Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre :

Monsieur Artano, les mesures relatives aux services de santé au travail sont toutes récentes. Elles sont importantes. Dans le contexte actuel, nous avons besoin de tous les talents, de toutes les compétences, de toutes les énergies. Les SST peuvent jouer un rôle essentiel, notamment pour aider les petites et moyennes entreprises à mettre en place les gestes barrières et appliquer les guides. Nous souhaitons également qu'ils soient mobilisés davantage et plus rapidement. Nous y travaillons. Pour l'instant, il n'existe pas de numéro vert.

En ce qui concerne la réalisation des dépistages par les médecins du travail, c'est le ministère chargé de la santé qui déterminera qui sera dépisté, à quel moment et de quelle manière. Les textes que nous avons pris donnent d'ores et déjà aux médecins du travail la capacité de procéder à ces tests, qui devront évidemment leur être fournis. Il est trop tôt pour dire qui sera priorisé.

De même, nous permettons aujourd'hui aux médecins du travail de délivrer des arrêts de travail liés au Covid-19, via des entretiens téléphoniques ou en visioconférence. Nous avons donc étendu leur rôle - d'habitude, un médecin du travail ne peut prescrire un arrêt de travail. Nous avons besoin que tout le monde soit sur le pont.

Sur le plan sanitaire, je mène des actions avec quatre régions - bientôt cinq - pour mettre à la disposition des hôpitaux un renfort d'élèves infirmiers et aides-soignants. J'ai donné mon accord pour que les fonds de l'État relevant du plan d'investissement dans les compétences soient utilisés pour financer une indemnisation importante, équivalant à un salaire, de ces étudiants. Cela se fait évidemment sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS). Les régions concernées sont les régions Île-de-France, Grand Est, Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et, bientôt, Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'idée est que tous ceux qui peuvent aider doivent pouvoir le faire.

Vous avez raison, le dialogue social est essentiel. Je réunis les partenaires sociaux tous les deux jours. Ces derniers ont été associés à l'élaboration des guides pratiques, dans des délais record. De fait, il est important d'aller vite, car ces guides sont très attendus. Ils rassurent aussi bien les entreprises que les salariés.

Nous envisageons de prendre des décrets relatifs à la durée du travail dans deux secteurs, après, évidemment, consultation des partenaires sociaux. Le premier secteur concerné est le secteur médical, pour assurer la production de tout ce qui est indispensable aux hôpitaux, comme le gel, les masques, les médicaments, les respirateurs, etc. Bruno Le Maire réunit quant à lui tous les jours l'ensemble de la filière agricole et agroalimentaire, pour vérifier que tous les Français pourront être approvisionnés sur le plan alimentaire. Nous aurons peut-être besoin de prendre un décret relatif à ce secteur dans les prochains jours. Il n'y a pas d'autre projet de décret pour l'instant, mais la situation pourrait évoluer dans les prochaines semaines.

Madame Doineau, l'arbitrage entre le chômage partiel et l'arrêt maladie pour garde d'enfant ne relève pas de l'individu : c'est le droit qui tranche. Le collectif l'emporte sur l'individuel : si un salarié travaille dans une entreprise qui décide de se placer en chômage partiel, il bascule en chômage partiel, y compris s'il était auparavant en arrêt maladie pour garde d'enfant.

Vous avez raison d'évoquer le ressenti du secteur du bâtiment. Les fédérations professionnelles du bâtiment de France ont analysé la situation de manière très différente de leurs collègues allemands, par exemple. Ainsi, seulement 15 % des chantiers continuent dans notre pays, contre 80 % en Allemagne. On a préféré arrêter les chantiers par crainte de ne pouvoir protéger les salariés. Pour ma part, j'ai toujours demandé que l'on protège les salariés - je suis très exigeante sur ce point - et que l'on trouve les voies et moyens pour le faire.

Après quinze jours de travail interministériel, nous avons publié, vendredi dernier, un guide des bonnes pratiques, qui permet de savoir comment conduire un chantier dans le contexte actuel. Ce guide est également une sécurité pour l'artisan. Je rappelle une nouvelle fois que l'obligation qui pèse sur les employeurs est une obligation de moyens : un employeur ne saurait être tenu pour responsable si l'un de ses salariés tombe malade du Covid-19. En revanche, il est tenu de mettre en place une organisation et les conditions de travail qui permettent la mise en place des gestes barrières et la distanciation.

Dans certains cas, le masque n'est pas la mesure la plus appropriée. Par exemple, un écran de plexiglas est plus efficace que certains masques pour protéger les caissières et les clients.

En cas de litige, c'est le guide qui fait foi. Si le guide a bien été respecté, l'entreprise est réputée avoir rempli son obligation de moyens en matière de sécurité et de protection de la santé. Le guide protège donc le salarié comme l'employeur. On a vu quelques entreprises refuser de mettre en place des mesures de sécurité, alors qu'elles en ont les moyens. Cette attitude est scandaleuse.

