Je répondrais tout d'abord à la question portant sur les contrôles douaniers. L'accord conclu sur l'Irlande du Nord comprend de solides garanties afin de préserver l'intégrité du marché unique. Ainsi, même si l'Irlande du Nord fera partie du territoire douanier du Royaume-Uni, elle restera alignée sur les principales règles de l'Union, notamment sanitaires. Les marchandises à l'import comme à l'export devront s'y soumettre. Les contrôles ne seront pas réalisés le long de la frontière entre les deux Irlande, mais auront lieu dans les ports d'entrées en Irlande du Nord. Les modalités précises de ces contrôles ne sont pas encore connues, et devront être fixées au cours des négociations entre Michel Barnier et le gouvernement britannique.
Un comité mixte spécial sera créé pour superviser ce dispositif. Il devra s'assurer que les marchandises entrant en Irlande du Nord et destinées à l'Union européenne répondent à ses normes. L'Irlande restera très vigilante sur ce point. Nous sommes sûrs que Michel Barnier est très engagé sur cette question, qui est essentielle pour protéger le marché unique. Avant la fin de la transition, les critères permettant d'évaluer les risques devront être déterminés par les négociations et le comité mixte.
Vous avez évoqué la possibilité qu'aucun accord ne soit trouvé. Cependant, les dispositions concernant le statut de l'Irlande du Nord figurent dans l'accord de retrait du Royaume-Uni. Il s'agit d'un accord international juridiquement contraignant. Il prévoit notamment que soient réalisés ces contrôles douaniers sur les marchandises à destination du marché unique. Il s'agit désormais d'une obligation juridique. Par ailleurs, Michel Barnier a indiqué qu'il ferait preuve d'une très grande vigilance pour s'assurer que l'accord sur l'Irlande du Nord soit appliqué avec rigueur. L'Union européenne surveillera donc cette question de très près.
Le comité mixte n'est pas conçu pour négocier, mais pour mettre en oeuvre ce qui aura été décidé au préalable. Il est vrai que nous sommes très préoccupés par l'avenir. Néanmoins, nous devons demeurer optimistes, au regard des liens qui existent entre l'Irlande et le Royaume-Uni. Nous croyons dans la confiance mutuelle entre nations amies. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire confiance au Royaume-Uni, et de rester optimistes. Nous plaçons également une grande confiance dans nos partenaires européens, ainsi qu'en Michel Barnier. Par ailleurs, l'État de droit est une valeur fondamentale pour l'Irlande, comme pour la France. L'un de ses éléments clés réside dans le respect des accords internationaux. Cela constitue le fondement de notre démocratie. Notre confiance dans le Royaume-Uni tient également au fait qu'a déjà été noué cet accord international.
Les deux parties se sont par ailleurs engagées à conclure un accord d'ici à décembre 2020, et nous mettrons tout en oeuvre pour y parvenir. Si la période de transition devait s'achever sans qu'un nouvel accord n'ait été trouvé, cela aurait de graves répercussions sur le Royaume-Uni comme sur l'Union européenne. C'est pourquoi le gouvernement irlandais continue à travailler avec célérité auprès de ses entreprises et de ses citoyens pour se préparer à tous les scénarii possibles, y compris à celui de l'absence d'accord. Nous restons optimistes, mais nous devons envisager ce cas de figure. Ainsi, mon équipe et moi voyageons beaucoup, notamment dans le Nord de la France. Il était important pour nous de parler avec les pêcheurs, les douaniers, et les autorités françaises, pour déterminer comment réagir face au Brexit. Nous devons coopérer très étroitement, en particulier dans l'hypothèse de l'absence d'accord. Néanmoins, comme le prévoit l'accord de retrait, les dispositions concernant l'Irlande du Nord entreront en vigueur sitôt la période de transition achevée, qu'un nouvel accord ait été trouvé ou non. Ainsi, ces dispositions donnent aux deux Irlande des certitudes quant à l'avenir.
Les pêcheurs irlandais comme français dans leur ensemble dépendent largement de l'accès aux eaux britanniques. L'ensemble des pays de l'Union européenne souhaite maintenir un accès réciproque aux eaux britanniques et européennes, ainsi qu'à leurs ressources. Conclure un accord qui y parvienne est désormais le défi auquel fait face Michel Barnier. Il s'agit d'un enjeu essentiel pour nos deux pays. Nous travaillons main dans la main pour ce faire. Il convient notamment d'éviter une bataille de pêcheurs. Des responsables politiques britanniques affirment certes leur intention de reprendre le contrôle de leurs eaux territoriales, et cela nous préoccupe. Mais notre objectif est clair. Il s'agit de maintenir un accès réciproque. Michel Barnier a par ailleurs déclaré que cet enjeu ne pouvait être isolé, mais devrait au contraire s'inscrire dans l'accord global. Ainsi, si le Royaume-Uni essaie d'isoler la question de la pêche, Michel Barnier se montrera très ferme. La solidarité entre nos deux pays est cependant essentielle.
Enfin, la question de l'unification est très sensible. Nous devons cependant être prêts à l'aborder. Nos dernières élections ont remis ce sujet à l'ordre du jour. Le débat se poursuit en ce moment même dans les deux Irlande sur cette question. Si les principaux partis politiques d'Irlande sont favorables à l'idée d'une unification à long terme, le Sinn Féin a pour sa part déclaré sa volonté de l'atteindre à plus court terme. Les avis sont bien sûr partagés sur cette question en Irlande du Nord. Si les nationalistes y sont favorables, les unionistes souhaitent que l'Irlande du Nord demeure dans le Royaume-Uni. Cette question est redevenue prégnante à la suite du référendum sur le Brexit. En effet, la majorité des Nord-Irlandais a voté pour demeurer au sein de l'Union européenne. L'Irlande du Nord l'a néanmoins officiellement quittée avec le Royaume-Uni le 31 janvier 2020. Pour beaucoup, la réunification avec la République d'Irlande serait un moyen de la rejoindre.
Je dois souvent répéter ce point : le gouvernement irlandais n'a jamais cherché à utiliser le Brexit comme un moyen de tendre vers l'unification de l'Irlande. Il s'agit de deux questions distinctes. Par ailleurs, et cela peut apparaître surprenant, mais de récents sondages témoignent que l'opinion publique en Irlande du Nord est partagée. L'idée d'une unification ne recueille pas l'assentiment de la majorité des sondés. Par ailleurs, à travers l'accord du Vendredi saint, validé par les populations des deux juridictions de l'île par le référendum historique de 1998, les gouvernements britannique et irlandais reconnaissent explicitement la légitimité des deux positions constitutionnelles, ainsi que le principe du consentement du peuple d'Irlande du Nord à tout changement. Ces principes sont également au fondement de la constitution de la République d'Irlande. L'unification ne peut donc avoir lieu sans l'accord des deux peuples des deux Irlande.