Intervention de Jacques Genest

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 février 2020 à 9h40
Contrôle budgétaire — Financement de la vie politique et rôle de la commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques - communication

Photo de Jacques GenestJacques Genest, rapporteur spécial :

Je vais vous présenter les conclusions auxquelles je suis parvenu au terme de mon étude sur les crédits du programme 232 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », du moins des crédits de ce programme consacrés au financement de la vie politique.

Trois chefs de dépenses sont concernés : les crédits consacrés au financement public des campagnes électorales ; les crédits finançant l'aide publique aux partis politiques ; et, enfin, les moyens réservés à la CNCCFP, qui exerce des missions de régulateur financier des deux premiers types de crédits que je viens d'évoquer, avec un coup d'oeil sur l'institution nouvelle du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques.

Si le rapport n'aborde pas les questions majeures liées à ce qui m'apparaît comme une crise de la condition matérielle réservée aux élus, en revanche, ce fut une démarche naturelle de ne pas éluder la crise des campagnes électorales, spectaculairement marquée par le rejet du compte de campagne d'un des principaux candidats à l'élection présidentielle de 2012, mais aussi par les incidents et les soupçons qui ont entouré la campagne de 2017. De la même manière, la crise des partis politiques ne pouvait guère être négligée.

Ces deux crises me semblent avoir eu leur prolongement dans une crise moins patente, mais menaçante, qui est celle des régulateurs de la vie politique, à commencer par la CNCCFP, qui est l'un des objets du rapport.

Énormément a été fait ces dernières années pour surmonter ces crises. La régulation des partis politiques a été tout particulièrement concernée par ce processus, mais ce fut le cas aussi pour les campagnes électorales. Dans ce contexte, l'amélioration des moyens de la CNCCFP a été moins notable, surtout si l'on considère l'alourdissement des charges qu'impliquent ses missions.

Tous les ferments des crises ont-ils pour autant été éliminés ? Je ne le crois pas et, sans esprit d'exhaustivité, je vais m'en expliquer. Je voudrais compléter cet avant-propos en resituant mes travaux dans leur cadre institutionnel. J'ai entendu agir dans le cadre de ma mission de rapporteur spécial de la commission des finances après que celle-ci a inscrit cette mission à son programme de contrôle.

J'ai eu pour constante préoccupation de ne pas empiéter sur les prérogatives de notre commission des lois et, bien entendu, en plein respect des attributions du Bureau du Sénat, auquel a été reconnu un pouvoir d'initiative dans ce domaine.

J'ai donc situé ma démarche autour des questions qu'il nous appartient ici de traiter, à savoir la justification des dépenses publiques qui matérialisent les autorisations budgétaires et fiscales sur lesquelles nous sommes appelés à statuer.

Les crédits du programme 232 sur l'utilisation desquels je me suis penché correspondent aux moyens d'une politique publique dont l'étendue a pris au fil du temps une ampleur de plus en plus vaste et qui répond à plusieurs types de justifications.

Pour aller à l'essentiel, il s'agit d'assurer la vitalité de notre démocratie en donnant aux partis politiques les moyens de leur expression, en les garantissant contre des dépendances troubles, à commencer par celle de l'État, mais aussi en prévoyant les moyens d'une expression libre, et j'allais dire non faussée, des candidats aux élections. Il s'agit également d'assurer la crédibilité des acteurs de la vie politique que sont les partis politiques et les candidats aux suffrages du corps électoral auprès de l'opinion publique, en permettant à cette dernière d'accéder à des informations sur tel ou tel point auxquels elle est présumée accorder un intérêt légitime. C'est ici tout le sujet compliqué de la transparence.

Ce long, mais nécessaire préambule ayant été exposé, j'en viens à mes conclusions. J'aborderai successivement la thématique des campagnes électorales, qui mobilisent une partie variable selon les années, mais souvent importante, des crédits du programme 232, celle du financement des partis politiques, puis trois thématiques transversales, l'accès au financement de la vie politique, la participation financière citoyenne et les conditions de fonctionnement et d'organisation de la CNCCFP que je n'aurais pas déjà abordées lors de la revue des différents thèmes que je viens de mentionner.

