Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 avril 2020 : 1ère réunion
Échange de vues sur la mise en oeuvre des mesures prévues par la loi de finances rectificative et le plan d'urgence pour faire face à la crise du covid-19 en téléconférence

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR), nous avions exprimé nos craintes que les chiffres soient pires qu'attendu. Depuis les deux notes que nous avons produites, la situation s'est considérablement dégradée : la France est officiellement en récession.

Dans sa dernière estimation, la Banque de France considère que le PIB a chuté au premier trimestre de 6 %, baisse inédite dans une période aussi courte. Notre pays n'a pas connu de performance aussi épouvantable depuis la Seconde Guerre mondiale, sauf peut-être en mai 68. Toujours selon la Banque de France, chaque quinzaine de confinement entraîne un recul de 1,5 % de PIB en projection annuelle. Le chiffre constitue toutefois une estimation purement comptable qui méritera d'être confirmée.

L'activité industrielle est réduite au tiers ou à la moitié de la normale. Les chiffres du chômage partiel indiquent qu'il touche désormais 6 millions de salariés, contre 2 millions initialement prévus dans le PLFR. Les recettes fiscales stagnent, comme celles liées à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), en raison de l'arrêt de l'activité économique.

Nos deux notes font le constat que, si des mesures de trésorerie et de garantie de prêts ont été prévues dans le PLFR, il n'y figure que peu de mesures budgétaires en tant que telles, hormis le soutien au chômage partiel, qui devait représenter 8,5 milliards d'euros - on est désormais plus proche des 20 milliards d'euros apparemment - sur les 11,5 milliards prévus par le Gouvernement, 2 milliards d'euros étant consacrés à la santé et le reste au fonds de solidarité pour les très petites entreprises et les indépendants. Quant aux 300 milliards d'euros dédiés aux garanties de prêts, il faudra entendre la FBF et les entreprises pour évaluer les retards constatés. Des mesures de report d'échéance avaient aussi été prévues, charges sociales différées qui n'avaient a priori pas vocation à se transformer en dégrèvement.

Dans notre note d'avril, à la page 5, nous établissons des comparaisons avec les plans de soutien mis en place dans les autres pays européens. Les mesures budgétaires représentent 0,5 % du PIB en France, contre 4,5 % en Allemagne. La France reste donc très en deçà de ce que prévoient les pays d'Europe du Nord et l'Allemagne pour ce qui est des mesures de soutien, y compris par des subventions ou des prises de capital dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le fonds de solidarité mis en place pour aider les plus petites entreprises est doté de 1,7 milliard d'euros en France pour des subventions modestes, généralement de 1 500 euros par entreprise, contre 50 milliards d'euros en Allemagne, avec des subventions pouvant aller jusqu'à 9 000 euros pour les entreprises de moins de cinq salariés et jusqu'à 15 000 euros pour celles de moins de dix salariés.

Lors de la crise de 2008, chacun se souvient que l'on avait quasiment nationalisé le secteur bancaire français. Sur ce modèle, l'Allemagne a prévu un fonds économique de stabilisation doté de 100 milliards d'euros qui lui permet de prendre des participations dans les entreprises, y compris les ETI. En France, aucune mesure comparable, hormis les mesures que je viens de citer.

Pourquoi ces différences ? Un pays endetté à 60 % de son PIB a plus de marge de manoeuvre qu'un pays dont l'endettement atteint 100 % de son PIB. La France n'a sans doute pas beaucoup de champ pour manoeuvrer. Nous avions mis en garde le Gouvernement en évoquant les risques d'un trop fort endettement en cas de coup dur ou de crise majeure. Nous y voilà ! En outre, en Allemagne, le dispositif fédéral peut se démultiplier grâce aux plans de soutien mis en place dans plusieurs Länder.

Comme sans doute beaucoup d'entre vous, j'ai été saisi de situations diverses non couvertes par le dispositif de soutien des banques : des entreprises qui ne peuvent plus payer leur loyer, certains prêts immobiliers qui ne sont pas éligibles à la garantie de prêts, des professions indépendantes laissées sans dispositif d'aide... Le dispositif que nous avons voté est une amorce, mais il reste incomplet face à une situation grave. Hier soir, certains m'ont fait part du moindre entrain de certaines banques pour accorder des garanties de prêts. Il faudra que nous fassions remonter ces cas lors des auditions que nous aurons avec la BPI, la Banque de France et la FBF.

La Banque centrale européenne (BCE) intervient pour maintenir des taux d'intérêt relativement bas et garder des coûts de financement modérés, à un moment où les États doivent beaucoup emprunter. Compte tenu de l'aggravation de la situation et de la remontée des taux d'intérêt - le coût de financement à dix ans avait augmenté de 76 points de base pour la France entre le 9 et le 18 mars -, la BCE a annoncé un deuxième programme de rachat temporaire de titres du secteur public et privé, doté de 750 milliards d'euros. Le coût de refinancement des États, qui entraîne largement le coût de refinancement du secteur privé, peut ainsi revenir à des proportions normales. Le sujet reste sensible dans un contexte de crise mondiale qui nécessitera beaucoup de liquidités. Rappelons-nous que, en 2009, l'Italie avait vu ses taux d'intérêt s'envoler à 6 % ou 7 %, ce qui avait abouti à un assèchement total de ses liquidités.

Les réponses apportées par l'Union européenne sont relativement limitées : dérogations dans le programme de stabilité et de croissance, mobilisation d'une partie des fonds de la politique de cohésion. Tout cela figure dans la note du 3 avril que nous avons produite.

