Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des discussions, au sein de notre assemblée, qui revêtent une importance toute particulière. Celle que nous ouvrons ce jour en fait incontestablement partie.
Monsieur le secrétaire d’État, devant la crise sanitaire que notre pays et nos concitoyens traversent avec les conséquences dramatiques qu’elle emporte et qu’elle emportera sur le plan économique et financier, le groupe socialiste et républicain du Sénat veut dire les choses clairement et sans ambages : nous voterons ce projet de loi de finances rectificative dans un esprit de responsabilité.
Je vous demande solennellement, madame la secrétaire d’État, en contrepartie de cette union nationale, de vous engager à présenter, dans les mois qui viennent, d’une part, un nouveau projet de loi de finances rectificative et, d’autre part, un nouveau projet de loi de programmation des finances publiques, comme vous l’aviez d’ailleurs promis. Cela nous paraît nécessaire, car, pour le dire très directement, nous ne sommes absolument pas convaincus que la crise prendra fin dans un mois, compte tenu de l’expérience que nous avons de la récession de 2008-2009.
Encore une fois, l’urgence à agir fait que nous ne rajouterons pas de la crise à la crise, ce serait irresponsable. Mais je veux utiliser ce temps de discussion générale pour vous alerter sur les réserves qui sont les nôtres.
L’actualisation de vos prévisions macroéconomiques de l’article liminaire sera nécessaire, dont acte. L’avis du Haut Conseil des finances publiques est très explicite, comme l’a rappelé le président Éblé. Il confirme cette inquiétude et l’ampleur des impacts inédits auxquels nous aurons à faire face collectivement.
Je mesure les délais contraints de travail qui ont été les vôtres et ceux de votre administration, monsieur le secrétaire d’État, que je veux d’ailleurs saluer, ainsi que les personnels soignants, les fonctionnaires, les salariés du privé qui, partout sur le territoire national, incarnent la continuité de l’État et sont indispensables au fonctionnement de notre vie quotidienne. Le moment venu, il ne faudra pas l’oublier.
Votre projet de loi de finances rectificative repose sur un plan de 45 milliards d’euros injectés dans l’économie nationale, déployant des avances de trésorerie indispensables pour la survie de notre économie et l’engagement de nouvelles liquidités. Je le dis comme je le pense : cette démarche n’est pas inintéressante et nous ne la contestons pas. En ce qui concerne les plus petites entreprises, en cas de fermeture, il nous semble qu’un abandon des charges serait plus approprié.
De la même manière, il a été annoncé, à plusieurs reprises, le déblocage de 2 milliards d’euros pour l’hôpital. Or nous n’en trouvons pas trace, ce qui est problématique. De même, le ministre de la culture a annoncé des aides pour le monde culturel. Comment sont-elles financées ? Je ne doute pas que ces 2 milliards soient bien quelque part… Je vous invite à faire attention aux effets d’annonce qui ne sont pas pleinement opérationnels ou dont chacun de nos concitoyens ne peut constater in concreto la véracité et les effets.
J’en viens maintenant à deux articles du projet de loi de finances rectificative dans lesquels on constate tout d’abord la création d’une mission budgétaire ad hoc – pourquoi pas ? Je ne suis pas convaincu qu’un tel dispositif soit le plus à même de mobiliser l’ensemble des administrations publiques dans le combat que nous devons conduire, mais il aura le mérite d’unifier les canaux de décision, quoique de manière légèrement artificielle : en bout de course, et c’est logique, il appartiendra à Matignon et à l’Élysée de décider.
La problématique du chômage partiel aurait pu être traitée dans le cadre de la mission « Travail et emploi » et le fonds d’aide aux entreprises dans le cadre de la mission « Économie ». Toutefois, nous soutiendrons bien évidemment ces mesures, car elles sont nécessaires. Mais il y a plus important en la matière : vous réajustez les prévisions fiscales et, par voie de conséquence, les équilibres de la mission « Remboursements et dégrèvements ». C’est fort logique, même si, là encore, il faudra très vraisemblablement reprendre toutes les estimations encore trop incertaines.
