Intervention de Aymeril Hoang

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jean-François delFraissy président du comité de scientifiques covid-19 et aymeril hoang expert en numérique membre du comité de scientifiques covid-19 en téléconférence

Aymeril Hoang, expert en numérique, membre du comité de scientifiques Covid-19 :

Je présente mes excuses aux sénateurs auxquels je ne pourrai pas répondre, parce que leurs questions dépassent mon champ de compétences, aussi légitimes me paraissent-elles en tant que citoyen.

Pour ce qui est de l'application, le scénario sur lequel nous travaillons suppose des prérequis : l'accès aux tests et une situation de confinement allégée dans laquelle les gestes barrières sont respectés, en particulier la distance minimale de deux mètres en dehors du cercle familial. Le système sur lequel nous travaillons n'a de sens que dans ce cadre.

Selon moi, il n'y a qu'une manière de garantir le respect de la vie privée : que le code source et les spécifications de l'application soient transparents. Le Gouvernement ayant décidé que l'application serait open source, chaque citoyen pourra avoir connaissance du code. Dans une démocratie comme la nôtre, une application aussi sensible et inédite ne peut en aucun cas se concevoir sans une telle transparence. C'est pourquoi, dès le départ, le choix a été fait de travailler dans le cadre d'un projet de recherche ouverte et appliquée. Les sciences du numérique répondent ainsi à l'épidémiologie dans des conditions d'ouverture et de transparence conformes aux valeurs de la science en démocratie.

J'en viens à la question de la souveraineté. Nous avons été informés vendredi soir par Google et Apple de la solution que ces entreprises comptent proposer, non pas d'ailleurs tout de suite, mais à la mi-mai - sans parler des développements qui suivront. Je n'ai pas de jugement de valeur à formuler sur les intentions d'Apple et Google dans le contexte de la crise, mais, dans le cadre de leur solution clé en main, entièrement « packagée », elles définissent elles-mêmes le modèle sanitaire et conservent les identifiants ; tout le protocole est le leur, et je ne suis même pas sûr qu'elles aient prévu de mettre le code en open source. À titre personnel, j'estime qu'un tel système soulève des enjeux considérables en matière de souveraineté numérique. Ce problème fait écho à des questions sur lesquelles j'ai travaillé dans mes fonctions précédentes au sein de l'État, s'agissant de l'aptitude des pouvoirs publics à exercer une forme de régulation sur ces acteurs, sans en être dépendant.

Pour l'instant, nous suivons une logique de collaboration et de négociation avec ces entreprises, pour avoir accès à un certain nombre de fonctionnalités d'une manière qui permette à l'État et aux autorités sanitaires nationale, dans le cadre d'une coordination européenne, de décider souverainement de ce qui sera proposé aux citoyens.

Si ces négociations n'aboutissaient pas et que nous n'avions pas d'autre choix que d'adopter la solution clé en main, il y aurait des arbitrages et des priorités à établir, mais cela devrait nous interroger tous, en premier lieu la représentation nationale, sur les implications en termes d'indépendance et de souveraineté numériques. Pour être plus précis, la souveraineté suppose des briques open source et un hébergement sur des serveurs sous contrôle et auditabilité de l'État, ce qui serait impossible dans le cadre de la solution Google-Apple.

Mme Benbassa a raison : il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie à propos de la future application, dont le fonctionnement et les enjeux ne sont pas évidents, même pour les experts du numérique. Cette pédagogie contribuera à construire la confiance, avec la transparence, l'ouverture et l'auditabilité. En particulier, il conviendra d'insister sur l'objet exclusivement sanitaire de l'application, qui répond à la prescription des scientifiques compétents sous le contrôle des pouvoirs publics et de la représentation nationale.

En ce qui concerne l'inclusion, prenons un exemple très concret : un village d'environ 300 habitants en Haute-Savoie. Assez peu de personnes ont installé l'application, pour des raisons diverses - faute d'avoir un smartphone ou par manque de confiance, par exemple. Néanmoins, l'installation est utilisée par quelques personnes qui travaillent en dehors du village. Si l'une d'elles subit un contact prolongé avec quelqu'un qui, trois jours plus tard, est testé positif, elle en sera avertie et pourra prévenir son médecin et les autorités sanitaires, lesquelles sauront que, dans ce village, il y a un cas contact susceptible d'avoir contaminé d'autres personnes. Ainsi, même si très peu d'habitants disposent de l'application, des équipes agiles de la force sanitaire pourront mener une enquête de terrain - parvenu à ce stade, évidemment, le travail ne pourra plus être anonyme, car il faudra bien, pour agir, savoir qui a croisé qui.

Cet exemple montre que l'application peut avoir un sens notamment en zone rurale et partout où un travail de terrain est possible.

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