Vous avez parfaitement raison : il s'agit de fuir le réel, d'aller chercher la vérité ailleurs. Lorsqu'une information vient percuter de plein fouet votre vision du monde, soit vous changez celle-ci en faisant votre aggiornamento, soit vous vous lancez dans une fuite en avant en adhérant à des visions complotistes. La dissonance cognitive créée par cette information est telle qu'il est insupportable de l'accepter. C'est ce qui s'est passé chez certains musulmans au moment de l'attentat de Charlie Hebdo, revendiqué par des musulmans au nom de l'idéologie islamiste. C'était tellement difficile d'assumer que certains de leurs coreligionnaires aient fait cela au nom d'une religion qu'ils avaient en partage que certains musulmans ont préféré se réfugier dans l'explication d'un complot pour discréditer l'islam. Cela peut arriver dans n'importe quelle communauté, ou même dans un parti politique qui se retrouverait mis en accusation. C'est totalement humain. Je le répète, il s'agit bien de fuir le réel.
Les fake news sont bien évidemment un formidable carburant pour l'insinuation conspirationniste. On mélange le vrai et le faux ou l'invérifiable, mais l'exploitation du faux n'est pas systématiquement la matrice du complotisme. On a vu de nombreuses vidéos, au mois de mars, selon lesquelles il existait un brevet montrant que l'Institut Pasteur avait créé le coronavirus. Le brevet existe bien ; il est accessible sur internet ; seulement, il était mal interprété. On a affaire à des gens qui sont à la fois dans une forme d'analphabétisme, car ils n'arrivent pas à comprendre ce qu'ils lisent, et d'excès de confiance en eux. En psychologie, on appelle cela l'effet Dunning-Kruger. En gros, plus on est incompétent sur un sujet, plus on a tendance à s'estimer surcompétent. On n'a même pas les compétences suffisantes pour estimer sa propre compétence. Cela donne des situations absolument rocambolesques. Ainsi, récemment, beaucoup se sont improvisés virologues ou infectiologues en ayant passé une heure sur internet. Les théories du complot ne sont pas toujours bâties sur des éléments faux, mais aussi parfois sur des éléments authentiques qui sont lus de travers.