Intervention de Jean-Pierre Farandou

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jean-Pierre Farandou président-directeur général de la sncf christophe fanichet président-directeur général de sncf voyageurs et frédéric delorme président-directeur général de fret sncf en téléconférence

Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF :

Merci de m'accueillir en vidéo.

Pendant la crise, ce qui nous a guidé, c'est la mobilisation d'une entreprise publique au service des Français. Nous avons retrouvé le sens d'une grande entreprise de service public, avec tous les cheminots mobilisés, pour assurer le service essentiel demandé par le pays, pour les voyageurs comme pour le fret. Nous avons intégré les consignes de protection sanitaire de tous les Français et de nos salariés, les cheminots, qui sont en première ligne de la deuxième ligne. Le personnel des fonctions support est confiné, en télétravail, mais plusieurs milliers de cheminots sortent dans les postes d'aiguillage, dans les cabines de trains, dans les chantiers, dans les ateliers de maintenance. La force industrielle de la SNCF ne s'arrête pas pendant cette grave crise. Nous avons réagi très vite en mettant en place, dans les premiers jours, une task force de très haut niveau, en relation avec les pouvoirs publics, dont nous suivons, bien sûr, les orientations sanitaires. Nous respectons évidemment strictement les gestes barrières et avons amplifié l'information à ce sujet, auprès de notre personnel et des voyageurs : nous avons diffusé beaucoup de messages, dans les premiers jours, quand il fallait en faire la promotion.

Le plan de transport a été considérablement abaissé, progressivement, en escalier, au fur et à mesure que la situation sanitaire du pays se durcissait, et Christophe Fanichet m'a aidé à organiser cette réduction de l'offre, en liaison avec les autorités organisatrices de mobilité, notamment pour les TER et en Île-de-France. On peut souligner la qualité de nos relations avec les régions. Avec le directeur Territoires, nous avons eu le souci de mener une approche nationale, tout en nous appuyant sur des relais locaux et régionaux, pour ajuster finement notre offre et notre action, région par région. Nous avons un cycle de réunions hebdomadaires et j'ai moi-même appelé plusieurs présidents de régions pour caler notre offre, qui est maintenant arrivée à l'étiage.

L'offre TGV est très basse : environ 40 TGV seulement circulent par jour, contre 600 à 700 habituellement. C'est logique, en raison du confinement, et de la demande des pouvoirs publics, avec une grande cohérence, mais cette offre minimale est toujours là, afin d'assurer un lien territorial pour les personnes ayant besoin de voyager pour des raisons professionnelles ou familiales.

L'offre de TER se situe autour de 15 % par rapport à la normale, essentiellement pour des trajets domicile-travail. En Île-de-France, nous en sommes entre 20 % et 25 %, selon les lignes, en raison de la présence de centres névralgiques et de la nécessité de transporter les soignants, qui sont notre coeur de cible. Nous avons ajusté nos horaires en fonction de leurs besoins, pour les hôpitaux en particulier. Il s'agit aussi de transporter tout le personnel de deuxième ligne, dont nous faisons partie et dont nous avons besoin pour assurer le fonctionnement de notre pays.

Pour, le fret, nous avons fait davantage : il circule à 60 %, 65 %. Nous y avons porté un effort particulier pour satisfaire aux besoins vitaux de l'économie du pays, en assurant l'approvisionnement en carburant, en chlore pour le traitement des eaux, en denrées alimentaires. Nous avons eu le souci de favoriser le maintien de l'activité économique du pays, en allant un peu au-delà du strict nécessaire, à la demande de nos clients. Nous traitons l'essentiel de leurs demandes. Quelques-uns de nos clients souffrent, comme Arcelor, ou la sidérurgie en général, les commandes d'acier ayant baissé ; l'automobile aussi, souffre beaucoup. Nous avons joué un rôle majeur pour acheminer les céréales stockées dans les silos vers les ports ou pour la consommation interne, vers les grands moulins, pour fabriquer de la farine. Il est essentiel d'écouler les stocks présents dans les silos, afin de pouvoir accueillir la récolte quand elle arrive. Nous avons été exemplaires. Je salue également l'action de nos collègues de SNCF Réseau, notamment ceux des postes d'aiguillage, qui ont ouvert des lignes capillaires pour aller chercher les productions là où elles sont, dans les campagnes. Le fret démontre qu'il est un acteur majeur de l'économie du pays. Cela se voit davantage dans les périodes compliquées.

Le souci de la protection sanitaire du personnel nous a guidés. Nous avons veillé à l'application stricte des gestes barrières. Nous avons revu les fiches métiers normales pour les adapter à la situation sanitaire. Nous avons eu le courage de fermer les services qui n'étaient pas indispensables, comme la vente au guichet : cela nous a paru plus sûr pour notre personnel et pour nos clients, puisque, vous le savez, il n'y a plus d'hygiaphone depuis plusieurs années. Nous avons recentré l'activité des contrôleurs sur les missions de sécurité indispensables à la circulation des trains. Ces décisions radicales, combinées à la réduction drastique de l'offre, ont eu pour effet de moins exposer nos cheminots aux risques sanitaires.

