Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 mars 2020 à 11h10
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Examen du rapport

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Alors que la France est confrontée à une crise sanitaire sans précédent, mes premières pensées vont naturellement aux victimes de cette épidémie, ainsi qu'à l'ensemble des soignants qui s'efforcent jour et nuit d'en limiter l'ampleur. Je tiens également à vous remercier pour votre présence et à saluer nos collègues qui n'ont pas pu être là, du fait des mesures de distanciation sociale que nous sommes contraints de mettre en oeuvre au Sénat comme partout ailleurs dans le pays.

Nous sommes réunis ce matin pour examiner en urgence un projet de loi de finances rectificative déposé il y a deux jours seulement et dont il y a fort à parier qu'il sera le premier d'une longue série. Il ne s'agit pas d'un plan de relance, mais plutôt d'un plan de sauvetage.

Le Gouvernement a dû revoir considérablement son scénario macroéconomique. Il tablait initialement sur une croissance de 1,3 % en 2020. Cette hypothèse était déjà compromise par le recul surprise du PIB de 0,1 % enregistré au dernier semestre de l'année 2019. Avec la crise sanitaire, elle est désormais caduque. La propagation du coronavirus à l'échelle mondiale, qui a conduit à la mise en oeuvre de mesures de confinement de plus en plus strictes en France et à travers le monde, constitue un choc d'une ampleur inédite depuis 2009. Nous avions dû à l'époque adopter successivement plusieurs lois de finances rectificatives.

L'économie française est confrontée à la fois à un choc d'offre, lié principalement aux absences au travail et à la perturbation des chaînes de production, et à un choc de demande, dû au report des décisions de consommation et d'investissement des agents économiques ainsi qu'à la contraction de la demande de nos partenaires commerciaux.

À ce stade, il est toutefois très difficile d'apprécier l'effet cumulé de ces différents chocs sur la croissance. J'observe d'ailleurs que l'Insee et la Banque de France ont temporairement renoncé à leur exercice de prévision habituel.

Pour sa part, le Gouvernement anticipe désormais un recul du PIB de 1 % en 2020. Il s'agirait du deuxième plus fort recul du PIB de l'après-guerre, juste derrière l'année 2009. Dans son exposé général, le Gouvernement suggère que cette nouvelle hypothèse présenterait un caractère central au regard des estimations disponibles. Toutefois, les évaluations de l'OCDE et de la Banque centrale européenne (BCE) auxquelles se réfère le Gouvernement apparaissent déjà datées. En effet, plusieurs développements intervenus depuis lors indiquent que le recul du PIB pourrait être plus fort qu'anticipé, notamment si la durée du confinement s'avère plus longue que prévu.

Tout d'abord, les premières données chinoises sur le ralentissement observé au cours des deux premiers mois de l'année suggèrent un effet économique des mesures de confinement nettement plus fort qu'escompté. Certains analystes anticipent désormais un recul de l'activité de 10 % en Chine sur le premier trimestre.

En outre, le scénario de croissance du Gouvernement repose sur deux hypothèses fortes qui sont tout sauf acquises, à savoir un confinement limité à un mois et un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère. Le Haut Conseil des finances publiques a d'ailleurs souligné la fragilité de ces hypothèses dans son avis.

Au regard des évolutions des derniers jours, la prévision du Gouvernement me paraît en réalité plutôt optimiste et se situer dans la fourchette haute des estimations. Si l'hypothèse retenue est très proche de celle qui a été présentée le 13 mars dernier par la Commission européenne et de celle qui a été retenue par Goldman Sachs le 16 mars, d'autres banques et instituts sont désormais beaucoup plus pessimistes. La banque américaine Morgan Stanley anticipe par exemple un recul de l'activité de 4,8 % en France en 2020. Un recul du PIB nettement plus fort qu'anticipé ne peut donc pas être exclu.

J'en viens maintenant aux effets de la crise sanitaire sur la trajectoire de redressement des comptes publics et à l'analyse de la stratégie budgétaire du Gouvernement.

Cette crise sanitaire intervient dans un contexte budgétaire malheureusement contraint. Dans le cadre de nos travaux, nous avons régulièrement souligné que le choix des majorités successives de reporter l'ajustement structurel des comptes publics risquait de rendre l'économie française vulnérable face aux chocs. Nous y sommes ! Pour ne donner qu'un chiffre, la France est, avec l'Italie, le seul grand pays de la zone euro dont la part de la dette dans la richesse nationale a augmenté entre 2014 et 2019. L'écart avec l'Allemagne atteint désormais 40 points de PIB. Vous connaissez tout cela par coeur.

Faut-il pour autant que l'État renonce à soutenir les entreprises et les salariés ? Évidemment que non.

L'absence de mesures de soutien risquerait tout d'abord de dégrader durablement les perspectives de croissance de l'économie française.

