Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce projet de loi de finances rectificative pour 2020, vous poursuivez cet après-midi l’examen des textes d’urgence que le Gouvernement soumet à l’approbation du Parlement, dans les conditions inédites et dramatiques de guerre sanitaire – et désormais économique – que connaît notre pays, et ce quelques semaines seulement après le vote de votre assemblée sur le budget de la Nation.
Le Président de la République s’est engagé à déployer tous les moyens nécessaires à la préservation de l’économie de notre pays, du revenu des ménages et des salariés. C’est en effet – l’histoire l’a montré en 2008 – la meilleure façon de faire repartir l’économie et d’assurer un rebond au lendemain de la très grave crise sanitaire que nous vivons.
Tous les moyens annoncés sont nécessaires. Ce sont en tout 45 milliards d’euros d’aides aux entreprises et aux salariés que le Gouvernement mobilise pour maintenir l’emploi et pour éviter au maximum les accidents de trésorerie qui pourraient leur être fatals, et ce quels que soient les entreprises, les secteurs et les territoires géographiques concernés.
Le projet de loi de finances rectificative est le second pilier du dispositif, le premier étant constitué des deux projets de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, débattus hier, jusque tard dans la nuit.
Dès la semaine dernière, nous avons pris des mesures à la fois réglementaires et « d’habitude », afin de permettre aux entreprises qui le souhaitent, en raison de leurs difficultés, de reporter immédiatement leurs échéances fiscales et sociales pour trois mois.
J’ai donc donné ordre à mon administration, à la demande du Président de la République, de reporter l’intégralité des charges sociales pour toutes les entreprises qui en font la demande, y compris celles – la plupart des PME – qui avaient réglé leur échéance du 15 mars dernier. Pour les travailleurs indépendants, l’intégralité des charges arrivant à échéance au 20 mars 2020 a été reportée, sans qu’ils aient besoin de faire une quelconque démarche en ce sens.
Pour les entreprises plus importantes, dont l’échéance du versement des charges sociales est fixée au 5 avril, le système est le même que pour celles dont l’échéance est au 15 mars : il leur suffit de modifier leur déclaration sociale nominative ou d’intervenir auprès des Urssaf, qui sont sous mon autorité, pour que les reports de charges soient effectifs.
À l’heure où je vous parle, 3 milliards d’euros ont été reportés, dans l’attente d’autres mesures qui ne manqueront pas d’être prises si la crise devait durer.
S’agissant des modalités fiscales, nous avons souhaité que les entreprises ayant acquitté leur acompte d’impôt sur les sociétés puissent se faire rembourser en envoyant un simple mail à la direction générale des finances publiques (DGFiP), ou en remplissant le formulaire qui se trouve sur le site impots.gouv.fr, ou encore en téléphonant aux agents des impôts.
Je tiens à souligner qu’en ce moment même, à l’instar des soignants et des forces de sécurité qui font un travail formidable au service de nos concitoyens, les agents du ministère de l’action et des comptes publics – ceux de la DGFiP et des Urssaf, ceux qui versent les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraite, ceux qui interviennent auprès des entreprises, ceux qui font les mandatements pour les collectivités locales – sont à pied d’œuvre dans des conditions, vous pouvez l’imaginer, très difficiles. Je veux les remercier au nom de la Nation, car eux aussi font marcher l’économie de notre pays.
Les mesures de report que nous avons prises représentent une aide directe et immédiate de 35 milliards d’euros, sur les 45 milliards précédemment évoqués : 13 milliards au titre des impôts directs et 22 milliards au titre des cotisations et contributions sociales.
Dans la sphère sociale, au 19 mars – je ne peux, hélas, vous présenter les chiffres de ce jour, le 20 mars –, 380 000 entreprises ont d’ores et déjà demandé l’allégement mais aussi, le plus souvent, l’annulation de leurs cotisations Urssaf à échéance du 15 mars. Cela représente, je le répète, un montant de 3 milliards d’euros de cotisations et contributions sociales non recouvrées. Par ailleurs, 460 000 travailleurs indépendants ont également demandé à reporter l’échéance de versement de leurs charges.
Dans la sphère fiscale, au 17 mars, plus de 3 000 entreprises avaient formulé des demandes de report d’échéance ou de délais de paiement, qui ont été acceptées à hauteur de 92 %.