Les campagnes électorales sont abordées sous l'angle de la prise en charge par l'aide publique des frais de campagne des candidats et du rôle de la CNCCFP. Celle-ci arrête les comptes de campagne, ce qui implique une vérification approfondie de ces comptes, et joue un rôle de quasi-ordonnateur des deniers publics, en déterminant le montant du remboursement forfaire public accessible aux candidats. Les crédits mobilisés varient selon le calendrier électoral, avec des années de forte intensité et d'autres de moindre actualité électorale. Les prises en charge des frais de campagne ont atteint, pour les élections présidentielles de 2017, 41,1 millions d'euros, et pour les législatives de la même année 45,56 millions d'euros. Par comparaison, les frais de campagne des candidats aux élections sénatoriales ont coûté 2,3 millions d'euros. La campagne sénatoriale est économe. Les élections municipales de 2014 avaient donné lieu à un remboursement forfaitaire de l'État de 62,9 millions d'euros.

Ces chiffres étant rappelés, il faut en dégager les principales caractéristiques. Je me contenterai ici d'en évoquer quelques-unes.

Les candidats ne « saturent » généralement pas le plafond des dépenses électorales, le plafonnement de ces dépenses étant l'une des principales régulations à l'oeuvre. Ils tendent à optimiser la gestion de leurs engagements financiers afin de pouvoir bénéficier du montant maximal de la prise en charge publique, mais il arrive qu'ils n'y parviennent pas.

Les partis politiques apportent un soutien important aux candidats, mais qui peut prendre des formes différentes, soit qu'ils accroissent l'apport personnel du candidat, soit qu'ils interviennent directement. Cette dualité n'est pas sans lien avec la question de l'optimisation des retours publics vers chaque candidat.

Il existe enfin une forte différenciation des ressources engagées par les candidats et des dépenses qu'ils supportent, en particulier pour l'élection présidentielle. Je rappelle que le plafond de dépenses est de 16,8 millions d'euros pour les candidats du premier tour et qu'il passe à 22,5 millions d'euros pour les deux candidats présents au second tour. Dans les faits, les cinq premiers comptes de campagne de l'élection présidentielle de 2017 ont mobilisé 93 % des dépenses de campagne des onze candidats et 46,1 % du total des dépenses des candidats aux élections présidentielles et législatives de 2017.

Un mot sur les recettes pour faire ressortir la part importante des emprunts bancaires - 35,3 % des ressources des candidats à la présidentielle de 2017 - ou auprès des partis - 21 % des ressources. Quant aux dépenses, pour l'élection présidentielle, les réunions publiques ont absorbé 40 % du total, ce qui est moins qu'en 2012 - le taux était de 48 % -, mais reste le premier poste de dépense.

Enfin, les conditions de la prise en charge publique des frais de campagne varient fortement selon les résultats électoraux, avec une pénalisation très forte des candidats qui ne réunissent pas 5 % des suffrages, donc des candidats qui ayant passé le filtre des parrainages représentent des courants d'idées modestement appréciés du corps électoral.

Les frais de campagne pris en charge sur crédits publics auxquels il faudrait ajouter les engagements liés à la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts sont déterminés individuellement par la CNCCFP après un contrôle dont j'analyse les résultats et les qualités dans le rapport.

Pour le dire d'un mot, les décisions de la commission portant sur les comptes apparaissent à la fois nombreuses et de peu d'effets globaux sur les conditions du remboursement forfaitaire. Il n'empêche qu'elles exercent sur les candidats une assez forte charge sinon financière, sauf dans certaines situations ponctuelles, du moins psychologiques. J'y reviendrai.

Quant à la question de la qualité des interventions de la CNCCFP, force est de la juger fort variable.

J'insiste tout particulièrement sur les difficultés que la commission paraît éprouver dans son contrôle des comptes de candidats à l'élection présidentielle. Ces difficultés, déjà non négligeables quand il s'agit de processus relevant de l'Ancien monde des campagnes électorales, paraissent insurmontables lorsqu'il est question d'affronter le Nouveau monde, c'est-à-dire celui de la globalisation et du numérique.

Pour ce qui est de l'Ancien monde, je dois m'interroger sur les capacités de la commission à contrôler les éléments des comptes de campagne liés aux réunions publiques et à certains aspects de la propagande. On peut rencontrer dans ces domaines tout et son contraire : des sous-facturations qui laissent présumer des avantages conférés par des personnes morales et des surfacturations qui laissent entrevoir la concrétisation d'opportunité de divertir l'aide publique à des fins plus ou moins personnelles.

Or, la CNCCFP, si elle a pu intervenir dans certaines situations, paraît quelque peu dépourvue des moyens d'un contrôle à la fois efficace et systématique.

