Intervention de Mathilde Guergoat-Larivière

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 février 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur les enjeux de la réforme des retraites pour les femmes

Mathilde Guergoat-Larivière, maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers et chercheuse au Centre d'études de l'emploi et du travail :

Merci beaucoup. En ce qui concerne la prise en compte des enfants pour calculer la retraite des mères, j'aimerais rappeler plusieurs éléments. Le projet de loi propose un changement qui consiste à passer de la validation de trimestres, même s'ils ne sont pas cotisés, à une majoration de la pension. Ce changement de principe fait qu'il n'est pas évident de comparer les deux options, en particulier pour la raison que j'évoquais dans la tribune parue dans Le Monde le 6 février dernier, à savoir que nous n'avons pas, dans l'étude d'impact du gouvernement, de cas types de trajectoires de femmes qui permettraient d'étudier les effets de la présence d'un ou plusieurs enfants sur leur retraite.

Malgré cela, nous pouvons mettre en avant des conséquences de ce changement. Il y aura un effet sur la durée de travail nécessaire pour atteindre le taux plein si les deux années complémentaires ne sont plus attribuées dans le secteur privé. Ce dispositif, qui permettait à certaines femmes d'atteindre plus rapidement le taux plein disparaît. En revanche, une majoration de 5 % par enfant est attribuée aux parents, avec une précision qui a été apportée tardivement visant à garantir un minimum de 2,5 % pour la mère, ce qui est positif.

Cependant, si une personne prend sa retraite avant l'âge d'équilibre, qui est fixé à 65 ans, une décote de 5 % par an sera appliquée. Si l'on fait l'hypothèse que la mère prendra la totalité des 5 % de majoration, ces 5 % accordés pour le fait d'avoir eu un enfant pourraient annuler un an de décote. Dans ce cas, un raisonnement basique amène à la conclusion que les enfants « rapportent » moins qu'avant, puisqu'ils permettraient de gagner un an et non plus deux. Cela suppose de surcroît que la mère prenne l'intégralité des 5 % de majoration, ce qui n'est pas garanti.

En termes redistributifs, le fait de majorer la pension au lieu d'accorder de la durée a un effet sur le montant donné à chaque mère en fonction de son salaire. Cela peut effectivement générer des inégalités ou des décalages entre les mères en fonction de leur niveau de salaire. Chaque enfant ne « rapportera » pas le même montant à la mère puisque cela dépendra du niveau de salaire de la mère. Nous touchons ici à des questions de nature politique qui sont courantes en matière de politique fiscale : faut-il forfaitiser ou conserver une bonification proportionnelle au salaire ? Il n'y a pas forcément de bonne réponse économique. Il s'agit de choix politiques.

En outre, sur le sujet de l'attribution d'une pension de réversion aux couples pacsés ou non mariés, on observe actuellement qu'une majorité du « stock », c'est-à-dire de la population concernée par la réversion, est constituée de couples mariés.En termes de flux, l'effet est inverse, puisque l'on constate moins de mariages dans les plus jeunes générations. Les travaux qui étudient la répartition des temps consacrés aux tâches domestiques et parentales montrent par ailleurs qu'il existe peu de différence selon le statut marital du couple. Le fait de vivre en union libre ou pacsé n'est pas vecteur d'une meilleure répartition des tâches au sein du couple.

Par conséquent, il est pertinent de s'interroger sur la possibilité d'étendre certains dispositifs aux couples pacsés ou en union libre. Si nous raisonnons en termes de flux, nous constatons qu'il y a eu en 2016 presque autant de PACS que de mariages. Cependant, la commission spéciale de l'Assemblée nationale a écarté cette option. La faisabilité et le coût d'une telle mesure doivent être précisés. Plus le nombre de personnes entrant dans le système augmente, plus le coût croît également. Cela signifie qu'il faut trouver d'autres moyens si l'on raisonne à enveloppe constante.

Pour autant, il est essentiel de se poser une telle question dès à présent puisque nous observons que des couples qui ont été longtemps pacsés décident de se marier à l'âge de la retraite pour profiter de la réversion. Si cette pratique se généralise, elle engendrera un problème de financement que nous devons anticiper.

Quant à la réforme suédoise, son analyse montre une baisse des pensions versées. Les mécanismes qui ont été avancés pour expliquer cette évolution pourraient être observés en France si la réforme était adoptée. En effet, les raisons mises en avant pour expliquer la baisse des pensions en Suède sont les suivantes : tout d'abord, le système prend en compte toutes les années pour le calcul de la pension et non plus les vingt-cinq (pour la France) ou trente (pour la Suède avant la réforme) meilleures années.

En outre, nous constatons un effet de l'âge de départ qui pourrait s'appliquer aussi dans le cas français. Les personnes qui ont arrêté de travailler plus tôt ont obtenu de moins bonnes pensions dans le nouveau système. Enfin, il y a eu un effet non négligeable de l'augmentation de l'espérance de vie qui est prise en compte dans le calcul de la valeur du point en Suède. En France, un décalage de l'âge d'équilibre est prévu selon l'espérance de vie. Par conséquent, des problèmes similaires à ceux rencontrés en Suède pourraient survenir en France.

Je n'ai pas d'éléments de réponse sur la situation en Belgique. La réforme des retraites n'y est pas réellement portée politiquement, me semble-t-il.

Les critères de pénibilité sont un élément important de la réforme en France. Comme je l'ai indiqué dans ma tribune, il faut essayer d'utiliser les indicateurs statistiques et les outils adaptés pour comprendre les situations relatives des femmes et des hommes. Certains indicateurs apparemment neutres et pourtant fréquemment utilisés peuvent invisibiliser la situation des femmes dans laquelle la pénibilité est un risque.

En effet, les critères de pénibilité ont été construits historiquement par référence à la pénibilité de métiers masculins. De plus, parmi les quatre critères qui ont été sortis de la définition juridique de la pénibilité, certains concernent potentiellement les femmes, comme le port de charges lourdes, qui est présent dans les métiers du care, comme vous le souligniez, et le risque chimique qui existe aussi dans ces métiers.

D'autres risques sont observés lorsque nous comparons la situation entre les hommes et les femmes, qui ne sont pas exposés au même type de pénibilité, comme plusieurs enquêtes le montrent (voir l'enquête Sumer réalisée auprès des médecins du travail). En effet, les femmes font plus souvent face à ce que l'on appelle le « job strain », c'est-à-dire la combinaison d'une forte demande et de peu de latitude pour y répondre. Cela crée une tension dans l'exercice du travail. Le job strain est particulièrement important dans certains métiers du care que vous avez mentionné, notamment chez les aides-soignants et les aides-soignantes.

Les critères de pénibilité actuels sont donc relativement restrictifs et ne concernent que 3 % des salariés du privé. De plus, ils concernent les hommes à hauteur de 75 %. Par conséquent, il faudrait réfléchir aux autres types de critères que nous pourrions intégrer pour mieux prendre en compte les pénibilités des métiers qui sont essentiellement occupés par des femmes.

Enfin, les possibilités de départs anticipés pour les emplois relevant de la « catégorie active » de la fonction publique, notamment ceux de la fonction publique hospitalière, comme les infirmières ou les aides-soignantes, seront supprimées . Cela soulève des inquiétudes.

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