Il y a un mois, lors du premier PLFR, j'avais souligné combien les chiffres du Gouvernement sur la croissance et la dépense publique étaient optimistes, combien les mesures prises étaient sous-dimensionnées et j'avais annoncé que nous devrions nous revoir prochainement pour un nouveau collectif budgétaire : nous le vérifions pleinement aujourd'hui, et, devant ce nouveau texte, je peux vous annoncer pareillement que nous aurons à nous revoir le mois prochain pour un troisième PLFR. La situation ne cesse de se dégrader, on atteint les dix millions de chômeurs partiels, il faudra mobiliser davantage encore de moyens que le Gouvernement ne l'envisage aujourd'hui - le tort du Sénat, c'est d'annoncer trop tôt des choses vraies, on le vérifie encore avec ce collectif. Et dans le fond, cette crise démontre ce que nous ne cessons de dire depuis des années : la France manque de marges de manoeuvre, surtout par comparaison avec l'Allemagne, qui a su faire les efforts à temps. Cela explique que, face à la crise, l'Allemagne peut véritablement soutenir son économie avec des subventions directes aux entreprises, tandis que notre plan de soutien repose pour l'essentiel sur des reports de charges et des garanties.
Nous savions donc, il y a un mois, que les besoins seraient bien plus importants que ceux qui ont été prévus par le Gouvernement et que la situation des finances publiques serait bien plus dégradée qu'annoncé. Nous devons donc, dans ce deuxième collectif, et en attendant le troisième, renforcer le plan de soutien et actualiser le scénario budgétaire gouvernemental. Le PLFR est accompagné du programme de stabilité, qui n'apporte aucune information supplémentaire par rapport au premier collectif puisqu'il ne couvre que l'exercice 2020 et qu'il ne comporte pas d'orientations pluriannuelles - c'est un plan de crise, pour parer à l'immédiat.
Le scénario de croissance était passé de +1,3 % en loi de finances initiale à - 1 % dans le premier collectif ; nous avions bien raison de dire que cette hypothèse était trop optimiste. La prévision est aujourd'hui de - 8 %, c'est la plus mauvaise performance depuis la Seconde Guerre mondiale - nous n'étions pas tombés aussi bas, même après la crise de 2008. Le Gouvernement tient compte de la prolongation d'un mois du confinement, dont les effets économiques sont bien plus forts qu'initialement escompté. La Banque de France estime à un tiers le recul de l'activité, mais le coup d'arrêt est bien plus brutal dans certains secteurs - il est par exemple de 90 % dans la construction. Lors de son audition, le gouverneur de la Banque de France nous a confirmé que chaque mois de confinement représentait une perte comptable de 3 points de PIB. Le 11 mai ne signifiera pas la fin du confinement pour toute notre économie, des activités resteront réduites, voire fermées, comme l'hôtellerie-restauration : il y a donc de forts risques que le recul soit plus fort encore. La nouvelle prévision gouvernementale concorde cependant avec celle du Fonds monétaire international (FMI) et se situe dans la fourchette basse du consensus des économistes - les hypothèses varient très fortement, allant de - 18 % pour les plus pessimistes à - 3,5 %. En un mot, la situation est catastrophique.
La véritable incertitude, c'est la vitesse de la reprise en fin de confinement. Le Gouvernement privilégie un rebond rapide, mais rien ne le garantit. Au rang des éléments favorables figurent la mise à l'arrêt de l'activité volontaire - elle ne résulte pas de déséquilibres internes et longs à résorber, comme cela s'est passé en 2008 - ; ainsi que les mesures de soutien massives, en particulier celles qui sont prises par la Banque centrale européenne (BCE). Cependant, les aléas sont nombreux : la fin du confinement sera progressive, de nombreuses activités resteront fermées - l'hôtellerie-restauration ou le transport aérien - ; ensuite, la crise est mondiale, les chaînes de production s'en trouvent déséquilibrées ; enfin, le risque que l'épidémie revienne, ce qui est un facteur de ralentissement... En tout, le rebond n'est en rien garanti, alors que le Gouvernement compte dessus.