Le projet de loi de finances rectificative traduit la mobilisation du Gouvernement à travers deux mesures principales. Les autres dispositifs seront présentés par Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Premièrement, l’article 4 prévoit une garantie exceptionnelle de l’État permettant de soutenir le financement des entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros. Ce dispositif temporaire couvrira les prêts accordés du 1er mars au 31 décembre de cette année, afin de résoudre les problèmes de trésorerie liés à la crise du coronavirus.
L’État peut beaucoup et apparaît indispensable aux yeux de tous dans les périodes de crise, et cela renforce notre confiance dans la Nation, celle-là même que nous représentons à divers titres. Je tiens cependant à souligner, à l’instar du ministre de l’économie et des finances, que les banques doivent jouer leur rôle de financeur de l’économie, a fortiori compte tenu de l’existence de la garantie de l’État.
Cette garantie permettra aux banques de prêter aux entreprises appartenant à tous les secteurs de l’économie, mais aussi aux associations employeuses.
Conformément aux règles européennes relatives aux aides d’État, un partage de risques sera mis en place avec les banques et cette garantie leur sera facturée.
Deuxièmement, ce projet de loi prévoit des moyens budgétaires supplémentaires pour financer les dispositifs d’urgence que nous soumettons à l’Assemblée nationale et au Sénat, et qui ont été examinés par votre commission des finances.
Il s’agit tout d’abord, et sans doute est-ce le point le plus important, de la prise en charge par l’État de 100 % du chômage partiel pour les salariés rémunérés jusqu’à 4, 5 SMIC. Nous avons donc changé la doctrine de l’État par rapport à ce qui a été fait en 2008, même s’il s’agissait alors d’une crise financière, et non d’une crise de l’économie réelle. Nous nous sommes inspirés des mesures prises par nos amis allemands lors de cet épisode.
Cette prise en charge du chômage partiel à hauteur de 100 % représente à peu près 5, 5 milliards d’euros par mois pris dans les caisses de l’État. Si l’on y ajoute les 2, 5 milliards d’euros provenant de l’Unedic, le total est de 8 milliards d’euros par mois.
Mme la ministre du travail a eu l’occasion de dire que de nombreuses entreprises avaient d’ores et déjà recours au chômage partiel. Cette mesure sera rétroactive pour les entreprises qui déclareront à la fin de ce mois les difficultés qu’elles ont rencontrées au début ou à la moitié dudit mois.
L’État prendra donc en charge 100 % des salariés, et ceux qui sont au SMIC toucheront 100 % de leur salaire au titre du chômage partiel. Ce dispositif sera étendu aux travailleurs indépendants, aux employés à domicile et aux assistantes maternelles – nous pourrons y revenir dans le cours du débat si vous n’avez pas obtenu de réponses à vos questions lors de la séance d’hier.
Cette prise en charge du chômage partiel représente une dépense totale de 8 milliards d’euros en dépenses publiques, soit 5, 5 milliards pour l’État et 2, 5 milliards pour l’Unedic.
Le choix qui a été fait vise à ce que l’État supporte le principal creusement du déficit. C’est en effet l’État, bien plus que la sphère sociale ou l’Unedic, qui peut aujourd’hui emprunter sur les marchés financiers – on l’a encore vu hier matin –, et ce au meilleur taux, grâce à la confiance desdits marchés dans la signature de la France.
De plus, pour répondre aux inquiétudes des petits entrepreneurs, artisans et commerçants qui subiraient une baisse de leur chiffre d’affaires en raison des restrictions de circulation et des difficultés liées au coronavirus, le Gouvernement a créé un fonds de solidarité doté de 1 milliard d’euros par mois, dont 250 millions d’euros sont versés par les régions ; nous les en remercions.
Ce fonds d’indemnisation permettra d’assurer un filet de sécurité pour toutes les petites entreprises indépendantes. Les aides seront versées par la DGFiP, de manière automatique, jusqu’à 1 500 euros à la fin de chaque mois. Un deuxième étage de ce fonds est actuellement mis en place par le ministère de l’économie et des finances et les régions.
Un soutien complémentaire, que Mme la secrétaire d’État vous présentera, pourrait être apporté dans les situations les plus difficiles, afin d’éviter les faillites. Ce fonds s’adressera à tous les secteurs touchés par la crise et aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros.
Sur l’initiative du groupe Les Républicains, l’Assemblée nationale a adopté hier un amendement instituant auprès du Premier ministre un comité composé de parlementaires, de représentants des collectivités locales et des entreprises, chargé du suivi et de l’évaluation de la garantie de l’État et du fonds de solidarité des petites entreprises. L’évaluation de ces dispositifs se fera donc en toute transparence. J’invite le Sénat à adopter le texte ainsi amendé par les députés.
J’ajoute qu’une provision supplémentaire de 2 milliards d’euros au titre des dépenses de santé est intégrée pour couvrir les achats de matériel à destination des hôpitaux publics et des personnels de santé, les indemnités journalières et la reconnaissance de l’engagement des personnels hospitaliers via le paiement de chaque heure supplémentaire.
J’en profite pour saluer l’engagement de tous les professionnels de la santé, et de tous les agents publics en général, qui sont engagés pour soigner et protéger nos concitoyens, et pour faire avancer l’économie.
Cet effort de relance s’inscrit en cohérence avec les initiatives de la zone euro – la Banque centrale européenne (BCE) s’est ainsi réunie avant-hier en urgence –, dont les membres ont entériné ces derniers jours un soutien budgétaire représentant 1 % de PIB.
Dans ce projet de loi de finances rectificative, nous avons révisé nos chiffres de finances publiques, en prévoyant 1 % de croissance négative ; sans doute n’est-ce qu’une première étape, mais cela correspond à la prévision de la Commission européenne.
En conséquence, le solde budgétaire de l’État sera donc révisé à la baisse d’environ 15 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, car l’État devrait être privé de 10 milliards de recettes fiscales. S’y ajoutent les 5 milliards d’euros de crédits budgétaires déjà évoqués, et les 2 milliards de recettes non perçues du fait de la suspension de diverses privatisations, notamment celle d’Aéroports de Paris (ADP).
La prévision de solde public pour 2020 est revue à la baisse à –3, 9 % du PIB, contre –2, 2 % initialement prévu.
Nous ne savons pas combien de temps cette crise durera. Nous faisons tout notre possible pour reporter et annuler les charges fiscales et sociales. Afin de faire face à cette crise, la France continue à emprunter dans de bonnes conditions, grâce à la confiance que nous accordent nos prêteurs, lesquels sont sans doute plus inquiets de la crise sanitaire et que de l’état des finances publiques françaises.
Cependant, nous devons veiller à l’état de nos finances. Aussi, je ne pourrais pas accepter les amendements qui porteraient atteinte à cette sage précaution.
L’impôt sur le revenu doit être payé par nos compatriotes. Même si, aujourd’hui, c’est l’employeur, le collecteur, qui récupère cet argent, il n’en doit pas moins le reverser dans les caisses de l’État.
L’avantage du prélèvement à la source est que le taux d’imposition et le montant des acomptes peuvent être modifiés instantanément.
Prenons le cas du propriétaire d’un local qui le loue à un commerçant, lequel ne peut plus ouvrir son commerce. Si ce propriétaire décide, comme l’État, les collectivités locales et les grands bailleurs l’y encouragent, de ne pas percevoir ce loyer, il peut suspendre immédiatement sur le site impots.gouv.fr la fiscalité afférente à cet acompte de loyer.
De même, un salarié qui perd une partie de son salaire parce qu’il est au chômage partiel ou un indépendant qui ne peut plus exercer son activité peuvent instantanément changer leur taux d’imposition.
L’impôt à la source s’adapte à la vie des gens, et les recettes qui rentrent dans les caisses de l’État sont celles que peuvent payer une partie de nos compatriotes, justement pour nourrir les finances publiques.
La TVA, acquittée par le consommateur final, est un impôt en lien avec le chiffre d’affaires des entreprises. Elle n’est pas perçue lorsqu’on ne vend plus rien !
Si une entreprise n’a pas été payée pour la prestation qu’elle a fournie et que la DGFiP lui réclame tout de même la TVA, il lui suffira de se rapprocher de son centre des impôts pour demander à ne pas être prélevée.
Si un chef d’entreprise rencontre des difficultés pour faire sa déclaration, par exemple parce que son expert-comptable a fermé boutique, aucune pénalité ne sera infligée.
En revanche, si une entreprise de la grande distribution qui continue à fonctionner récupère la TVA parce qu’elle vend des marchandises, le produit de cette taxe doit retourner à l’État, car c’est ce qui permet de le faire fonctionner et de lever sur les marchés financiers l’argent dont nous avons besoin pour financer le chômage partiel et les mesures de report de trésorerie.
Pardon d’avoir été un peu long. Je me tiens à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, pour répondre à vos questions.