Intervention de Philippe Wahl

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 8 avril 2020 : 1ère réunion
Audition commune par les bureaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques de M. Philippe Wahl président-directeur général du groupe la poste en téléconférence

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste :

Madame la présidente, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de cette audition, car c'est dans le dialogue que La Poste traverse cette crise. Ce service public doit rester accessible au plus grand nombre de Français sur le territoire. Lorsque la crise sanitaire est arrivée en France et que le confinement a été mis en place par les autorités publiques, notre entreprise en a aussi subi les conséquences.

Pour décrire notre action, je distinguerai trois étapes importantes.

La première, qui est toujours d'actualité, vise en priorité à protéger la santé et la sécurité de nos 250 000 collaborateurs répartis sur l'ensemble du territoire, ainsi que des millions de clients quotidiens de La Poste. Il y va de ma responsabilité de chef d'entreprise telle qu'elle m'est assignée par la loi, y compris dans sa dimension pénale. La Poste a donc dû, dans un premier temps, construire une organisation solide de la distribution du courrier ou des colis et de l'accueil dans les bureaux de poste.

Ce socle industriel doit permettre de respecter les grands principes du service public dans la durée : l'ouverture, la continuité et l'adaptabilité ; nous les illustrons en ce moment. Compte tenu des effets très forts de cette crise, nous devions adapter le service public de La Poste. Nul ne met cette nécessité en doute. C'est plutôt la forme et la profondeur de cette adaptation qui soulèvent des interrogations.

Voilà trois semaines, nous avons posé un principe de prévention des risques et de protection pour tous, agents comme clients : il s'agit de doter tous les postiers de gants, de masques et de gel, puis d'installer des écrans de plexiglas dans les bureaux de poste. La règle était claire : sans équipements, toute l'activité s'arrête. Nous avons maintenu 1 600 bureaux ouverts, en choisissant ceux qui enregistrent les flux les plus importants. Pour le courrier et les colis, en accord avec la médecine du travail, nous avons organisé la distribution trois jours consécutifs par semaine, le mercredi, le jeudi et le vendredi. À la deuxième semaine de cette séquence, le socle est posé.

Les organisations syndicales, que nous rencontrons régulièrement, comprennent et accompagnent ce mouvement, et la plupart des postiers sont au travail en ce moment. Nous avons décidé de réduire l'amplitude des horaires d'ouverture du service public, et je l'assume, du fait du confinement, qui représente pour tous les Français un choc important. Ainsi, la continuité de l'activité est respectée, bien que des postiers ne puissent pas venir travailler, parce qu'ils font partie des populations les plus fragiles ou doivent garder leurs enfants. Enfin, le droit de retrait a été exercé par quelques agents, mais de façon marginale.

La deuxième étape, qui s'achève en ce moment, consiste à donner la priorité absolue au versement des prestations sociales. Nous permettrons ainsi à près de 1,5 million de personnes de percevoir leurs aides au cours du mois. Cela explique que nous donnions une priorité aux bureaux qui sont très fréquentés. Nous avons choisi d'approvisionner au maximum les DAB et anticipé dès ce week-end le paiement des prestations sociales.

Au terme des deux premiers jours de traitement des flux, qui se sont renforcés, la situation est bonne. Je remercie les postiers de leur présence et de leur engagement, ainsi que les clients de leur sagesse et de leur prudence. Je rends hommage aux forces de l'ordre mises à disposition par le ministre de l'intérieur, grâce à la réserve. Je salue également les volontaires qui gèrent les files d'attente dans les bureaux de poste.

Dans le même temps, nous avons organisé le dispositif dans la ruralité. La semaine dernière, nous avons participé à la réunion de l'Observatoire national de la présence postale (ONPP) et réuni avec M. Patrick Chaize les 100 commissions départementales de présence postale territoriale. Ainsi, chacune d'entre elles a pu adapter sur le terrain le dispositif au versement des prestations sociales et diminuer éventuellement l'amplitude des heures d'ouverture de certains bureaux-centres pour maintenir la présence postale aux alentours. Ce choix structurant pour notre réseau est une réussite collective.

Dans nombre des 465 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), nous avons maintenu un bureau de poste. Toutefois, quand le bureau-centre d'une ville pouvait accueillir de nombreux clients d'un QPV adjacent, nous avons préféré renoncer à maintenir de petits bureaux dont l'ouverture risquait de créer des difficultés.

J'en viens à la gestion de la crise au sein de l'Union européenne. La plupart des postes, notamment en Belgique, en Italie et en Espagne - en Allemagne, le système est différent -, ont fermé de nombreux bureaux, y compris dans les zones rurales ; ceux qui restent ouverts sont certes plus nombreux qu'en France, mais l'amplitude horaire d'ouverture est plus faible. Si nous avions fait le même choix, nous n'aurions pas été en mesure de répondre aux flux considérables liés à la perception des prestations sociales.

C'est parce que cette période se termine que nous pouvons passer à une troisième étape qui devient notre nouvelle priorité, à savoir le renforcement de notre présence postale territoriale. Dès le début de la semaine prochaine, avec Patrick Chaize, nous réunirons une nouvelle fois les 100 commissions départementales de présence postale territoriale afin d'améliorer la situation dans tous les territoires.