Mais, évidemment, lorsque le Nouveau monde est en cause, ces problèmes s'accentuent. Je voudrais citer deux ou trois exemples. En premier lieu, le Nouveau monde, ce peut être l'Union européenne elle-même. À cet égard, l'avis rendu par le Conseil d'État le 19 mars 2019, qui a reconnu aux partis politiques européens la faculté de financer par des dons la campagne européenne des partis nationaux, pose un réel problème au vu de la diversité des règles encadrant le financement des partis politiques dans l'Union européenne. Mais d'autres difficultés plus « obliques » peuvent être mentionnées. Par exemple, la contribution de sites internet basés à l'étranger à la propagande ciblée d'un candidat. Je n'ai pas le sentiment que la CNCCFP serait en mesure de la détecter davantage que le CSA. Quant à l'intégration de ces contributions dans les comptes de campagne, je vous laisse juges.

Je déduis de ces analyses plusieurs recommandations. Les unes portent sur les conditions dans lesquelles la CNCCFP devrait suivre l'élection présidentielle ; les autres sur le plafond des dépenses électorales pour cette élection ; certaines, enfin, sont relatives à l'encadrement des sanctions prononcées par la CNCCFP.

Sur le premier point, le contrôle doit se rapprocher de la campagne pour l'élection présidentielle. Jusqu'à présent, il s'agit d'un contrôle tardif qui porte sur les comptes déposés à la fin de la campagne, ce qui pose de sérieuses difficultés. Pour l'élection présidentielle, il est impératif de prévenir puisqu'on ne peut pas totalement guérir. La campagne devrait être mieux suivie au jour le jour par des délégués de la commission et les comptes de campagne devraient être présentés sur des bases actualisées en continu. Il est, en outre, nécessaire que la commission s'assure que les canaux de contributions extérieures aux campagnes des candidats ne permettent pas de contourner les règles financières. On pourrait suggérer l'instauration d'un devoir de signalement des experts-comptables ou d'autres intervenants auprès de la commission.

En ce qui concerne le plafond des dépenses électorales, j'observe qu'il est régulièrement supérieur aux dépenses des candidats. Celles-ci sont cependant fréquemment élevées et il y a certainement un lien entre le volume des dépenses et la possibilité pour la commission d'en assurer la vérification de la conformité. Par ailleurs, les moyens nouveaux de communication assurent des possibilités de propagande électorale à moindre coût.

Je propose de baisser le plafond des dépenses de campagne en laissant ouverte la question du taux de remboursement des frais de campagne, qui pourrait être moins sélectif.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions, je relève que, s'il est heureux que la commission soit désormais dotée d'un plus fort pouvoir de modulation, il est souhaitable que, dans ce cadre, elle puisse développer une démarche de minimis relative à ses décisions de rejet, et de structuration plus systématique de sa doctrine. Cela m'apparaît d'autant plus nécessaire que si le juge peut intervenir, il le fait inégalement et parfois avec beaucoup de retard, tandis que la capacité des candidats à défendre leur point de vue devant la commission n'est à ce jour pas également distribuée.

J'en viens aux partis politiques avec deux problématiques différentes : l'encadrement financier des partis et le rôle de la CNCCFP comme régulateur ; le niveau et la distribution de l'aide publique. Sur le premier point, je n'ai pas besoin de vous rappeler que beaucoup a été fait pour encadrer la vie financière des partis. Si la CNCCFP avait traditionnellement une mission limitée de publication des comptes, le renforcement des exigences comptables imposées aux partis a modifié les conditions d'une intervention qui peut se faire de plus en plus profonde.

À cet égard, un événement majeur est intervenu avec l'adoption d'un premier règlement comptable complet des partis politiques doté d'une valeur obligatoire, le règlement de l'autorité des normes comptables du 12 octobre 2018. Une analyse de ce règlement en révèle deux caractéristiques : d'abord, sa fragilité juridique dans la mesure où il n'est pas certain qu'il soit tout à fait à l'abri d'une inconstitutionnalité ; ensuite, les progrès, cependant perfectibles, dont il témoigne. Deux exemples de perfectibilité : les modalités d'intégration comptable des entités liées, la définition du périmètre d'intégration. Néanmoins, avec cet outil, la publication des comptes sera certainement l'occasion d'un travail plus profond de la CNCCFP et d'une plus forte transparence des partis. Sur le second sujet, le niveau de l'aide publique, je ne vous ferai part que de constats objectifs. Chacun en fera ce que bon lui semble. Est-il vraiment satisfaisant que le niveau de l'aide publique soit gelé depuis 2014 ? Est-il réellement satisfaisant que la « prime présidentielle » doublée de la « prime majoritaire » aux élections législatives aboutisse à une répartition plus ou moins fortement déséquilibrée de l'aide ? Qu'une prime majoritaire puisse exister et que la distribution de l'aide ne soit pas strictement proportionnelle à l'influence électorale ne me semble pas choquant, mais il me paraît utile de réduire certains déséquilibres trop manifestes pour être compatibles avec l'objectif de pluralisme poursuivi.

