Intervention de Thierry Breton

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 avril 2020 à 14h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Thierry Breton commissaire européen chargé du marché intérieur par téléconférence

Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur :

Les Pieec constituent un instrument que nous voulons développer. La crise renforce l'analyse que nous avions faite lorsque nous avions présenté la nouvelle stratégie industrielle de l'Europe. J'avais indiqué à l'époque que nous entrions dans l'ère de la « glocalisation », l'articulation du global et du local.

La crise sanitaire a mis en évidence, vous avez raison, le quasi-abandon de la production sur le territoire européen de certains principes actifs en pharmacie, comme la pénicilline. Il est nécessaire d'en rapatrier la production. Les entreprises pharmaceutiques ont d'ailleurs spontanément commencé à le faire.

Les terres rares se trouvent majoritairement en Chine. J'ai lancé une mission pour recenser l'ensemble des minéraux et des terres rares dont nous disposons en Europe, avec la perspective, éventuellement, de réactiver certaines activités minières, dans le respect évidemment des exigences environnementales. J'ai déjà évoqué le cas du textile et le rapatriement rapide de certaines productions avec la crise.

Nous avons commencé à réfléchir au Pieec sur l'hydrogène. Sur l'intelligence artificielle, nous avons une approche un petit peu différente. J'ai souhaité que nous menions en amont une vraie réflexion sur les données en Europe. Sans elles, pas d'intelligence artificielle ! Ces données nous appartiennent. Il est donc nécessaire d'en avoir une bonne maîtrise, de savoir ce que l'on en fait, comment elles sont constituées, car ce sont elles qui nourrissent les algorithmes d'intelligence artificielle et les machines apprenantes. L'Europe est le premier continent à développer une véritable stratégie offensive en la matière. J'avais indiqué, avant la crise, que les données industrielles allaient devenir un enjeu crucial et que l'Europe était très bien placée : c'est encore plus vrai maintenant, d'autant que ces avancées contribueront au maintien de notre tissu industriel. Nous avons donc lancé un Pieec pour définir des architectures susceptibles de porter des clouds, des serveurs accessibles à distance, localisés par secteurs et permettant d'héberger des stacks, des piles de données, susceptibles d'être agrégées pour développer des applications d'intelligence artificielle. Notre objectif est de construire des plateformes qui permettront ensuite de concevoir les applications.

La régulation du numérique est une priorité. Les plateformes américaines ou chinoises ont capté les données personnelles parce qu'elles avaient l'avantage d'être adossées à des marchés intérieurs vastes, mais nous avons été les premiers en Europe à développer des applications à partir de données industrielles, car nous avions la base industrielle la plus évoluée, et c'est pour cela que je me bats pour la maintenir. J'espère que nous parviendrons à proposer le Digital Services Act avant la fin de l'année et que la crise ne perturbera pas trop notre agenda numérique.

J'ai toujours dit que ce n'était pas aux pays de s'adapter aux plateformes, mais que celles-ci devaient se conformer à nos règles. J'entretiens une relation personnelle avec les dirigeants des grandes plateformes et à chaque fois que j'aborde un problème, elles font preuve de réactivité et de maturité. Cela ne signifie pas qu'il ne faudra pas encore réglementer en matière de protection des données personnelles, de lutte contre les fake news, contre l'incitation à la haine et au terrorisme, contre la contrefaçon, etc., mais il faut noter aussi que, dans cette période particulière, les comportements évoluent. Je ne suis pas naïf, mais je sens une inflexion de la part des GAFA. Notre dialogue est permanent. Comme je le disais à Mark Zuckerberg, en matière de données numériques, tout ce qui n'est pas interdit n'est pas forcément autorisé !

Vous posez la question de l'intégration des enjeux climatiques, environnementaux et de développement durable dans les normes comptables. Il faut reconnaître que ces enjeux sont de plus en plus pris en compte par les entreprises. On observe une véritable prise de conscience. Les grandes entreprises publient un rapport annuel sur le développement durable et celui-ci est souvent un critère de rémunération des dirigeants. L'empreinte carbone est une nouvelle exigence. Faut-il pour autant inscrire ces exigences dans les normes comptables ? Nous n'en sommes pas là, mais on ne s'interdit rien.

Avec la crise, la solidarité revient en force, alors que l'on avait le sentiment auparavant que l'individualisme était roi, qu'il s'agisse de la solidarité avec les personnels de santé, que l'on applaudit tous les soirs, de la solidarité entre les pays, que je constate chaque jour lorsque l'on essaie de répartir certains matériels médicaux en fonction de l'évolution de l'épidémie, ou de la solidarité entre les continents, entre l'Europe et la Chine par exemple. On ne sortira de la crise que si nous sommes solidaires les uns les autres.

Une mutualisation de la dette ? Nous n'en sommes pas encore là. Mais à chacun son rôle : le mien est de définir les besoins et de les chiffrer. J'ai fait des propositions et la présidente de la Commission les a reprises en évoquant un plan Marshall. Il s'agit désormais de savoir comment les financer et de faire en sorte que chaque pays partage le sentiment de l'urgence. L'essentiel est de mettre en oeuvre rapidement ce plan. Peu importe qu'il prenne la forme d'un fonds, d'obligations, etc. Je n'aime pas l'expression « mutualisation des dettes », qui laisse croire que l'on voudrait mutualiser toutes les dettes passées. Non ! Il est simplement question d'isoler les dépenses qui correspondent à la période particulière que nous traversons. L'enjeu est de réaffirmer notre solidarité et de faire en sorte que chaque pays ait un accès équitable aux financements. Il ne s'agit pas de demander à certains de payer plus que d'autres puisque chacun y aura accès en fonction de sa part dans le PIB européen. Il reste aux vingt-sept à se mettre d'accord sur le montant et les modalités. L'option d'un fonds intégré au cadre financier pluriannuel est aussi sur la table.

Mme Constant a évoqué mes discussions avec les présidents d'Apple et de Google. Je précise que les applications de suivi, et non de tracking, seront développées en Europe, par des entreprises européennes, sur la base des lignes directrices claires que les États membres ont adoptées à l'unanimité jeudi dernier et qui sont accessibles sur internet. L'application, que chacun sera libre d'installer ou non sur son téléphone, permettra de savoir s'il l'on a, au cours de ses déplacements, croisé des personnes infectées par le virus et qui ont déclaré dans l'application qu'elles étaient malades. L'application fonctionnera grâce au Bluetooth. Donc, ce que nous demandons à Google et Apple est simplement de garantir l'interconnexion entre les téléphones par le biais du Bluetooth, qu'ils fonctionnent sous Android ou iOS. En aucun cas on ne leur demande de concevoir l'application.

Enfin, la stratégie pour les données que j'avais présentée contenait tout un volet sur les données de santé. Je suis convaincu que l'on peut traiter cette question en respectant le RGPD.

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