Côté épargne, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que les ménages ont mis de côté 55 milliards d'euros pendant le confinement, par précaution, mais aussi parce que la consommation est rendue difficile - essayez donc d'acheter une voiture ces temps-ci - ; l'utilisation de cette épargne après le confinement sera un levier.
Le renforcement du plan de soutien est au coeur de ce PLFR. Il y a un mois, je soulignais que le plan de soutien gouvernemental avait un faible impact budgétaire, de 0,5 % PIB, du fait qu'il procédait essentiellement à des allégements de charges, par contraste avec le plan allemand. Les Allemands, en particulier, ont d'emblée recouru à des subventions et des recapitalisations d'entreprises, y compris dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI), pour un montant global de 150 milliards d'euros.
Le Gouvernement a pris conscience des limites de son premier plan, il accepte désormais ce que nous proposions, en intervenant plus directement auprès des entreprises : le Fonds de solidarité passe de 1,7 à 7 milliards d'euros ; le montant global du plan progresse également. Néanmoins, la comparaison avec deux pays européens de taille comparable, le Royaume-Uni et l'Allemagne - l'analyse se trouve dans mon rapport - démontre l'insuffisance de ce nouveau plan gouvernemental. Mon homologue de l'Assemblée nationale, qu'on ne peut soupçonner d'être défavorable au Gouvernement, va dans le même sens que moi, comparant en particulier les 1 500 euros forfaitaires du Fonds de solidarité français aux quelque 9 000 euros pour les petites entreprises allemandes, soutien que les Länder peuvent compléter... Et la comparaison démontre que, là où l'Allemagne aide directement les entreprises, le plan français consiste surtout à différer des charges, mécanisme qui pourrait très bien ouvrir sur un dégrèvement, j'y reviendrai.
Les chiffres sont clairs : les 7 milliards d'euros de notre Fonds de solidarité, contre, je le répète, 1,7 milliard il y a un mois, sont à comparer aux 29 milliards d'euros mobilisés par le Royaume-Uni et aux 50 milliards d'euros mobilisés par l'Allemagne pour les TPE, les professions libérales et les indépendants. Plus globalement, ces deux voisins mettent respectivement 92 milliards d'euros et 160 milliards d'euros dans l'aide directe aux entreprises, contre 52 milliards d'euros pour la France. Voyez le côté hypocrite du plan français, qui consiste, pour l'essentiel, à reporter des charges - je doute, pour ma part, qu'un restaurant fermé puisse payer ses charges, ce qui laisse présager que ces reports ne vont pas tarder à devenir des dégrèvements...
La comparaison avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, mais aussi avec d'autres pays d'Europe du Nord, et les États-Unis, relativise donc le plan de 40 milliards d'euros annoncé par le Gouvernement, dont 24 milliards pour le chômage partiel. En réalité, si nous ne faisons pas plus pour les entreprises, c'est que nous ne le pouvons pas, faute de marges de manoeuvre - je n'ai cessé de répéter ces dernières années que, en cas de choc, nous ne pourrions pas y faire face comme nos voisins. J'évoquais un choc financier ou pétrolier - il s'agit finalement d'une pandémie -, mais nous sommes dans la crise que je redoutais, et ceux de nos voisins qui ont fait les efforts à temps disposent des marges qui nous font défaut. Nous allons donc nous endetter dans des proportions effrayantes, même si c'est à faible coût puisque les taux d'intérêt sont, actuellement, très bas, voire négatifs.
Le montant du plan passe ainsi de 355 milliards d'euros à 426,5 milliards d'euros, dont plus de 300 milliards de prêts garantis par l'État, un niveau qui paraît pour le moment suffisant puisque 100 milliards d'euros de prêts sont actuellement consommés par les entreprises.
Le déficit et de la dette bondissent : nous passons, pour le déficit, d'une prévision de 3,9 % du PIB lors du premier PLFR, à 9 % du PIB ; quant à l'endettement, j'avais craint qu'il n'atteigne 100 % du PIB, nous sommes à 115 % du PIB, avec une dépense publique record à 61 % du PIB... Je regrette que notre pays, champion du monde de la dépense publique, se montre incapable de fournir des masques à sa population : c'est une raison supplémentaire de supprimer les dépenses publiques inutiles, et, je le répète depuis des années, de s'interroger sur le rôle des agences régionales de santé (ARS), qui s'avèrent, dans la crise, totalement inefficaces !
Les chiffres budgétaires sont effrayants. Encore la BCE, par l'océan de liquidités qu'elle a déversé sur les marchés, est-elle venue éteindre l'incendie, nous offrant la possibilité de nous endetter à très faible coût - là où l'Italie, en 2008-2009, avait dû payer des taux d'intérêt à 9 %. Mais notre endettement ne sera soutenable qu'à condition que nous rétablissions progressivement nos comptes publics une fois la crise surmontée, faute de quoi la charge de la dette risque fort de devenir notre premier poste de dépenses budgétaires.
Si la décision enfin prise par le Gouvernement de soutenir les entreprises est la bonne, nous manquons donc de marges de manoeuvre et nous payons cette stratégie que j'ai maintes fois dénoncée, consistant pour le Gouvernement à reporter sur la deuxième partie du quinquennat les efforts nécessaires. Nous sommes désormais assurés que nous devrons vivre désormais avec un budget de crise. Encore ne parlons-nous pas du plan de relance qu'il faudra prendre nécessairement, les chiffres d'aujourd'hui, pour effrayants qu'ils soient, ne permettent que de parer au plus pressé, d'envoyer des bouées de sauvetage pour éviter que les plus modestes et les petites entreprises ne coulent définitivement, et que cela menace les emplois.
Le déficit budgétaire de l'État atteint donc 185,4 milliards d'euros, soit pratiquement le double du niveau, déjà très élevé, de 93,1 milliards d'euros voté en loi de finances initiale. C'est très au-delà, également, des déficits enregistrés pour résorber la crise de 2008 : après 34 milliards en 2007, le déficit avait atteint 56 milliards en 2008, puis 138 milliards en 2009 et 148 milliards en 2010, avant que nous le fassions, péniblement, revenir en dessous de 100 milliards d'euros - nous étions contents d'y parvenir pour le centième anniversaire de la direction du budget en 2019, comme cela paraît loin désormais ! Et, je le redis, nous ne faisons que lancer des bouées de sauvetage - où en serons-nous quand nous devrons relancer l'économie : devra-t-on en arriver à un déficit de 300 milliards d'euros ?
Côté recettes fiscales, la baisse atteint 32 milliards d'euros par rapport au collectif d'il y a un mois. Le Gouvernement nous avait présenté des chiffres tout à fait irréalistes, avec, par exemple, un produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui ne baissait pas, alors même que les transports étaient quasiment à l'arrêt. Les baisses concernent tous les impôts, conséquence de la chute de l'activité, sans compter que certains reculs sont reportés à plus tard, par exemple celui de l'impôt sur les sociétés. Quelques rares taxes progressent ou vont progresser, comme le prélèvement sur les jeux en ligne, ou peut-être aussi celui sur la vidéo à la demande (VOD), mais c'est dérisoire par rapport aux baisses. De plus, l'État a renoncé à des dividendes, et notre participation au budget européen augmente de 1,9 milliard d'euros. Les opérateurs publics voient eux aussi leurs recettes diminuer. C'est le cas, par exemple, de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), ou sans doute de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Les dépenses du budget général augmentent de 38 milliards d'euros, qui s'ajoutent aux 6,25 milliards de dépenses supplémentaires votées dans le premier collectif. C'est presque l'équivalent de la mission « Défense », en crédits de paiement, qui a été rajouté dans le budget en quelques semaines. C'est vertigineux, mais la situation l'exige.