En outre, la France dispose de deux atouts pour mener à bien ces mesures de soutien. Tout d'abord, elle continue de bénéficier d'un haut degré de confiance sur les marchés financiers. L'écart de coût de financement avec l'Allemagne se situe à un niveau très faible - 40 points de base - par rapport à la plupart des pays voisins et au point haut atteint lors de la crise des dettes souveraines - 190 points de base fin 2011. Enfin, la France peut compter sur le plein soutien de la BCE, qui a d'ailleurs annoncé avant-hier un nouveau programme d'achat d'obligations à hauteur de 750 milliards d'euros, en réponse au durcissement des conditions de financement qui commençait à se matérialiser.

Dans ce contexte, je partage la stratégie budgétaire de soutien proposée par le Gouvernement, qui comporte deux volets. Tout d'abord, laisser jouer les « stabilisateurs automatiques », en ne cherchant pas à augmenter les impôts ou à diminuer les dépenses pour atteindre les objectifs budgétaires initialement fixés pour 2020. La faiblesse de la croissance va en effet se traduire naturellement par une perte de recettes et une augmentation des dépenses sociales. Ainsi, la dégradation de la conjoncture pèse sur le déficit public à hauteur de 1,4 point de PIB.

En complément, des mesures de soutien budgétaire à vocation « défensive » ont été légitimement annoncées par le Gouvernement afin de permettre aux entreprises et aux travailleurs de surmonter le choc temporaire lié aux mesures de confinement.

Le Gouvernement communique sur un montant de 45 milliards d'euros de mesures de soutien immédiates et met par ailleurs en avant les 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'État - une loi de finances rectificative était donc nécessaire, un décret d'avance budgétaire n'aurait pas suffi.

L'impact de ce « paquet » de mesures sur les indicateurs maastrichtiens est nettement plus faible à ce stade, car l'essentiel des mesures de soutien consiste en un simple étalement de charges fiscales et sociales, tandis que les garanties constituent un engagement « hors bilan » de l'État.

Le coût budgétaire au titre de l'exercice 2020 pris en compte par le Gouvernement se limite ainsi à 11,5 milliards d'euros : 8,5 milliards d'euros pour le dispositif exceptionnel de chômage partiel - État et Unédic - ; 2 milliards d'euros pour les dépenses additionnelles de santé et 1 milliard d'euros pour le fonds de solidarité en faveur des très petites entreprises (TPE).

Au total, la prévision de déficit public s'en trouve d'ores et déjà fortement dégradée, passant de 2,2 % du PIB initialement prévu à 3,9 % du PIB à l'issue de l'exercice 2020. Le dépassement du seuil de 3 % du PIB ne conduira toutefois pas à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif, dès lors que la Commission européenne a indiqué être prête à activer la « clause de sauvegarde » prévue par les traités.

Il peut être noté que le Gouvernement n'a pas souhaité communiquer sur l'évolution de sa prévision d'endettement. Interrogé sur ce point, il a seulement indiqué que « la dette publique dépassera les 100 points de PIB cette année ». Je l'estime pour ma part à 102,5 % du PIB, en tenant compte de la dégradation de la croissance et des mesures de soutien.

Il y a néanmoins fort à parier que le scénario gouvernemental sera, de nouveau, substantiellement modifié dans les prochaines semaines, tant celui-ci apparaît soumis à des aléas d'une ampleur inédite.

La prévision de croissance constitue naturellement la principale source d'interrogation. À titre d'illustration, un recul de 5 % du PIB en 2020, tel qu'envisagé par les instituts de conjoncture les plus pessimistes, pèserait à hauteur de 2,4 points de PIB supplémentaires sur le déficit public de 2020, ce qui porterait ce dernier à 6,3 % du PIB, soit un niveau comparable à celui qui a été atteint pendant la crise de 2009.

À prévision de croissance inchangée, l'élasticité des recettes à la conjoncture constitue également un aléa notable. En effet, le Gouvernement table sur une élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité économique unitaire, alors que l'élasticité est généralement faible lorsque l'économie ralentit.

Le coût des mesures de soutien annoncées pour faire face à la crise sanitaire constitue un troisième aléa majeur. En effet, le scénario budgétaire retenu pour l'exercice de 2020 suppose que les charges sociales et fiscales décalées soient intégralement remboursées et que les garanties octroyées ne soient pas appelées. Si tel n'était pas le cas, les indicateurs budgétaires maastrichtiens seraient grevés d'autant. Or, il est à craindre que de nombreuses entreprises fassent faillite et le mécanisme de soutien exclut les entreprises qui sont déjà placées sous le coup de la procédure de sauvegarde.

En outre, le calibrage des mesures de soutien « défensives » pourrait être revu à la hausse en fonction de la durée des mesures de confinement, en particulier s'agissant du dispositif rénové de chômage partiel.

Enfin, il ne peut être exclu que le Gouvernement décide dans les prochains mois de mettre en oeuvre des mesures de soutien « offensives », une fois l'épidémie du coronavirus endiguée. Après avoir « sauvé » le tissu économique, il conviendra probablement de mettre en oeuvre un plan de relance.

S'agissant à présent du budget de l'État et des articles du projet de loi de finances rectificative, je ne remettrai pas en cause les mesures proposées, qui ont pour objet de soutenir une économie qui risque de s'arrêter. Comme je viens de le rappeler, je ne peux toutefois que constater que l'absence de rétablissement des comptes de l'État depuis 2017 a conduit à priver le Gouvernement de toute marge de manoeuvre.

