Intervention de Thierry Breton

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 avril 2020 à 14h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Thierry Breton commissaire européen chargé du marché intérieur par téléconférence

Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur :

Monsieur Marie, vous avez raison d'évoquer l'attitude de la Chine. Comme je le disais, la crise historique que nous traversons va certainement jouer un rôle d'accélérateur sur de nombreux plans, y compris en avivant les tensions entre la Chine et les États-Unis - on le constate chaque jour. Je partage totalement à cet égard l'excellente analyse de M. Jean-Yves Le Drian parue aujourd'hui dans le journal Le Monde. J'évoque beaucoup ce sujet avec mon collègue Josep Borrell, Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Nous devons maintenir un level playing field, c'est-à-dire un système équitable qui permet à la concurrence de s'exercer dans des conditions justes, entre nous - en limitant les disparités au sein du marché intérieur - mais aussi entre les continents. Les Américains ont débloqué en quelques jours plus de 2 200 milliards d'aides pour soutenir leurs entreprises, dont 25 milliards pour leurs compagnies aériennes. Les Chinois font la même chose. Nous devons donc mobiliser des montants comparables si nous ne voulons pas affaiblir nos entreprises et risquer de les voir être la proie d'un prédateur soutenu par ces États. C'est la raison pour laquelle je me bats pour protéger nos entreprises.

Je n'ai jamais été un ardent défenseur des nationalisations par principe, mais, en l'occurrence, si l'État doit intervenir pour protéger une entreprise, il devra le faire, fût-ce de manière temporaire, car il faut préserver l'équité et la juste concurrence. Les nationalisations constituent un instrument pour défendre des entreprises stratégiques menacées.

Avec Phil Hogan, commissaire au commerce, nous travaillons aussi sur d'autres instruments pour interdire les participations ou les prises de contrôle de la part d'entreprises contrôlées directement ou indirectement par des États étrangers. Nous sommes donc très attentifs sur ce sujet et nous nous sommes dotés des instruments pour y faire face. La France a ainsi prévu 20 milliards d'euros pour aider les entreprises stratégiques ; l'Allemagne, 100 milliards. Il ne s'agit pas pour autant de dilapider l'argent : n'oublions pas en effet que nous l'empruntons et que nous engageons notre avenir et celui de nos enfants. Mais nous devons maintenir notre appareil productif, la compétitivité de notre économie et dépenser dans les mêmes proportions que les autres continents.

Il convient aussi d'éviter que l'Europe ne devienne le terrain de jeu de la Chine et des États-Unis. C'est pour cela que j'ai toujours plaidé pour que l'Europe acquière une plus grande autonomie en matière de défense et de sécurité. Il est essentiel d'avoir la maîtrise de notre outil de défense, de renforcer notre coopération, de mieux doter le Fonds européen de défense pour préparer l'avenir et garantir notre indépendance. J'espère que la crise nous permettra d'aller plus loin en contribuant à lever les réticences de certains États. On se rend de plus en plus compte que, même si nous pouvons avoir des alliances, nous sommes de plus en plus seuls en ce qui concerne notre autonomie et notre défense.

Monsieur Henno, je n'ai pas attendu la crise pour déplorer que le seul but de la politique de concurrence soit de garantir au consommateur des prix bas. La vraie politique de la concurrence doit permettre aux entreprises de rester au centre du jeu. La stratégie industrielle européenne que j'ai présentée avant la crise s'inscrit dans ce sens. Elle me semble plus d'actualité que jamais.

Madame Jouve, l'agriculture est un sujet central. Elle ne relève pas de ma compétence directe, mais de celle du commissaire à l'agriculture ; en revanche, je suis chargé de l'agroalimentaire. Nous sommes très attentifs aux problèmes de déstockage avec le déconfinement. Je l'ai évoqué hier avec la filière laitière. Nous sommes conscients des difficultés et essayons de trouver des solutions.

Il ne me semble pas enfin nécessaire de modifier les programmes d'Horizon Europe pour financer le sanitaire. Grâce à l'accord de l'Eurogroupe, il est déjà possible de mobiliser plus de 200 milliards d'euros au titre du MES qui pourront bénéficier aux industries de santé.

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