Intervention de Gérard Lasfargues

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 3 mars 2020 à 15h50
Audition de M. Gérard Lasfargues directeur général délégué du « pôle sciences pour l'expertise » de M. Matthieu Schuler directeur de l'évaluation des risques et de Mme Aurélie Mathieu cheffe de projet à la direction de l'évaluation des risques de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses

Gérard Lasfargues, directeur général délégué du « Pôle Sciences pour l'expertise » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) :

Je commencerai par vous présenter le champ d'expertise de l'ANSéS, s'agissant en particulier des substances chimiques ou des sites et sols pollués afin de distinguer son rôle de celui des autres agences de sécurité sanitaire, comme l'agence Santé publique France.

Le rôle de l'ANSéS est d'évaluer les dangers, les expositions et les risques résultant du croisement entre un danger et une exposition. Ces risques peuvent être liés aux agents biologiques, chimiques ou physiques (bruits, vibrations, par exemple). Nous exerçons également une activité de veille et de vigilance dans de nombreux champs. Nous faisons ainsi de la toxicovigilance, de la nutrivigilance, de la phytopharmacovigilance. Nous avons également un réseau de vigilance sur les pathologies professionnelles et environnementales.

Nos missions sont la sécurité sanitaire humaine et l'évaluation des risques dans les domaines de l'environnement, du travail et de l'alimentation. Notre approche est très intégrative, du type « One Health », puisque nous sommes chargés de la protection sanitaire de l'homme, de l'animal et des végétaux. Aujourd'hui, 900 experts travaillent en externe pour l'agence, dans nos collectifs. Ils sont aussi bien toxicologues, chimistes, vétérinaires, médecins que biologistes ou experts en sciences humaines et sociales.

Notre approche est fondée sur les expositions, c'est-à-dire les milieux - l'air, l'eau, les sols, l'environnement - ainsi que sur les produits et les substances chimiques, à la différence de Santé publique France, qui, elle, a une approche populationnelle basée sur la surveillance des pathologies dans les populations.

L'ANSéS, qui est placée sous la tutelle de cinq ministères, est en lien avec cinq grandes directions générales : la direction générale de la santé, celle de l'alimentation au ministère de l'agriculture, celle de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au ministère de l'économie, la direction générale du travail, la direction générale de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire. Aujourd'hui, entre 80 % et 85 % des saisines de l'ANSéS émanent de ces ministères. L'ANSéS peut également être saisie par les organismes représentés au sein de son conseil d'administration, par exemple les associations de défense des consommateurs ou de protection de l'environnement, ou par les partenaires sociaux. Elle peut également s'autosaisir afin d'anticiper certains sujets émergents entrant dans son champ d'expertise.

Notre méthode d'expertise est reconnue, standardisée et certifiée conforme à la norme expérimentale NF X 50-110. Elle est collective, indépendante, pluraliste et contradictoire. Elle s'appuie sur des comités d'experts spécialisés dans différents champs. Nous effectuons également des études et nous gérons les bases de données nécessaires à nos travaux d'expertise. Je l'ai dit, nous coordonnons des réseaux de vigilance, de veille et d'alerte. Nous avons mis en place une charte d'ouverture à la société et des comités de dialogue avec les parties prenantes sur des sujets de controverse ou d'incertitude, comme les radiofréquences, les nanomatériaux et les produits phytopharmaceutiques. Enfin, des comités d'orientation thématiques sont chargés de discuter le programme de travail annuel de l'agence.

Nous évaluons la toxicité de substances chimiques et nous élaborons des valeurs sanitaires de référence pour protéger les populations, sur lesquelles je reviendrai. Ces valeurs servent ensuite aux instances qui ont à gérer des problématiques liées à des sites ou à des sols pollués à l'échelon territorial. Nous caractérisons aussi les expositions, qu'elles soient alimentaires, environnementales ou professionnelles. Nos réseaux de vigilance nous permettent d'avoir des données régulières sur des expositions ou intoxications à un certain nombre de substances.

N'ayant pas d'antennes dans les régions, nous n'avons pas d'actions sur les sites et sols pollués. Dans ce type de situations, nous élaborons des valeurs sanitaires de référence et nous mettons à jour la base de données de ces valeurs sur le portail des substances chimiques de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Ce qui est important pour évaluer les risques c'est de connaître comment les gens sont exposés et à quels niveaux. Ce sont les données d'exposition de la population qui font le plus souvent défaut. Nous expertisons les données d'exposition des populations, nous calculons les valeurs toxicologiques de référence pour les différentes voies d'exposition. À partir de nos connaissances sur les dangers des substances incriminées et sur les expositions potentielles des populations, nous modélisons des scénarios d'exposition et procédons à une véritable évaluation des risques.

Nous expertisons également les effets sanitaires du climat et du changement climatique. Les particularités hydrologiques et géologiques d'un site pollué, ainsi que les effets du climat, peuvent en effet modifier les variables d'exposition de la population.

Je reviens sur les valeurs toxicologiques de référence, qui sont au coeur de notre champ d'action en matière de sites et de sols pollués. Ces valeurs permettent de mesurer l'effet sanitaire chez l'homme d'une exposition à une substance chimique. Cette valeur est spécifique à une substance, mais aussi à une voie d'exposition, par voie orale ou respiratoire, et à une durée d'exposition - aiguë, intermédiaire ou chronique. Cette valeur n'est donc pas spécifique à un milieu - l'air, le sol, l'eau ou les aliments. Elle est construite pour protéger le plus possible de l'effet toxique aux plus faibles doses testées. On identifie les données d'études dans la littérature scientifique mettant en évidence un effet sanitaire à la dose la plus faible possible. Les populations sensibles - les enfants, les femmes enceintes - sont prises en compte dans le calcul.

Il existe deux grands types de valeurs toxicologiques de référence : les valeurs à seuil et les valeurs sans seuil. Les valeurs à seuil signifient qu'un effet ne survient que si une dose de la substance d'exposition est atteinte et dépasse les capacités de détoxication de l'organisme. La gravité dépend ensuite de la dose de substance reçue par la personne par les différentes voies possibles. Les valeurs toxicologiques de référence sans seuil signifient qu'un effet est susceptible d'apparaître, quelle que soit la dose reçue, l'effet augmentant avec la dose. On peut ainsi évaluer la probabilité de survenue d'un effet chez une population. À titre d'exemple, pour le trichloréthylène, qui est un solvant chloré toxique pouvant provoquer des atteintes rénales et des cancers, on calcule une valeur toxicologique sans seuil, exprimée en microgrammes par mètre cube, ou par kilo par jour. Une valeur de 1 microgramme par mètre cube, pour un risque de 10-6, signifie un cancer en plus pour une population d'un million de personnes ; une valeur de 10 microgrammes par mètre cube signifie un cancer en plus pour une population de 100 000 personnes ; une valeur de 100 microgrammes par mètre cube un cancer en plus pour une population de 10 000 personnes. En santé publique, on admet en général un excès de pathologie grave pour un million de personnes, mais pas pour 100 000, 10 000 ou 1 000 personnes. Ces valeurs sont donc importantes.

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