Les mesures présentées dégraderaient donc le solde budgétaire de l'État de 15,4 milliards d'euros, ce qui conduirait à amener le déficit budgétaire à un niveau de 108,5 milliards d'euros, contre 93,1 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale. Le déficit budgétaire serait même de 109 milliards d'euros, l'Assemblée nationale ayant pris en compte, à la demande du Gouvernement, la baisse prévisible des recettes du contrôle et de l'exploitation aériens.

Cet impact porterait à la fois sur les recettes et sur les dépenses.

S'agissant des recettes, les prévisions sont particulièrement imprécises, car il est impossible à ce stade de savoir quelles seront les conséquences exactes de la crise sanitaire sur le rendement des impôts. Le texte prévoit donc une diminution de 10,7 milliards d'euros des recettes fiscales nettes, mais cela semble difficile à concevoir, car, en 2009, la perte de recettes fiscales avait été de 45 milliards d'euros.

Les deux impôts les plus affectés seraient l'impôt sur les sociétés (IS), à hauteur de 6,6 milliards d'euros, et la TVA, pour un montant de 2,2 milliards d'euros. Le rendement de l'impôt sur le revenu brut, avant prise en compte des remboursements et dégrèvements, serait quasiment identique à la prévision, ce qui peut surprendre compte tenu de l'effet potentiel de la crise sur les salaires versés. En outre, la part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) revenant à l'État n'évoluerait pas, malgré une évidente chute considérable de la consommation de carburant. D'après le Gouvernement, les autres affectataires subiraient cette baisse, or il s'agit des collectivités territoriales. Les mécanismes exacts devront être mieux expliqués et je ne manquerai pas d'interroger le gouvernement sur ce point.

S'agissant des dépenses, le texte que nous examinons comporte trois séries de mesures qui, toutes, tendent à soutenir l'activité des entreprises. Il s'agit donc non pas d'un plan de relance, mais plutôt d'un « plan de sauvetage » : c'est plus tard qu'il faudra aider les entreprises, en contribuant à relancer l'économie.

Deux mesures sont portées par une nouvelle mission budgétaire intitulée « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». Il faut, me semble-t-il, approuver la création d'une mission budgétaire spécifique, comme cela avait été le cas pour le plan de relance de l'économie en 2009. Les crédits seront ainsi sanctuarisés et traçables au travers des documents budgétaires.

Au sein de cette mission, le programme 356 « Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire » porte les crédits alloués par l'État au dispositif de soutien exceptionnel au chômage partiel. J'en rappellerai les principaux points : alors que le dispositif de droit commun s'arrête au niveau du SMIC, celui-ci soutiendra les salaires jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Concrètement, l'entreprise verse une indemnité égale à 70 % du salaire brut, soit environ 84 % du salaire net, à ses salariés concernés. Les salariés au SMIC ou moins sont indemnisés à 100 %. L'entreprise sera entièrement remboursée par l'État, pour les salaires jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Le coût budgétaire de ce dispositif, environ 8,5 milliards d'euros sur deux mois d'application, serait porté par l'État à hauteur de 5,5 milliards d'euros et par l'Unédic pour le complément, ce qui pourrait d'ailleurs porter atteinte au rétablissement des comptes de cet organisme.

Il convient sans doute d'approuver ce dispositif. Il a été massivement mis en place par l'Allemagne lors de la crise de 2008, ce qui a favorisé le maintien de l'emploi dans le pays. Soyons toutefois conscients que le coût final sera probablement supérieur si le dispositif est prolongé.

Le programme 357 « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire » prévoit la création d'un fonds spécifique à destination des très petites entreprises dont l'activité est fortement touchée par la crise sanitaire. Les bénéficiaires seraient des entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million d'euros, qui connaissent une situation critique en raison des conséquences économiques de la crise sanitaire, malgré les effets des autres dispositifs d'accompagnement, et qui ont perdu 70 % de leur chiffre d'affaires en mars par rapport à l'année précédente. L'aide sera de 1 500 euros - c'est peu pour sauver une entreprise ! - sur déclaration, ou supérieure à ce montant sur présentation d'un dossier. Le coût total serait de 1 milliard d'euros, dont un quart serait mis à la charge des régions, voire de certaines grandes entreprises.

Là encore, le dispositif est loin d'être cadré. Si le texte évoque quelques secteurs comme la restauration et l'hôtellerie, il faudra mettre l'accent sur les effets de la crise sur la situation économique des entreprises, plus que sur leur appartenance à tel ou tel secteur. Nombre d'artisans, de petites entreprises de construction ou encore d'agriculteurs sont et seront affectés par les mesures de confinement. En outre, le seuil de 1 million d'euros de chiffre d'affaires, qui est égal à la moitié du seuil d'appartenance à la catégorie des micro-entreprises, paraît bien bas et assez arbitraire. Le seuil de 70 % de pertes, nécessaire pour bénéficier des aides, est-il lui aussi adapté ou faudra-t-il l'abaisser ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion