J'ai en tête les problèmes que vous soulevez. J'ai été chef d'entreprise et ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je connais bien la situation. J'ai toujours été un défenseur d'une certaine orthodoxie budgétaire ; toutefois nous vivons un moment particulier. L'Allemagne a réagi vite parce que l'ensemble de son tissu industriel est touché, mais tous les pays d'Europe sont dans la même situation. C'est pourquoi nous devons très rapidement mettre en place un mécanisme d'accès facilité aux financements. La crise appelle un plan Marshall. Quant aux modalités, il appartient aux États membres de les définir. On peut créer un fonds géré par la Commission. Plusieurs dispositifs sont envisageables. Mon rôle n'est pas de me substituer aux États membres, mais de chiffrer l'ampleur des besoins. C'est pourquoi, avec Paolo Gentolini, nous avons cosigné une tribune dans la presse où nous les évaluons à environ 1 500 milliards d'euros.
Vous avez évoqué le risque de surendettement. Historiquement, il existe quatre manières de le résoudre. La première solution est le recours à une inflation massive ; ce n'est pas mon choix. On peut aussi augmenter significativement les impôts, mais il faut être prudent, car il faut accompagner la relance, surtout dans des pays comme la France qui ont déjà un taux d'imposition parmi les plus élevés au monde. J'ai des visioconférences régulières avec les représentants de tous les écosystèmes industriels. Prenez l'exemple de l'automobile : les stocks de voitures s'accumulent faute d'acheteurs. La détresse de la filière est compréhensible. Cela vaut pour d'autres secteurs. Or ce n'est pas en augmentant les impôts que l'on relancera la demande ! La troisième solution est l'annulation des dettes, ce qui serait inédit, et il me semble que ce n'est pas prêt d'arriver. Reste, enfin, la monétisation de la dette. J'avais envisagé cette idée devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, il y a quelques années, lorsque j'avais évoqué la perspective d'un fonds européen de défense, qui a d'ailleurs été créé par la suite. J'avais imaginé un fonds financé par des emprunts à très long terme, afin de profiter des taux d'intérêt nuls ou négatifs pour mener des missions d'intérêt général, quitte à ce qu'il soit abondé, en partie, par le produit de certains impôts.
La dette est un millefeuille composé de plusieurs strates héritées du passé qui s'accumulent au fil de l'histoire. Il est tout à fait possible d'isoler la strate consacrée au financement de la crise sanitaire que nous connaissons, qui pourrait peut-être représenter in fine 15 % de l'ensemble, et de trouver des moyens pour la refinancer à très long terme. Nous devons trouver des solutions innovantes. J'y réfléchis avec mes collègues, mais il est encore trop tôt pour en parler.