Quant à l'usage des masques, nous disposions, ce qui était peu connu, d'un stock stratégique, contrairement à d'autres entreprises - la SNCF étant plus fourmi que cigale - et nous l'avons mis, dès le début de la crise, sous le contrôle strict de l'État : nous lui avons donné, à sa demande, nos masques FFP2, pour approvisionner les hôpitaux et les mettre à disposition des soignants. Nous avons gardé un stock de masques chirurgicaux. Nous en avons également donné une partie à la RATP, qui n'avait peut-être pas pris les mêmes précautions que nous. Nous utilisons donc les masques sous le contrôle de l'État, de façon ténue au départ, amplifiée au fil du temps. Nous avons dû gérer le risque sanitaire - largement installé par les médias - pour sécuriser le personnel en contact avec les clients. Nous avons doté chaque agent de la sûreté ferroviaire - dont on a bien besoin aussi dans cette période - et chaque conducteur, seul à bord des trains, de deux masques chacun. Nous avons également doté des collectifs de stocks de précaution, par exemple dans les gares ou dans des postes d'aiguillage. Plus récemment, lorsque nous avons vu monter les problèmes de respect des gestes barrières, nous avons élargi cette dotation au personnel de maintenance, des matériels roulants et des voies. Notre doctrine a évolué, comme celle des pouvoirs publics.

Le dialogue avec les syndicats a été de qualité, sans doute en raison de l'amélioration des relations sociales dans l'entreprise. Paradoxalement, en dépit la grande grève sur les retraites, une écoute, un respect mutuels se sont installés avec les organisations syndicales. Nous avons fait preuve d'une transparence totale : nous avons associé les représentants des syndicats aux conférences sanitaires internes, où nous faisons le point des cheminots malades. Ce sérieux et cette transparence nous ont permis de réduire le risque d'un emballement des syndicats à propos du droit de retrait. Ce droit a été exercé, sporadiquement, mais sous contrôle, et pas de façon massive. Pourvu que cela dure ! Nous serons amenés à travailler avec eux pour augmenter considérablement le nombre de trains à partir du 11 mai, date cible annoncée par le Président de la République.

Au-delà de cet effort de participation directe au plan de transport en situation sanitaire dégradée, notre action la plus spectaculaire est celle des TGV sanitaires, initiative formidable qui doit beaucoup à Christophe Fanichet. Elle remplit de fierté les cheminots. Soyons modestes, néanmoins : c'est un tout petit maillon d'une grande chaîne sanitaire. C'est aussi une contribution directe à l'effort sanitaire du pays, qui représente beaucoup de travail : deux à trois jours de préparation pour équiper les trains, qui devaient être de petits hôpitaux, avec de l'air comprimé embarqué à bord, des installations électriques. Il faut aussi sécuriser leur circulation : nous n'avons pas droit à l'erreur ; tout le trajet est très surveillé, pour être sûr à 100 % qu'ils arriveront à destination dans les meilleures conditions.

J'ai été l'un des tout premiers à proposer aux 500 réservistes de la SNCF de se mettre à la disposition de l'opération Résilience, pour donner un coup de main, à l'échelon du pays. Je souligne la générosité des cheminots : la Fondation SNCF, SNCF Immobilier, sont très actives ; toutes les forces de la SNCF ont eu le souci de faire plus encore que de faire rouler les trains, dans cette période difficile.

S'agissant de l'aspect économique, il est évident que nous allons subir de lourdes pertes. Il est encore trop tôt pour les chiffrer, mais elles seront considérables. Nous commençons à anticiper, sur la trésorerie, et sur les sujets post-crise. La SNCF a une trésorerie solide à court terme. Pour autant, nous y sommes attentifs, sans crainte excessive. La SNCF tiendra, je tiens à rassurer tout le monde ! Nous paierons les salaires et les fournisseurs. Nous faisons particulièrement attention aux petites entreprises, en veillant à ne pas jouer avec les délais de paiement. Nous allons sur les marchés : nous avons levé 1,25 milliard d'euros la semaine dernière, avec des green bonds ; c'est un financement tourné vers le développement durable. Nous serons prudents, actifs, sans panique. Nous aurons, au-delà des financements normaux prévus, notamment pour les investissements, à ajouter des décalages de rentrées dus à cette activité très réduite pendant les quelques mois du confinement.

Frédéric Delorme répondra à vos questions sur le fret, objet de préoccupation économique. La situation, vous le savez, est compliquée. Une société anonyme (SA) a été créée en début d'année, dotée de 170 millions d'euros de fonds propres. Elle peut tenir quelque temps. Si l'on veut que le fret ferroviaire se porte bien dans notre pays, au-delà de la seule SNCF - il y a d'autres opérateurs - il faut qu'un système d'aides se mette en place, à l'instar de ce qui a été fait dans d'autres pays européens. Ce principe d'aides sera encore plus important en sortie de crise, en raison de l'activité économique.

La SNCF prend toute sa place dans l'effort du pays. Les cheminots sont très engagés : ils partagent des valeurs profondes d'appartenance et de conviction, d'un grand service public au service des Français et des territoires. Je souhaite que cet engagement se poursuive au-delà de la crise, parce que le ferroviaire est la solution de mobilité durable et sanitaire, pour nos territoires. L'usage du train est régulé, celui de la voiture l'est beaucoup moins.

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