Intervention de Marie-Laure Denis

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Marie-Laure deNis présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés cnil et de M. Gwendal Le grand secrétaire général adjoint en téléconférence

Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) :

Concernant l'évaluation du caractère adéquat du dispositif numérique envisagé, puisque nous ne sommes pas des spécialistes de la santé publique, nous avons recours à des expertises. En tout état de cause, il faut apprécier l'utilité du dispositif par rapport à un contexte sanitaire évolutif, indépendamment de la question du pourcentage de la population qui serait couvert. Or, ne l'oublions pas, 25 % des Français ne disposent pas d'un ordiphone permettant de télécharger une application, et seulement 44 % des personnes de plus de 70 ans ont un smartphone, contre 98 % des 18-25 ans... D'ailleurs, l'équipement ne résout pas tout, car nombreux sont ceux qui connaissent des difficultés pour télécharger ou paramétrer une application. Il faut aussi tenir compte des zones blanches, et je sais, en tant qu'ancienne membre de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), que le Sénat y est très soucieux.

Selon l'étude de l'université d'Oxford, qui est la seule à ce jour sur le sujet, une telle application devrait couvrir 60 % de la population pour être efficace. Mais la prudence s'impose, car les paramètres sont nombreux et ces conclusions ne prennent pas en compte, alors que c'est absolument indispensable, les réponses sanitaires des gestes barrières, des tests, des masques, pas plus que la situation des personnes qui ont été contaminées ou la proportion, dans les tests sérologiques, des faux positifs et des faux négatifs, et des personnes asymptomatiques.

Par ailleurs, l'efficacité du dispositif dépend du paramétrage de l'application, qui peut varier, notamment pour la distance et la durée de contact à retenir. À Singapour, qui semble être l'exemple le plus proche de la France, avec du Bluetooth et du volontariat, la distance est de moins de 2 mètres pour une exposition de 30 minutes. Le National Health Service (NHS), le service de santé britannique, retient la même distance, mais pour une durée de contact de 15 minutes. Est-ce la même chose de passer au supermarché devant la caissière qui porte un masque et travaille derrière une vitre que de se trouver dans une rame de métro bondée ?

Pour que le consentement soit libre et éclairé, il faut s'assurer d'une information réelle et préalable. L'information générale des médias ou des politiques publiques doit être accompagnée de précisions sur le contenu des données, leur origine et leurs destinataires, leur finalité et la durée de leur utilisation. Tout est question de détail - nous sommes opposés aux cases pré-cochées - car le consentement doit demeurer la manifestation d'un acte clair et positif.

Vous avez fort opportunément souligné la pression sociale qui peut s'exercer sur des salariés qui n'auraient pas téléchargé l'application. Il faut absolument lutter contre ce phénomène, car, je le redis, cette application ne résout pas à elle seule la crise sanitaire que nous traversons : elle pourra seulement y contribuer dans le cadre d'une réponse sanitaire plus globale. En tout état de cause, si des plaintes devaient être déposées, la CNIL les instruirait au plus vite afin de sanctionner les éventuels abus d'employeurs.

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