Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 19 mars 2020 à 9h45
Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 — Demande de saisine désignation d'un rapporteur et examen du rapport pour avis

Photo de Alain MilonAlain Milon, président, rapporteur pour avis :

Deux principes ont guidé l'examen de ce texte destiné à adapter notre droit à des circonstances exceptionnelles : la nécessité et la proportionnalité, avec le souci de ne pas aller plus loin que ce que nous prescrit la situation difficile que nous vivons et que nous allons vivre encore pendant une période indéterminée.

Sous le prisme de ces deux principes, il me semble que les dispositions de l'article 7, sur lesquelles je reviendrai, sont nécessaires et proportionnées, à deux exceptions près. Sur le titre II, en revanche, il est légitimement permis de s'interroger sur la nécessité de mettre en place un nouveau dispositif s'ajoutant au droit actuel.

Le Conseil d'État a ainsi rappelé que le régime d'exception que connaît notre pays depuis plusieurs jours n'était pas dépourvu de base juridique : le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 a été pris par le Premier ministre « sur le fondement de ses pouvoirs de police générale » tandis que l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 l'a été par le ministre de la santé sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, qui lui confère des pouvoirs spécifiques « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie » pour prendre « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu » afin de prévenir et de limiter les conséquences sur la santé de la population.

À la question de la nécessité de prévoir un nouveau régime juridique, le Conseil d'État a néanmoins répondu par l'affirmative dans les termes suivants : « l'existence d'une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l'état d'urgence pour disposer d'un cadre organisé et clair d'intervention en pareille hypothèse. »

L'instauration d'un régime particulier de l'état d'urgence, c'est ce à quoi procède le titre II du projet de loi. Il crée, au sein du code de la santé publique, un nouveau chapitre composé de neuf articles, lequel transpose très largement dans le champ sanitaire les dispositions de la loi de 1955 sur l'état d'urgence avec, toutefois, des délais différents.

L'article L. 3131-20 définit l'état d'urgence sanitaire, qui peut être déclaré « en cas de catastrophe sanitaire, notamment d'épidémie mettant en péril par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».

La déclaration de l'état d'urgence sanitaire repose sur un décret en Conseil des ministres, la spécificité étant que celui-ci est pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. À l'instar des arrêtés ministériels pris sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, ce décret doit être motivé, ce qui n'est pas expressément prévu par la loi de 1955.

Le décret détermine les « circonscriptions territoriales » dans lesquelles il entre en vigueur, étant précisé que, à l'intérieur de celles-ci, les zones où l'état d'urgence sanitaire s'applique sont fixées par décret pris sur le rapport du même ministre chargé de la santé. En revanche, seule la loi peut autoriser la prorogation de l'état d'urgence au-delà d'un délai d'un mois, un décret en conseil des ministres pouvant toutefois y mettre fin de manière anticipée.

La déclaration de l'état d'urgence sanitaire donne au Premier ministre « le pouvoir de prendre par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, les mesures générales limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services nécessaires afin de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-20. Ces mesures peuvent inclure l'interdiction du déplacement de toute personne hors de son domicile dans la zone géographique qu'elles déterminent ».

L'état d'urgence sanitaire se décline sur le plan sectoriel, avec des compétences du ministre chargé de la santé, et sur le plan géographique, avec des compétences dévolues aux préfets.

Le texte consacre par ailleurs au rang législatif le comité scientifique mis en place il y a quelques jours et présidé par Jean-François Delfraissy.

Ce nouveau dispositif ne se substitue pas à celui qui est prévu par l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, mais s'y ajoute ; cet article sert désormais également de support aux mesures susceptibles d'être prises en fin d'épidémie, après la fin de l'état d'urgence sanitaire.

Sur l'état d'urgence sanitaire, je formulerai plusieurs observations.