À la fin de cette semaine, 2 500 bureaux devraient être ouverts, en ajoutant la moitié des fameux dispositifs de facteurs-guichetiers en zone rurale. L'objectif est que 5 000 bureaux de poste soient ouverts à la fin du mois d'avril, ce qui demande des efforts considérables. En réalité, si assurer cette mission de service public est possible aujourd'hui, c'est parce que s'achève, et de manière satisfaisante, la séquence prioritaire de l'accueil des plus fragiles, qui est la raison d'être de La Poste.

Cette troisième phase va être renforcée. Dès la fin de la semaine dernière, nous avons pris la mesure des difficultés de la presse quotidienne régionale et nationale et recruté 3 000 personnes. Lundi et mardi, les titres de presse qui se sont engagés avec nous ont pu être livrés à neuf abonnés sur dix. C'est un succès pour une opération d'urgence. Notre but est d'arriver mardi prochain au même résultat non plus sur deux jours, mais sur une seule journée, puis la semaine suivante à une distribution normale, c'est-à-dire sur cinq jours, du lundi au vendredi.

S'agissant des colis, en dépit des reports liés à l'arrêt de l'activité d'autres prestataires, nous avons été capables, y compris lors des trois dernières semaines, de distribuer 15 millions de colis par Colissimo et 7 millions par Chronopost tout en garantissant la sécurité et la santé de nos postiers. Les syndicats demandent que nous discriminions les colis. Or ce n'est pas à nous de décider quels sont les colis qui méritent d'être distribués immédiatement. Je ne ferai pas la morale des colis. Selon nous, les priorités absolues sont la fourniture d'espèces, puis les lettres recommandées. Les colis sont également importants pour le maintien de l'activité économique de notre pays, car ils permettent aux entreprises d'écouler leur production.

À cet égard, nous avons mis en place un nouveau dispositif de 1 000 points de retrait des colis, parallèlement aux 5 000 bureaux de poste déjà ouverts. Cela permettra de redistribuer 30 000 colis bloqués par la fermeture de bureaux de poste. Notre méthode, proportionnée et sage, consiste à adapter notre action aux besoins. Je précise que nous avons toujours continué la distribution, six jours sur sept, des médicaments et des repas aux personnes âgées, en ouvrant gratuitement le service « Veiller sur mes parents », auquel ont fait appel de nombreuses collectivités.

Au total, la volonté de La Poste est de protéger ses agents, d'être solide sur le moyen terme et de donner la priorité absolue aux espèces, ce qui est évidemment plus difficile en zones rurales. Grâce à notre collaboration avec l'Association des maires de France (AMF) et son président, François Baroin, 800 agences postales communales sont ouvertes sur les 7 000 que compte notre territoire, et nous envisageons l'ouverture à temps partiel de mairies au service, avec l'accord du maire, ce qui supposera de fournir des matériels de protection supplémentaires et plus d'espèces. Nous cherchons en permanence à garantir le service public tout en assurant la protection des salariés.

Cette protection passe désormais par les masques. La Poste est un opérateur capital pour notre pays, suivi en permanence par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité, avec qui nous travaillons en vue de la continuité du service public et de l'ensemble du dispositif de sécurité, informatique et physique. Il existe effectivement un stock stratégique important de masques à La Poste, qui datait de l'épidémie de grippe A/H1N1 de 2009. Lorsque la crise du Covid-19 s'est déclenchée, nous nous sommes rendu compte que ces masques n'étaient pas périmés ; nous les avons donc envoyés en masse dans nos 5 000 bureaux de poste, à destination de nos 250 000 salariés. Cela n'a rien de secret, puisque cela correspond au stock normal d'une entreprise stratégique, et je m'étonne de cette soudaine polémique, car les organisations syndicales ont été informées lors d'un comité national de sécurité et de santé au travail qui s'est réuni le 25 janvier dernier.

En outre, nous avons décidé de donner un coup de main à d'autres institutions en offrant 1 million de masques à l'AP-HP, 500 000 à la RATP, pour les conducteurs de métro et de bus, plus de 535 000 à Intermarché, contre du gel hydroalcoolique, et plus de 300 000 à la police nationale. Je m'étonne du surgissement de cette polémique.

La Poste cherche simplement à réagir de la façon la plus appropriée à une situation d'urgence inédite. Les remarques de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) nous incitent à penser que tel est le cas.

Je comprends le sentiment de nombre de parlementaires concernant le secteur rural, dont je reconnais qu'il n'a pas toujours été bien desservi, en particulier au cours de la première phase axée sur l'approvisionnement en espèces et le versement des prestations sociales. Voilà pourquoi nous voulons, en collaboration avec l'AMF, élargir l'ouverture des agences postales communales (APC). Nous y travaillerons dès la semaine prochaine avec tous les élus dans les départements.

Pour pouvoir prétendre au titre d'employeur responsable, nous devons protéger nos salariés et renforcer notre présence sur la totalité du territoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion