Je vous remercie pour votre invitation, madame la présidente, et pour les mots de soutien que vous venez d'exprimer à l'égard des chercheurs. Depuis trois mois, la communauté des scientifiques fait effectivement preuve d'un engagement total pour tenter de trouver des solutions à cette pandémie. Le soutien des sénateurs et, plus largement, de nos gouvernants est important.
Je suis directeur scientifique de l'institut Pasteur depuis janvier 2020, après avoir occupé les fonctions de directeur de la technologie et des programmes scientifiques. Parallèlement, je dirige une unité de recherche s'intéressant aux champignons pathogènes de l'homme. J'ai eu d'autres expériences par le passé : professeur à l'école Polytechnique, responsable du secteur microbiologie, immunologie, et infection à l'Agence nationale de la recherche (ANR), directeur scientifique de l'institut de recherche technologique Bioaster.
L'institut Pasteur a été fondé en 1887 par Louis Pasteur pour promouvoir la vaccination contre la rage. Ce dernier l'a structuré autour de trois missions principales : la recherche sur les maladies infectieuses, plus largement les maladies ; la santé publique ; la formation. Une quatrième s'y est adjointe : le développement de l'innovation et le transfert technologique. Employant environ 2 800 personnes, dont 1 800 travaillent dans les laboratoires, l'institut comprend 12 départements de recherche, dont un de virologie, 135 entités de recherche et une vingtaine de plateformes technologiques et d'expérimentation animale.
Comment s'est-il organisé pour répondre à l'épidémie de Covid-19 ?
Sur le versant de la santé publique, l'institut Pasteur héberge des centres nationaux de référence (CNR). Parmi eux, le CNR chargé des infections respiratoires est dirigé par Sylvie van Der Werf.
L'une de ses missions est de proposer des tests de référence pour le diagnostic et le suivi des maladies virales. Le CNR a donc mis au point, dès janvier, le test qRT-PCR, un test moléculaire de diagnostic, qui a été partagé avec les centres français pouvant le réaliser, mais qui est aussi utilisé dans le cadre du CNR en lien avec la cellule d'intervention biologique d'urgence.
Le CNR s'est également impliqué dans le séquençage du génome du virus, qu'il a mis à disposition de la communauté scientifique après l'avoir isolé. Son périmètre d'action comprenant l'évaluation des tests moléculaires proposés par différentes entreprises, il a conduit un certain nombre de travaux sur ces tests commerciaux, avec rapports transmis aux autorités de santé et publiés. Enfin, il a contribué au développement de tests de sérologie de référence. Nous disposons dans ce domaine de tests et de panels de séra, qui peuvent nous permettre de qualifier d'autres tests soumis par les industriels.
Sur le versant de la recherche, ayant pris conscience, au cours de la deuxième quinzaine de janvier 2020, de la gravité de la crise et de la nécessité d'une structuration adéquate de notre recherche pour répondre aux défis qui se présentaient, nous avons mis en place une task force coronavirus. Placée sous la responsabilité du professeur Bruno Hoen et sous la mienne, cette cellule de coordination réunissant scientifiques et fonctions supports permet de gagner en efficacité et de bénéficier de financements sur la recherche Covid-19 - nos équipes ont ainsi tiré parti des appels à projets français ou européens. Nous avons déjà remonté des projets au Comité analyse, recherche et expertise (CARE) et continuons de le faire dans le cadre de cette task force. Par ce biais, nous assurons chaque semaine une animation scientifique destinée à toutes les équipes travaillant sur des projets en lien avec le Covid-19.
Aujourd'hui, plus de 250 chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels des services supports sont impliqués sur ce sujet, soit depuis chez eux, soit depuis notre campus, puisque cette activité est la seule que nous ayons laissée sur le campus pendant le confinement. Les dispositions prises par l'État concernant les procédures accélérées sur les manipulations d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et sur les études cliniques sont très bénéfiques à l'avancée de nos recherches.
Pour évoquer l'état de ces recherches, j'en resterai aux thèmes choisis pour l'audition - vaccinologie et thérapeutique -, mais je répondrai aux éventuelles questions portant sur l'épidémiologie ou le diagnostic.
S'agissant de la vaccinologie, plusieurs projets sont menés. J'en citerai trois. Les deux premiers font appel à des virus atténués comme plateforme vaccinale. Des travaux conjoints sont ainsi menés par Christiane Gerke, Frédéric Tangy et Nicolas Escriou autour de la rougeole ; d'autres sont développés autour d'une plateforme lentivirale - donc de la famille du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) - par l'équipe de Pierre Charneau. Une autre approche est celle de la vaccination ADN, avec, notamment, les travaux développés par Étienne Simon-Lorière.
Tous ces projets avancent bien. Les différentes stratégies vaccinales sont actuellement testées chez l'animal, afin de pouvoir mettre en évidence l'induction d'une réponse immunitaire et la production d'anticorps, tout particulièrement d'anticorps neutralisants, essentiels pour bloquer l'infection à la suite de la vaccination. Nous espérons être en mesure de qualifier ces réponses vaccinales dans le courant du mois de mai, afin de nous engager vers des études cliniques.
S'agissant du domaine thérapeutique, les actions que nous menons s'inscrivent, pour l'essentiel d'entre elles, dans un plus long terme.
Nous avons mis en place une plateforme d'évaluation de molécules antivirales. Ce petit groupe de chercheurs teste, à partir d'idées soumises par des équipes industrielles ou académiques, l'efficacité antivirale de certaines molécules.
Nous travaillons aussi à l'identification de stratégies thérapeutiques permettant de bloquer l'entrée du virus, en particulier par le développement d'anticorps monoclonaux, d'inhibiteurs de la polymérase du virus ou de molécules susceptibles d'interférer sur les fonctions de l'hôte essentielles à la réplication du virus. Sur ce dernier point, j'aimerais mettre en avant notre collaboration avec l'université de San Francisco et le Mount Sinai Hospital à New York : elle nous a permis de repérer quelques molécules, soit disposant d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), soit entrées en phase d'essais cliniques, qui peuvent présenter un intérêt thérapeutique. Enfin, depuis plus récemment, nous menons des projets sur la susceptibilité à l'infection, le possible neurotropisme du virus ou la réponse de l'hôte au cours de l'infection.
Nos chercheurs travaillent donc sur ce sujet sans répit, sept jours sur sept, pour proposer des solutions vaccinales ou thérapeutiques, mais aussi des approches quant au diagnostic et à la sérologie.
Nous sommes une fondation de recherche, je le rappelle, et c'est grâce à notre flexibilité que nous avons pu engager très rapidement certains projets. Je voudrais donc saluer la générosité publique, qui, au-delà des financements de l'État, nous fait vivre. Nous avons très rapidement lancé une campagne de soutien à l'institut Pasteur pour ses recherches sur le Covid-19, qui nous permet aujourd'hui de soutenir nos projets, ici comme au sein du réseau.
Il n'y a pas de réponse sans expertise. C'est aussi parce que l'institut Pasteur a bâti une très solide expertise en virologie, internationalement reconnue, notamment sur le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), ou sur le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) que nous pouvons être réactifs sur cette épidémie.
Je voudrais donc profiter de ce propos introductif pour dire combien il est important de soutenir la recherche fondamentale, même sur des sujets qui, sur le moment, ne paraissent pas prioritaires.
Par ailleurs, nos jeunes chercheurs ont continué à travailler pendant le confinement, mais dans des conditions qui ne sont pas les mêmes qu'habituellement. L'État devra les aider à rattraper le retard accumulé.
J'ai noté avec plaisir que plusieurs appels à projets lancés par l'ANR sur le Covid-19 présentaient des taux de succès très élevés : 30 %, au moins, contre 10 % à 12 % en temps normal. Maintenir de tels taux à l'avenir permettrait à la recherche française d'avancer plus efficacement !