Enfin, est-il vraiment satisfaisant que ni les élections européennes ni surtout les élections territoriales, qui, pour ces dernières tout particulièrement, représentent une partie importante de l'expression démocratique, ne soient prises en compte ? Vous l'avez compris, il s'agit ici de l'adéquation des instruments d'une politique publique avec ses objectifs. Moins de déséquilibres et davantage de considération pour la démocratie locale dans la distribution de l'aide publique.

Comme le problème se situe surtout dans le coefficient multiplicateur des résultats électoraux de la présidentielle en distribution de l'aide au titre des élections législatives, il me semblerait justifié qu'on modère quelque peu le rendement des primes présidentielle et majoritaire en droits sur l'aide publique aux partis.

Deux mots sur le financement « citoyen » et l'accès aux services bancaires pour vous indiquer que l'exercice du droit au compte considéré comme « à peine acceptable » par le médiateur du crédit mérite d'être renforcé et que l'accès au crédit bancaire est promis, en l'état, à ne pas trouver de solution. Le Gouvernement considère qu'il n'y a pas de problème et le médiateur du crédit, s'il admet des difficultés qu'il a d'ailleurs pu constater lors du scrutin européen, n'a pas avancé de solutions décisives dans son premier rapport. Contrairement au Gouvernement, je pense que le financement de la vie politique se heurte à certaines imperfections de marché qui ne sont pas d'ailleurs sans lien avec les déséquilibres sur la distribution de l'aide publique que je viens d'exposer. La résolution partielle de ces déséquilibres et la limitation des dépenses de campagne électorale pour l'élection présidentielle pourraient contribuer à atténuer la difficulté liée à l'accès au crédit. Mais d'autres dispositifs seront sans doute nécessaires. Il ne faut pas fermer le dossier de la banque de la démocratie.

Sur le financement citoyen de la vie politique, qui passe par la réduction fiscale de l'article 200 du code général des impôts, je veux d'abord indiquer qu'il est anormal que la dépense fiscale correspondante ne soit pas systématiquement évaluée. Les concours publics correspondants sont à peu près analogues à ceux octroyés sur crédits publics. Cela vient surtout des cotisations des adhérents et, parmi ces dernières, des cotisations d'élus. Certaines propositions visent à substituer un crédit d'impôt à la réduction fiscale pour les dons et cotisations. Cela permettrait, peut-être, d'élargir la contribution citoyenne au financement de la vie politique. Pour ma part, si je suis plutôt enclin à préconiser cette modification pour les cotisations aux partis politiques, je suis beaucoup plus réservé s'il s'agit de l'étendre aux dons. Nous devons pondérer l'élargissement de la capacité de financement des citoyens avec leur protection contre des démarchages qui présentent des risques évidents.

Vous avez senti que la CNCFFP avait vu ses missions considérablement renforcées. J'estime qu'elle n'en a, globalement, ni suffisamment les moyens humains, ni suffisamment les moyens informatiques, ni suffisamment les moyens juridiques. Le dialogue entre la commission et certaines autorités administratives indépendantes semble trop réduit, alors que des coordinations paraissent s'imposer. Une seule demande, semble-t-il, a été présentée au CSA dans le cadre des récents rendez-vous électoraux.

Au-delà de ce constat, j'observe que les procédures mises en oeuvre par la commission, de définition largement prétorienne, sont perfectibles malgré certaines améliorations notables. En particulier, le contradictoire devrait être mieux formalisé et un second degré de délibération devrait pouvoir être plus systématiquement mobilisé. La commission gagnerait sans doute à disposer de la possibilité de demander des avis à un conseil de sages ayant eu l'expérience de la vie politique. Elle pourrait également mieux accompagner les candidats. Une procédure de rescrit pourrait être envisagée en ce sens.

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