, a enregistré de très gros déficits, parfois jusqu'à 10 % du PIB, alors que, de votre côté, la limite est de 3 %. Le Japon a d'importantes dépenses publiques et en même temps un très faible taux de chômage. Le Japon a également une dette publique élevée, ce qui, pour les économistes mainstream, doit entraîner inflation et hausse des taux d'intérêt. Or ce n'est pas le cas, puisque l'inflation y est faible depuis bientôt trente ans, les taux d'intérêt sont très bas et le taux des emprunts d'État à 10 ans est négatif.

Les 19 membres de la zone euro ont renoncé à leur monnaie, ce qui, en conséquence, leur donne des capacités limitées pour construire leur prospérité. À l'inverse, on observe des privatisations, une baisse des dépenses sociales, de santé publique, etc.

La difficulté est que cette idéologie néolibérale est ancrée dans les esprits et les structures institutionnelles des pays européens, par le biais des traités. En Australie aussi, il y a un gouvernement néolibéral qui a internalisé cette contrainte de l'équilibre budgétaire, mais l'opposition a une autre vision et le débat démocratique fonctionne. En Europe, les citoyens ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas changer l'idéologie portée par les traités. Au sein des gouvernements du Royaume-Uni ou des États-Unis, on observe de plus grandes divisions aujourd'hui.

Face à la crise sociale et écologique, on voit se développer, partout dans le monde, les travailleurs pauvres, les emplois précaires, comme par exemple les livreurs de la « geek economy ». On observe également une diminution de la qualité des services publics privatisés, pas forcément en France, mais dans de nombreux pays, par exemple en Italie où la privatisation des autoroutes, des routes et des ponts a permis leur dégradation, dont l'accident de Gênes est un témoignage emblématique. La population est énervée : regardez ce qui se passe en France avec les gilets jaunes, regardez le Brexit.

Les politiques monétaires sont poussées à l'extrême par les banques centrales et on voit apparaître des taux d'intérêt négatifs. Les gouverneurs de ces banques centrales demandent des signaux budgétaires. Mais le débat sur le budget de l'Union européenne est très significatif : on vise un objectif de 1 % du PIB à l'échelle européenne, ou un peu plus, alors qu'il faudrait beaucoup plus !

La crise est présente aussi dans le système financier européen car les taux d'intérêt sont trop faibles, ce qui conduit les fonds de pension et les compagnies d'assurance à faire évoluer leurs investissements et à prendre des positions risquées, pour retrouver des bénéfices.

Les pays contraints par la politique budgétaire ne peuvent pas traiter les problèmes de leur population correctement. Il en découle un pessimisme généralisé et donc une réduction de l'investissement des entreprises, une moindre consommation et, au final, une récession. Or, quand les acteurs non gouvernementaux sont en phase de repli, les gouvernements doivent, à l'inverse, augmenter leurs dépenses. C'est à l'opposé de ce qui se passe aujourd'hui avec des coupes dans les dépenses publiques, rendues obligatoires par les règles européennes, alors que l'économie générale est en déclin. C'est une situation totalement irresponsable.

Il y a deux problèmes aujourd'hui en Europe : les règles d'austérité budgétaire, issues notamment de la méfiance de l'Allemagne envers les économies du sud (Italie, Grèce, etc.) et la dépendance envers le marché obligataire qui crée un risque de crédit. Aux États-Unis ou en Australie, pays qui émettent leur propre monnaie, ce risque de crédit n'existe pas.

Pourtant, pour satisfaire la population avec une bonne éducation, de bonnes infrastructures ou de bons services publics, et pour affronter le changement climatique, première priorité mondiale, on sait que de très importantes dépenses publiques sont nécessaires. Sans disposer de sa propre monnaie, augmenter ces dépenses est impossible.

Posséder ou non sa monnaie constitue une immense différence entre les pays.

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