Tout d'abord, il est difficile d'élaborer un dispositif pérenne dans les conditions d'examen qui sont celles de ce projet de loi. Ma préférence serait allée à un dispositif temporaire, limité à l'épidémie qui nous occupe et qui définirait plus précisément les mesures susceptibles d'être prises par les différentes autorités administratives. Tout en répondant aux objectifs poursuivis avec le projet de loi, un tel dispositif aurait permis de les atteindre de façon beaucoup plus proportionnée et donc plus respectueuse des droits et libertés de nos concitoyens.

J'ai échangé sur ce sujet avec le président Bas, qui envisage de cadrer davantage le dispositif. Aussi, je ne vous proposerai pas d'amendement, vous suggérant de nous en remettre à la solution qui sera dégagée par la commission des lois.

J'en viens maintenant aux dispositions de l'article 7 du projet de loi qui intéressent les compétences de notre commission. Elles habilitent le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans les domaines suivants : le recours à l'activité partielle et son financement ; les modalités d'attribution de l'indemnité complémentaire prévue par le code du travail en cas d'arrêt de travail ; certains aspects du régime des congés payés ; dans certains secteurs, des dérogations à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ; les dates et les modalités de versement de l'intéressement ; l'adaptation de certaines règles de santé au travail ; l'organisation des élections dans les très petites entreprises (TPE) ; les modalités d'information et de consultation du Comité social et économique (CSE) ; des dispositions relatives à la formation professionnelle et à l'apprentissage ; l'augmentation du nombre d'enfants pouvant être confiés aux assistantes maternelles et l'information des parents sur les places disponibles ; la prise en charge en établissement ou service social et médico-social (ESMS) et le bénéfice des droits et prestations destinés aux personnes âgées, handicapées ou en situation de pauvreté ; la garantie de la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et à leurs droits, notamment en matière de prise en charge des frais de santé, de prestations familiales, d'assurances sociales et d'aides personnelles au logement ; et la continuité de l'indemnisation des victimes éligibles à une indemnisation au titre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).

Cette liste peut paraître fort longue et il ne fait pas de doute qu'elle est un assemblage de mesures diverses, reflet des difficultés identifiées par les différents ministères.

Pour autant que l'on puisse en juger à la lecture d'intitulés parfois peu précis, ces mesures répondent à des besoins clairement identifiés et elles sont nécessaires. Je vous proposerai de les approuver en l'état, à l'exception de modifications rédactionnelles, sauf pour deux d'entre elles.

Comme vous vous en souvenez certainement, l'article 49 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 avait pour objet la mise à disposition par les assistantes maternelles de renseignements relatifs à leurs capacités d'accueil sur le site mon-enfant.fr. Notre commission avait soutenu cette mesure, tout en précisant que le défaut de renseignement ne pouvait à lui seul justifier un retrait d'agrément. L'article ayant été censuré comme cavalier social par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement réintroduit la disposition dans l'habilitation, en précisant qu'elle est particulièrement utile dans le contexte de l'épidémie. Je comprends l'objectif, mais tel n'est pas l'objet de ce projet de loi. C'est pourquoi je vous propose de relier plus directement la mesure au contexte de l'épidémie : il s'agit de favoriser la garde d'enfants des personnes qui, pour des raisons professionnelles, ne peuvent l'assurer à domicile, comme les soignants, les membres des forces de l'ordre ou tous ceux qui doivent se rendre sur leur lieu de travail pour assurer la continuité de l'activité d'entreprises essentielles à la vie du pays.

Je sais qu'une autre habilitation suscite des inquiétudes ; je veux parler de celle qui aménage les règles relatives aux congés payés. Les congés payés sont un élément emblématique de nos conquêtes sociales, et il peut sembler exorbitant de permettre à l'employeur de les fixer unilatéralement. Je rappelle que ce régime est très encadré, notamment par les règles européennes et que nous ne saurions y déroger trop fortement. Toutefois, la dérogation pourrait, le cas échéant, être plus favorable au salarié dans la mesure où les congés payés procurent une rémunération supérieure au chômage partiel, même amélioré. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement pour limiter à six jours ouvrables la durée des congés concernés.

Telles sont, mes chers collègues, les principales observations qu'appellent les dispositions du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 et à l'adoption duquel je vous propose de donner un avis favorable.

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