Les guides sont la bonne solution. D'ailleurs, la Capeb ressent déjà une volonté de reprendre l'activité dans certaines entreprises, du côté tant des salariés que des artisans.

Monsieur Henno, je crois, moi aussi, que la formation continue peut devenir une opportunité dans le contexte du Covid-19. Ce n'était pas audible la première semaine du confinement. Nous avons mis en place tous les outils de cette formation à distance. L'ingénierie est prête. Vous avez raison, il faut désormais communiquer de manière importante, car la plupart des salariés et des demandeurs d'emploi ne disposent pas de cette information. Le confinement est un moment contraint ; il peut devenir un moment où l'on choisit de préparer son avenir, ce qui, d'ailleurs, permettra de mieux vivre cette période de restriction très difficile.

À la différence de la formation initiale, ce sont des milliers d'opérateurs qui sont concernés, raison pour laquelle nous avons entrepris de mobiliser l'ensemble de l'écosystème.

Madame Gruny, des dizaines de milliers de demandes d'activité partielle sont formulées chaque minute. La France est le seul pays où la proportion de chômage partiel soit aussi forte : 544 000 entreprises ont d'ores et déjà vu leur dossier accepté. L'essentiel des demandes ont été déposées après le 15 mars. Nous examinerons évidemment les situations au cas par cas.

Nous avons accéléré les délais de paiement, qui s'établissent désormais entre sept et dix jours. Le délai de paiement court à partir du moment où la demande est enregistrée. Bruno Le Maire et moi-même avons mobilisé les banques. Je suis d'accord : la situation n'est pas encore parfaite. Certaines banques jouent le jeu, d'autres non.

Si le conjoint est malade, c'est à l'employeur de se charger de la déclaration. Il est obligé de le faire, faute de quoi sa responsabilité peut être engagée. Si un médecin a constaté que le conjoint est malade, le salarié est automatiquement arrêté.

Faudra-t-il annuler des cotisations ? Quoi qu'il en soit, nous ne le ferons certainement pas de manière systématique. Avec le ministère de l'économie et des finances, nous regarderons au cas par cas si cela s'avère nécessaire. La question est importante.

Pour ce qui concerne la santé au travail, je répète que les équipements ne sont prescrits que si le guide le prévoit. Si les équipements sont impossibles à trouver, l'entreprise sera obligée de recourir au chômage partiel. Cependant, cette situation se présentera de moins en moins souvent. En effet, il n'y a plus de problème d'approvisionnement en gel hydroalcoolique et 6 millions de masques dits « professionnels » ou « alternatifs » seront produits cette semaine dans notre pays - ce sera plus encore la semaine prochaine. Au reste, tous les salariés n'ont pas besoin de masques : les personnes travaillant à un guichet sont mieux protégées derrière un écran de plexiglas.

Toute une série de questions se pose concernant le fonds de solidarité. Bruno Le Maire a invité tous les partenaires sociaux à lui faire part de leurs recommandations dans le courant de cette semaine, de manière à pouvoir prendre des décisions probablement vendredi. Si des ajustements sont nécessaires, nous y procéderons.

Il est vrai que la prime va engendrer des disparités, mais ce n'est pas l'État qui crée les primes : il crée l'exonération de charges sociales et fiscales pour le salarié et pour l'employeur si une prime est versée. En revanche, nous avons reculé du 30 juin au 31 décembre 2020 la possibilité de signer des accords d'intéressement dans l'entreprise, car nous pensons que le partage de la valeur peut avoir beaucoup de sens en période de sortie de crise.

En ce qui concerne le difficile équilibre entre droit à l'erreur et fraude, je partage pleinement votre point de vue. Je donne d'ailleurs des consignes en ce sens aux services de mon ministère. Le droit à l'erreur est important. Nous portons un regard particulièrement bienveillant sur les TPE, où le non-respect des règles tient souvent à la méconnaissance de celles-ci. Nous pouvons et devons être plus exigeants à l'égard des très grands groupes.

Madame Van Heghe, les restaurateurs, les bars et les entrepreneurs dans le secteur de l'événementiel ont été les premiers touchés, du fait des mesures d'interdiction administrative. Alors que le fonds de solidarité n'est ouvert que depuis mercredi dernier, il va déjà bénéficier à plus de 400 000 entreprises ou indépendants.

Nous sommes attentifs à l'exécution. À cet égard, les banques n'ont pas le droit d'exiger une caution personnelle quand Bpifrance apporte la sienne. Le ministère de l'économie et des finances est en train de mettre en place un système de contrôles. Que les individus ou les artisans soient pénalisés du fait d'une garantie de l'État serait un comble !

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