Le numérique, dans cette crise sanitaire, ne peut être qu'un outil en appui de l'humain, au service des professionnels de santé, pour les aider à accomplir leur mission face à la virulence du virus et à sa vitesse de propagation. Le numérique leur permet d'aller vite et de traiter des volumes importants, à tous les stades du parcours de soin.
Premier exemple, lorsqu'une personne présente des symptômes et pense avoir contracté le virus, elle a spontanément tendance à appeler le SAMU pour être orientée. Cependant, si tout le monde le fait en même temps, le système est saturé. C'est pourquoi un consortium privé et public a rédigé un questionnaire d'une trentaine de questions, accessible en ligne, sur le site maladiecoronavirus.fr, qui permet à chacun d'obtenir une recommandation précise en fonction de ses réponses. Le numérique répond ainsi à ce besoin de vitesse, d'accessibilité et de volumétrie, tandis que les personnes qui ne sont pas à l'aise avec un tel système pourront toujours appeler directement un médecin parce que, grâce à ce site, le serveur téléphonique ne sera pas saturé.
Le numérique permet aussi d'accompagner le déploiement des tests de dépistage à grande échelle. L'enjeu est de transmettre rapidement les résultats des tests aux personnes concernées pour qu'elles puissent prendre les dispositions qui s'imposent, être orientées correctement par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires, savoir si elles doivent rentrer chez elles, au risque de contaminer leurs proches, si elles doivent aller ailleurs, etc. À ce stade, l'accompagnement humain est fondamental.
Ensuite, se pose la question du suivi des malades sans, là encore, saturer le système de soins. L'AP-HP a mis en place une application de télésuivi à domicile, Covidom, qui permet aux malades dont l'état ne nécessite pas d'hospitalisation d'être en relation continue avec leur médecin à domicile. Une application similaire, l'Ange Gardien, a été créée à Bordeaux.
Ainsi, le numérique vient épauler les professionnels de santé à toutes les étapes et aide notre système de santé à passer le cap, en termes de volumes, pour traiter nos concitoyens à grande échelle.
Il reste un trou dans la raquette : la détection des cas positifs, qui ne savent pas qu'ils sont malades, car le virus est encore en période d'incubation, mais qui sont néanmoins contagieux, ainsi que des cas contacts, c'est-à-dire les personnes qui ont pu être contaminées parce qu'elles ont été en contact avec une personne malade. L'enjeu est de les identifier le plus rapidement possible pour les accompagner et leur permettre de prendre les bonnes décisions pour elles-mêmes, leurs proches et la société. Or notre force sanitaire n'est pas dimensionnée pour faire face à la virulence de ce virus et prendre en charge le nombre de personnes contaminées. Elle a pu être à la hauteur à l'échelle d'un lycée dans l'Oise ou dans un village, comme les Contamines-Montjoie, mais elle n'existe pas au niveau national. Il convient donc de la créer, mais ce n'est pas mon rôle, et de l'équiper de solutions technologiques pour qu'elle puisse intervenir à l'échelle requise : c'est l'intérêt du numérique.
Nous avons regardé ce qu'ont fait les pays qui ont, selon des modalités d'ailleurs variables, mis l'accent sur l'identification et l'accompagnement des cas contacts, comme Taïwan, la Corée du Sud, la Chine, le Vietnam, Israël, Singapour, etc. Beaucoup de pays d'Asie du Sud-Est, instruits par l'épidémie de SRAS - syndrome respiratoire aigu sévère - de 2003, ont ainsi tout de suite pris des mesures pour garantir la continuité entre le moment où une personne est testée positive et sa prise en charge par le système de santé. Ils ont ainsi déployé une palette de réponses, en termes de santé publique et de police sanitaire, pour isoler au plus vite les personnes : en Corée du Sud ou en Israël, les malades sont confinés à domicile ; au Vietnam, ils sont placés dans des centres de rétention sanitaire. Plusieurs solutions ont ainsi été mises en oeuvre. Dans certains cas, le consentement des personnes n'est pas demandé, la solution s'appuyant sur l'outil de géolocalisation par GPS, une surveillance particulièrement intrusive des smartphones. Cela nous semble éloigné de ce que nous voulons faire. Les chercheurs en épidémiologie qui ont publié des articles montrant l'importance du traçage des cas contacts par le biais des solutions numériques - je pense notamment à un article de référence d'une équipe de l'université d'Oxford - n'ont jamais envisagé la géolocalisation. Singapour a mis en oeuvre une solution proportionnée et minimaliste, qui correspond au besoin exprimé par les autorités sanitaires de disposer d'outils pour renforcer l'efficacité opérationnelle des forces sanitaires : cela permet à une personne de savoir qu'elle a pu éventuellement être contaminée en raison de sa proximité avec un cas positif, afin qu'elle puisse aisément entrer en relation avec les autorités sanitaires pour être suivie. Ainsi, c'est en nous appuyant sur les recommandations des chercheurs et en nous inspirant de ce qui a été mis en place à Singapour que nous avons commencé à travailler sur une application, sous le pilotage des autorités de santé.