Rien sur la mission « Santé », ce qui ne peut que surprendre. Rien non plus, ce qui fausse grandement nos prévisions macroéconomiques selon moi, sur la mission « Engagements financiers de l’État », alors que l’on constate une légère remontée des taux, même si la signature de la France est certaine, comme l’a rappelé M. Darmanin à l’instant et comme l’ont prouvé les dernières émissions de jeudi.
Le besoin de financement de l’État, à ce stade, s’élève à près de 246 milliards d’euros. Aux 45 milliards annoncés, qui ne représentent, il est vrai, qu’environ 8 milliards d’euros de réelles dépenses, il faudra sans doute ajouter le paiement d’intérêts.
Je serai bref sur l’article 3 portant sur les comptes spéciaux. Le renoncement à la vente d’Aéroports de Paris, ce qui est une très bonne chose, se traduira par une recette en moins pour l’État et par des dépenses équivalentes, sachant que 2 milliards d’euros étaient affectés au désendettement de l’État. Il serait opportun d’avoir des précisions sur la valeur qui était alors attendue de la cession d’Aéroports de Paris. On est bien loin des estimations du temps de la loi Pacte, ce qui peut s’expliquer de deux façons : soit une surestimation de la valeur d’Aéroports de Paris lors de la discussion de cette loi – je n’y crois guère–, soit une sous-budgétisation manifeste dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative.
Enfin, l’article 4 met en place des garanties d’emprunt. Nous soutenons sans difficulté ce dispositif absolument utile, pour ne pas dire nécessaire, à nos entreprises, même si le seuil de 70 % paraît contestable pour les plus petites d’entre elles, notamment au regard de la situation au mois de mars.
Voilà, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, les éléments que le groupe socialiste et républicain tenait à soulever, afin de rappeler, s’il le faut, que ce vote, motivé par les enjeux d’urgence, ne constitue nullement un blanc-seing au Gouvernement. Il convient que le Parlement soit associé et puisse contrôler le Gouvernement. En ce sens, les propositions du rapporteur général sont intéressantes.
Je voudrais conclure mon propos en rappelant que ce texte financier est extrêmement atypique, pour ne pas dire unique, en ce qu’il prévoit – c’est logique – des dépenses sans proposer de recettes. Mais je ne doute pas que cela viendra. De facto, dans l’urgence, les réponses à la crise se font par le creusement de la dette. Le pacte de stabilité – c’est une bonne chose – est suspendu. La décision de la BCE est bienvenue.
Toutefois, je tiens à rappeler que l’instauration d’une imposition sur le revenu en France, par le biais de la loi Caillaux, date de 1914. Après sept années de débats parlementaires qui n’avaient pas permis de trouver une solution satisfaisante, c’est l’entrée en guerre de la Nation qui a conduit les parlementaires à accepter la mise en œuvre de tels prélèvements fiscaux. À l’heure actuelle, nous sommes en guerre, comme l’a répété le Président de la République. Dès aujourd’hui, nous devons donc préparer le jour d’après que nous espérons très prochain. Je souhaite, au nom du groupe socialiste et républicain, que notre pays puisse dépasser dans la solidarité cette épreuve.
L’heure de traiter ce point n’est pas encore venue. Madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, je veux toutefois conclure en vous rappelant qu’elle arrivera assez rapidement. J’ai entendu, ce matin, le Medef demander à nos concitoyens de renoncer à une partie de leurs économies une fois la crise sanitaire dénouée. À mon tour, je demande aux bénéficiaires des baisses d’impôts issues de la suppression de l’ISF et de la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de renoncer à leur avantage fiscal calculé depuis la mise en œuvre du texte et, à l’instar de ce que réclame le Medef, de réinjecter ces sommes, au nom de la solidarité nationale, dans le plan de relance économique à venir pour soutenir l’activité et l’emploi dans le prolongement des propos tenus par le président de la commission des finances, Vincent Éblé.