L'instauration d'une émission commune d'obligations pour financer la dette des États de la zone euro ne manque pas de faire débat. On a parlé de « coronabonds » pour désigner une émission obligataire mutualisée qui permettrait aux pays les plus touchés, notamment ceux de l'Europe du Sud, d'emprunter à des taux moins importants. Ce dispositif nécessite un accord. Certains États, comme l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas, y sont réticents. Pour ma part, je reste partagé : la solidarité européenne doit jouer, c'est certain, mais cela représenterait un risque pour la France, qui devrait sans doute emprunter à des coûts plus élevés que ceux d'aujourd'hui. Quant au mécanisme européen de stabilité (MES), il n'est pas calibré pour une crise aussi systémique que celle-ci.

Je veux dire un mot sur l'impact de la crise sur le budget de l'État et des collectivités territoriales.

En 2008-2009, on avait connu une baisse des recettes fiscales de 50,9 milliards d'euros, due pour moitié à la dégradation conjoncturelle et pour l'autre aux mesures de relance fiscale. La perte de recettes reposait à 50 % sur l'impôt sur les sociétés et pour 11 milliards d'euros sur la TVA.

Pour l'instant, nous ne disposons d'aucune évaluation précise en la matière. Il n'en reste pas moins que les conséquences seront lourdes, que ce soit pour l'exercice 2020 ou pour les suivants. Les recettes fiscales de l'impôt sur les sociétés devraient baisser dans une proportion importante. La crise aura aussi des effets sur les recettes de l'impôt sur le revenu, car tout n'est pas compensé dans le chômage partiel. Les recettes de la TVA seront également affectées par une consommation moindre. Si l'on considère une hypothèse d'élasticité de 1 pour les recettes fiscales et une baisse du PIB de 6 %, les recettes fiscales de la TVA diminueraient de 11,2 milliards d'euros, montant bien supérieur aux prévisions du PLFR. Il faut aussi prendre en compte la baisse des recettes non fiscales, car l'État renoncera à ses dividendes. Les baisses du portefeuille coté de l'État figurent à la page 21 de la note du 3 avril.

Il faut aussi ajouter une augmentation des dépenses dans la sphère sociale, avec le relèvement de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) et la hausse de 2 milliards d'euros des dépenses de l'assurance maladie pour financer les masques, les mesures pour le personnel hospitalier et les indemnités journalières pour ceux qui doivent garder leurs enfants. Le Président de la République a depuis annoncé que le budget supplémentaire alloué à l'achat de matériels médicaux serait porté à 4 milliards d'euros, comprenant notamment l'achat de tests. Pour voir les incidences sur les finances publiques, il faut aussi prendre en compte les différés de cotisations sociales quasi automatiques pour les entreprises de moins de cinquante salariés.

Venons-en à la sphère locale, qui intéresse particulièrement le Sénat.

Les recettes fiscales des collectivités territoriales sont très sévèrement affectées. Le remplacement de la taxe d'habitation par la TVA revient à soumettre les recettes fiscales à la conjoncture. Nous en avions beaucoup débattu au Sénat lors de l'examen de la loi de finances initiale pour 2020, le Sénat avait adopté le mécanisme de garanties de ressources pour les collectivités territoriales que nous avions proposé par voie d'amendement et l'on nous avait critiqué, pour nos vues prétendument trop théoriques. En pratique, la baisse des recettes fiscales pour les collectivités devrait toucher la TVA, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), y compris pour les outre-mer qui enregistreront aussi une probable baisse de l'octroi de mer.

Les régions ont mobilisé 1 milliard d'euros pour faire face à l'augmentation des dépenses. Les départements devront assurer les dépenses de solidarité.

Quant au suivi, nous avons cosigné avec le président Éblé une lettre adressée à MM. Le Maire et Darmanin pour obtenir des chiffres précis, notamment sur le chômage partiel. Le besoin de financement est, en tout état de cause, bien supérieur à celui annoncé en PLFR, puisque l'on compte désormais 6 millions de salariés concernés, contre 1,5 million prévu initialement.

Le fonds de solidarité pour les plus petites entreprises est notamment abondé par les régions. Le plafond d'éligibilité pour les entreprises est désormais fixé à 50 % de perte du chiffre d'affaires, contre 70 % initialement. Encore une fois, on y consacre 1,7 milliard en France, contre 50 milliards en Allemagne.

Les auditions de la BPI, de la Banque de France et de la FBF nous éclaireront sur le dispositif de garantie de l'État.

Il faudrait aussi mentionner les conséquences dramatiques de la crise sur les compagnies aériennes. La nouvelle taxe sur les billets d'avion est reportée avant même d'avoir été mise en oeuvre. Les avertissements du Sénat lors de l'examen du projet de loi de finances étaient prémonitoires...

Concernant les assurances, sujet sur lequel Jean-François Husson pourra nous éclairer, elles pourraient être mobilisées, notamment sur la perte d'exploitation. Cependant, la pandémie n'est pas un risque couvert à ce titre pour l'instant. L'idée serait donc de créer ce risque. La présidente de la Fédération française des assurances doit s'entretenir avec le Premier ministre aujourd'hui. Je l'entendrai pour ma part vendredi. La question mérite d'être posée. Les dispositifs publics ne peuvent pas tout couvrir. L'assurance sur la perte d'exploitation devrait être un facteur de sécurisation en cas de crise. Ce qui se fait pour l'état de catastrophe naturelle pourrait servir de modèle.

La Banque postale ne fonctionne pas très bien non plus, notamment pour le versement des prestations sociales.

Pour traiter tous ces sujets, il faudrait des discussions plus longues. L'intérêt de cette première réunion plénière est aussi de recenser les sujets que vous souhaitez voir traiter en commission des finances. Nous serons certainement appelés à travailler plus tard sur un plan de relance des finances publiques. Notre premier rendez-vous sera probablement celui du programme de stabilité européen, qui doit être présenté le 15 avril.

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