Madame l'Ambassadrice, c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous accueillons aujourd'hui au Sénat. Je vous remercie très chaleureusement d'avoir répondu à cette invitation, à un moment important de l'histoire de votre pays, puisque le Sinn Féin, ancienne branche politique de l'IRA, est sorti grand vainqueur des élections législatives il y a quinze jours, devançant les deux grands partis centristes issus de la guerre civile qui se sont partagé le pouvoir depuis un siècle. Le sujet sensible de l'unification de l'Irlande va de fait prendre une nouvelle importance dans le débat politique.
Cette surprise est intervenue au moment même où le Royaume-Uni quittait l'Union européenne, contre la volonté de la majorité de l'électorat nord-irlandais exprimée lors du référendum de juin 2016. L'Irlande est sans doute, devant la France, l'État membre le plus affecté par ce retrait, à la fois du fait de son imbrication économique avec le Royaume-Uni et de sa situation mitoyenne avec lui via l'Irlande du Nord. 30 000 personnes traversent cette frontière chaque jour et 3,9 millions de poids lourds l'ont traversée l'an dernier.
Le Royaume-Uni reste en effet le principal partenaire de l'Irlande dans de nombreux domaines, dont l'agriculture. Une étude prévoit qu'au terme de dix ans, le niveau du PIB réel en Irlande se trouvera significativement amoindri par le retrait du Royaume-Uni. Grâce à l'accord trouvé, ce recul devrait être d'ampleur heureusement limitée, de l'ordre de 2,6 %. Pouvez-vous néanmoins nous indiquer comment l'Irlande entend parer à ce choc macroéconomique externe ?
L'accord de retrait signé le 17 octobre dernier est assorti d'un « protocole pour l'Irlande et l'Irlande du Nord » qui entrera en vigueur après l'expiration de la période de transition, c'est-à-dire à compter du 1er janvier 2021. Il respecte l'acquis des accords de paix et ne rétablit pas de frontière entre les deux Irlande. C'était l'essentiel, tant nous avons conscience des blessures encore vives que les troubles ont laissées de part et d'autre.
Ce protocole permet de conserver une économie unique dans l'île, tout en protégeant le marché unique européen, et en satisfaisant l'exigence britannique d'autonomie douanière. Les biens entrant dans l'île devront tous respecter les normes européennes, mais se verront appliquer des droits de douane distincts selon leur destination finale. L'Irlande du Nord devient ainsi un territoire hybride en matière douanière. Les droits européens seront appliqués aux produits destinés à l'Irlande, et les droits britanniques aux produits qui n'entreront pas sur le marché européen. Un comité mixte devra garantir la surveillance de ce mécanisme. Comment envisagez-vous le fonctionnement de ce mécanisme complexe ?
Le schéma s'appuie donc sur la création d'une frontière en mer d'Irlande, dont les modalités de contrôle, dans les ports et les aéroports d'Irlande du Nord, nous inquiètent. En particulier, la perception des droits européens par les autorités britanniques au profit de l'UE nous préoccupe. Quelle est votre appréciation de ce système ?
Enfin, nous nous interrogeons sur le droit de regard de l'Irlande du Nord sur le protocole et son renouvellement. Le Parlement de Stormont, qui a recommencé à fonctionner après trois ans de paralysie, dispose d'un droit de veto à la majorité simple, dès le début, puis tous les quatre ans, sur le maintien ou non de l'alignement réglementaire. Comment le nouveau gouvernement d'Arlene Foster entend-il selon vous orienter les choses ?
Madame l'Ambassadrice, avant de vous céder la parole, je la laisse à mon collègue Ladislas Poniatowski qui représente ici le président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon.