Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 20 mars 2020 à 14h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la France est confrontée à une crise majeure sans précédent, mes premières pensées vont aux malades et aux soignants, mais également – M. le ministre y a fait allusion – à tous les membres des services publics et à tous les salariés qui continuent de travailler, parfois avec difficulté, pour assurer les fonctions essentielles de ce pays. Nous devrons avoir une attention toute particulière pour eux.

Je tiens également à vous remercier de votre présence et à saluer nos collègues qui n’ont pas pu être là.

Nous sommes réunis pour examiner en urgence un projet de loi de finances rectificative déposé il y a deux jours et dont il y a fort à parier, si je me réfère à la crise de 2008, qu’il sera le premier d’une longue série.

Le Gouvernement tablait initialement sur une croissance de 1, 3 % en 2020. Cette hypothèse était déjà compromise par le recul surprise du PIB de 0, 1 % enregistré au dernier semestre de l’année 2019. Avec la crise sanitaire, elle est désormais caduque.

La propagation du coronavirus à l’échelle mondiale constitue un choc d’ampleur inédite. Il s’agit à la fois d’un choc d’offre, lié principalement aux absences au travail et à la perturbation des chaînes de production, et d’un choc de demande, dû au report des décisions de consommation et d’investissement des agents économiques, ainsi qu’à la contraction de la demande de nos partenaires commerciaux.

À ce stade, soyons modestes : il est très difficile d’apprécier l’effet cumulé de ces différents chocs sur la croissance.

Pour sa part, le Gouvernement anticipe désormais un recul du PIB de 1 % en 2020. Il s’agirait du deuxième plus fort recul du PIB de l’après-guerre.

Le Gouvernement suggère que cette nouvelle hypothèse présenterait un caractère central au regard des estimations disponibles. Toutefois, cette prévision me paraît en réalité plutôt se situer dans la fourchette haute des estimations, d’autres instituts prévoyant que l’effet sera plus important. Quoi qu’il en soit, nous n’en savons rien à ce stade.

Vous ne l’ignorez pas, cette crise sanitaire intervient dans un contexte budgétaire malheureusement contraint. Dans le cadre de nos travaux, nous avons régulièrement souligné les uns et les autres que le choix des majorités successives, notamment de celle-ci, de reporter en fin de quinquennat l’effort structurel sur les comptes publics risquait de rendre l’économie française vulnérable face aux chocs. Nous y sommes !

La France est ainsi, avec l’Italie, le seul pays de la zone euro dont la part de la dette dans la richesse nationale a augmenté entre 2014 et 2019 ; nous frôlons les 100 % du PIB, soit un écart de 40 points avec nos voisins allemands. Nous étions pourtant avant la crise de 2008 au même niveau d’endettement qu’eux. Cela nous laisse donc moins de marges de manœuvre budgétaires.

Faut-il pour autant que l’État renonce à soutenir les entreprises et les salariés ? Évidemment non !

L’absence de mesures de soutien risquerait d’ailleurs de dégrader durablement les perspectives de croissance de l’économie française.

La faiblesse de la croissance va en effet se traduire naturellement par une perte de recettes et une augmentation des dépenses sociales. Ainsi, la dégradation de la conjoncture pèse sur le déficit public à hauteur de 1, 4 point de PIB.

En complément, des mesures de soutien budgétaire à vocation défensive ont été légitimement annoncées par le Gouvernement, afin de permettre aux entreprises et aux travailleurs de surmonter le choc temporaire lié aux mesures de confinement.

L’impact de ce paquet de mesures sur les indicateurs maastrichtiens est à ce stade nettement plus faible qu’après la crise de 2008, car l’essentiel des mesures de soutien consiste, comme l’a souligné M. le ministre, en un simple étalement de charges fiscales et sociales, tandis que les garanties constituent un engagement hors bilan de l’État. À ce stade, il y a encore peu de décaissements, excepté la prise en compte du chômage partiel, dispositif à la fois intéressant et puissant. Pour le reste, il s’agit soit de reports de charges, soit d’engagements hors bilan.

Le coût budgétaire au titre de l’exercice 2020 pris en compte par le Gouvernement se limite ainsi à 11, 5 milliards d’euros. Nous serons sans doute malheureusement appelés à nous revoir…

Au total, la prévision de déficit public s’en trouve d’ores et déjà fortement dégradée, passant de 2, 2 % du PIB initialement prévu à 3, 9 % à l’issue de l’exercice.

Je note que le Gouvernement n’a pas souhaité communiquer sur l’évolution de sa prévision d’endettement. Je l’estime pour ma part à 102, 5 % du PIB, en tenant compte de la dégradation de l’endettement et des mesures de soutien.

Il y a néanmoins fort à parier que le scénario gouvernemental sera, de nouveau, substantiellement modifié dans les prochaines semaines. La prévision de croissance constitue naturellement la principale source d’interrogation.

Enfin, le coût des mesures de soutien annoncées pour faire face à la crise sanitaire constitue un troisième aléa majeur.

Je citerai en particulier la question du calibrage des mesures de soutien défensives qui pourraient être revues à la hausse en fonction de la durée des mesures de confinement. En outre, il ne peut être exclu que le Gouvernement décide de mettre en œuvre des mesures de soutien offensives, une fois l’épidémie du coronavirus endiguée.

S’agissant de l’impact sur le budget de l’État et des articles du projet de loi de finances rectificative, je ne remettrai pas en cause les mesures proposées, qui ont pour objet de soutenir à bout de bras une économie qui risque de s’arrêter.

Ces principales mesures dégraderaient le solde budgétaire de l’État de 14, 5 milliards d’euros, avec un déficit budgétaire de l’ordre de 109 milliards d’euros.

S’agissant des recettes, les prévisions sont particulièrement imprécises, car il est impossible à ce stade de savoir quelles seront les conséquences exactes de la crise sanitaire sur le rendement des impôts. On a évoqué à l’instant la TVA et l’impôt sur le revenu. La diminution de 10, 7 milliards d’euros des recettes fiscales nettes paraît toutefois être un minimum. J’ai examiné les chiffres de la crise de 2008-2009 : la perte s’élevait à plus de 50 milliards d’euros. Certes, nous n’en sommes pas là, mais nous enregistrerons sans doute une contraction des recettes plus importante que celle qui a été annoncée aujourd’hui.

S’agissant des dépenses, le texte que nous examinons comporte trois séries de mesures qui toutes tendent à soutenir l’activité des entreprises. Il ne s’agit donc pas encore d’un plan de relance, même si nous en aurons besoin par la suite, mais il s’agit d’un plan de sauvetage. C’est plus tard qu’il faudra aider les entreprises en contribuant à relancer l’économie.

Deux mesures sont portées par une nouvelle mission budgétaire intitulée Plan d ’ urgence face à la crise sanitaire. Les crédits seront ainsi sanctuarisés et traçables à travers les documents budgétaires. La commission des finances y sera très attentive.

Au sein de cette mission, un programme vise les crédits alloués par l’État au dispositif de soutien exceptionnel au chômage partiel.

Il convient, bien sûr, d’approuver ce dispositif. Il a été massivement mis en place par l’Allemagne lors de la crise de 2008, ce qui a favorisé le maintien de l’emploi dans ce pays. Nous sommes toutefois conscients que le coût final sera probablement supérieur si le dispositif est prolongé.

Le second programme de la mission prévoit la création d’un fonds spécifique à destination des très petites entreprises dont l’activité est fortement touchée par la crise sanitaire. Là encore, le dispositif est loin d’être cadré.

Si le texte évoque quelques secteurs comme la restauration et l’hôtellerie, les effets de la crise touchent un grand nombre d’acteurs. Il convient donc de ne pas sectoriser. En revanche, on peut s’interroger sur les seuils : 1 million d’euros de chiffre d’affaires, perte de 70 %, avec des périodes de référence qui ne sont pas forcément pertinentes. Tout cela est discutable.

D’une manière générale, il est nécessaire de définir des modalités d’attribution des aides particulièrement claires et efficaces, car les demandes vont affluer.

Enfin, de manière à répondre aux problèmes de trésorerie auxquels de nombreuses entreprises font face, l’article 4 autorise l’État à garantir jusqu’à 300 milliards d’euros de prêts aux entreprises. Ce dispositif doit permettre de maintenir ouvert le canal du crédit pour les entreprises.

Par ailleurs, le Gouvernement a introduit une garantie spécifique de l’assurance crédit à l’Assemblée nationale.

Les conséquences de ces garanties sur les finances publiques sont incertaines : elles dépendront des montants pour lesquels la garantie sera in fine requise.

Les mesures proposées dans ce projet de loi de finances rectificative s’inspirent assez largement de dispositions déjà expérimentées, notamment en 2008, et qui devraient contribuer à apporter un soutien aux entreprises.

Il faut toutefois être conscients, mes chers collègues, que ce plan de sauvetage n’est certainement pas le dernier. Nous serons sans doute amenés à nous revoir en fonction de la durée de la crise. Après avoir sauvé le tissu économique, il conviendra probablement de mettre en œuvre un plan de relance, comme cela avait été fait en 2009.

En tout état de cause, le caractère extraordinaire, ne serait-ce que par les montants, des mesures qui nous sont présentées exige un suivi très précis du Parlement, comme ce fut le cas tout au long de l’application du plan de relance de l’économie adopté en 2009.

C’est pourquoi je souhaite qu’il en soit de même pour les mesures prévues par la nouvelle mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire et la garantie des prêts prévue par l’article 4. La commission propose donc un amendement visant à la mise en place d’un mécanisme de suivi, sur lequel j’ai d’ailleurs travaillé avec le rapporteur général de l’Assemblée nationale. Nous avons un peu de mal à nous réunir en ce moment, en raison du confinement. Nous préférerions donc une information régulière du Parlement via des tableaux mensuels. Je précise que cela n’empêchera en rien un comité de suivi de se réunir s’il le peut.

Par ailleurs, nous sommes tous conscients que des salariés doivent continuer de travailler, qu’il s’agisse des salariés des secteurs de l’industrie ou de la distribution. Un dispositif généreux à 100 % de chômage partiel pour le SMIC a été mis en place, mais il importe également de prévoir une incitation à aller travailler. Le Gouvernement a évoqué la mise en place d’une prime de 1 000 euros. Il s’agit certes d’une bonne initiative, mais les conditions d’attribution de cette prime sont strictes. Il faut notamment un accord d’intéressement. Bref, une telle mesure n’est pas applicable dans les PME, les TPE et les commerces de proximité, qui doivent pourtant rester ouverts.

C’est pourquoi la commission a présenté un amendement tendant à exonérer totalement les heures supplémentaires de charges patronales au-delà de 5 000 euros. Il est important aujourd’hui d’assurer un soutien à ces salariés mobilisés pour assurer la fourniture de biens et de services vitaux pour nos concitoyens, que ce soit bien sûr dans le secteur de la santé, mais aussi dans ceux de la grande distribution ou des transports.

La commission se réunira à l’issue de la discussion générale pour examiner les amendements extérieurs, mais compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous propose d’adopter ce PLFR qui répond à une urgence.

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