Au préalable, j'espère que vous vous portez tous bien, ainsi que les personnes qui vous entourent !
Madame la présidente, vous avez bien posé le cadre de notre réunion.
La situation actuelle est complexe et extraordinaire de par ses conséquences géographique, sanitaires (je salue le monde hospitalier et médico-social qui combat quotidiennement ce virus) et économique. Elle soulève de nombreux défis et enjeux pour les enfants, pour les parents - dans le cadre familial ou au sein des institutions de protection de l'enfance. Nous avons tous dû, collectivement, nous adapter, être réactifs, créatifs, ajuster nos actions à la situation et y apporter des réponses diverses, pragmatiques, en collaboration avec l'ensemble des acteurs et des professionnels de la protection de l'enfance, dont je souligne l'engagement, tout comme celui des travailleurs sociaux, qui contribuent très largement à ce que le système « tienne ».
Une fois passés l'effet de sidération et la légère désorganisation au début du confinement, nous avons mis en place de nouvelles mesures, car la protection de l'enfance ne pouvait être interrompue pendant cette crise. Je dirais même que c'est en cas de crise que la situation des enfants est la plus fragile, ce qui nous oblige à être vigilants pour jouer notre rôle de garants des droits fondamentaux des enfants. De nouveaux problèmes sont apparus, auxquels nous avons essayé de répondre ensemble - je pense en particulier à l'aide sociale à l'enfance (ASE) - de même que nous avons veillé à anticiper les problèmes qui pouvaient se poser. Et tout en continuant à gérer l'urgence, nous commençons à réfléchir à la sortie du confinement.
Je vous parlerai des violences intrafamiliales, et donc du 119, ainsi que du volet « prévention » et de tout ce qui a trait à l'accompagnement à la parentalité, quand les parents doivent être également professeurs, éducateurs de centre de loisirs, etc. Dans certains cas, des situations peuvent dériver vers la maltraitance ou vers des violences éducatives ordinaires. Je ferai donc un point sur le dispositif d'accompagnement des parents. Puis j'évoquerai l'aide sociale à l'enfance.
En temps normal, 80 % des violences faites aux enfants, qu'elles soient de nature psychologique, physique ou sexuelle, ont lieu dans le cercle familial. De fait, la fermeture des écoles peut mettre certains enfants en danger. C'est pourquoi nous avons veillé à la continuité du service puis au renforcement des dispositifs d'alerte existants, en premier lieu le 119, qui a dû s'adapter. À ce jour, il est joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il compte une trentaine d'écoutants. Le Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED) s'est organisé pour assurer la prise des appels au 119 afin de protéger les écoutants de l'épidémie : trente écoutants sont donc en télétravail et se relaient jour et nuit pour répondre aux appels.
Le 119 travaille en collaboration très étroite avec un certain nombre d'associations, plus particulièrement avec quatre d'entre elles : La voix de l'enfant, Enfance et partage, L'Enfant bleu et Colosse aux pieds d'argile. Certains appels, en accord avec l'appelant, en fonction de leur nature, en particulier si ce sont des parents qui appellent pour faire part de leurs difficultés - cela représente près de la moitié des appels - peuvent être rebasculés vers ces associations pour un accompagnement.
J'ai clairement indiqué que, en cette période de crise, rien ne ferait obstacle à la continuité de service du 119 - moyens humains et financiers. Dès avant celle-ci, j'avais déjà augmenté les moyens du 119.
Dans un courrier à l'ensemble des présidents de conseil départemental, j'ai demandé à ceux-ci que l'ensemble des cellules de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) assurent un plan de continuité de leurs activités. Les CRIP sont en relation constante avec les équipes du 119. Toujours est-il que les choses peuvent être améliorées et j'appellerai si c'est nécessaire les présidents des conseils départementaux à cette fin.
Concernant les forces de l'ordre - police et gendarmerie - le ministre de l'intérieur est très investi sur la question des violences faites aux femmes et aux enfants en cette période de crise et il les a donc sensibilisées sur ces questions.
La garde des sceaux, quant à elle, a dès le début déclaré que la justice des mineurs faisait partie des activités prioritaires devant être maintenues par les tribunaux, qui se sont adaptés. Des audiences pour mineurs se tiennent et des ordonnances de placement provisoire sont prises quand il est nécessaire de retirer un enfant à sa famille.
Nous avons fait en sorte de disposer de suffisamment de places au sein des foyers de l'ASE pour accueillir en urgence des enfants.
Il a fallu aussi démultiplier les canaux de signalement. On comprend aisément que, confiné chez lui avec son bourreau, il soit difficile pour un enfant d'appeler le 119. C'est pourquoi nous avons accéléré un projet en cours : il est donc possible depuis le 2 avril de faire un signalement en ligne à partir du site allo119.gouv.fr, qui permet à un enfant victime ou à un témoin, s'il ne peut alerter par téléphone, de faire un signalement par mail.
Le signalement auprès de son pharmacien des violences conjugales, ainsi que l'a annoncé le ministre de l'intérieur, vaut également pour les violences sur les enfants, qui peuvent aussi être signalées par SMS au 114. Le comité interministériel du handicap, qui gère le 114, m'a indiqué en milieu de semaine dernière qu'il avait reçu quatre SMS émanant d'enfants. Sachez enfin que nous travaillons à la création d'un tchat en ligne permettant aux enfants de signaler des violences.
Le troisième élément important, c'est la publicité faite autour de ces dispositifs. À cet égard, je salue l'ensemble des médias auprès desquels nous avons obtenu gracieusement l'équivalent de 1,5 million d'euros d'espaces publicitaires pour diffuser la campagne sur le 119, à la télévision, à la radio et sur Internet, Facebook, Twitter ou TikTok, très en vogue chez les enfants.
Cette stratégie fonctionne. Pendant les trois premières semaines du confinement, le 119 a enregistré une hausse de 20 % des appels par rapport aux trois semaines ayant précédé le confinement. À compter du lancement de la campagne, au début du mois d'avril, les appels ont augmenté de 50 %. Cela traduit à la fois une augmentation des violences sur les enfants, mais aussi la manifestation d'une plus grande vigilance, la nôtre, celle des Français : les appels passés par les voisins ont augmenté de 30 %, et ceux passés par les camarades, de 36 %. Les appels transmis à la police ou à la gendarmerie ont quant à eux augmenté de 35%. On a constaté une hausse de 60 % des appels considérés comme urgents par les écoutants et devant donner lieu à une enquête immédiate des services sociaux. L'augmentation de ces appels traduit le baromètre de notre propre vigilance : chaque Français doit être la vigie de la sécurité de nos enfants. Il faut poursuivre dans cette voie : au moindre doute, c'est une responsabilité collective, il convient de s'enquérir de la situation !
Entre le 2 et le 7 avril, soit en moins d'une semaine, on a enregistré 130 signalements via le formulaire en ligne du allo119.gouv.fr, canal qui est appelé à monter en puissance.
Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement et moi-même avons écrit à l'ensemble des bailleurs sociaux, aux syndics, aux acteurs de l'immobilier pour qu'ils apposent dans les halls d'entrée des immeubles des affiches informant sur le 119. Avec le ministre de l'éducation nationale, nous avons mis en place une communication sur le 119 sur les plateformes maclassealamaison. De même, nous travaillons en relation avec la Fédération du commerce et de la distribution pour envisager un affichage dans les grandes surfaces.
J'en viens à la prévention et au soutien à la parentalité.
Les parents sont soumis à une forte pression en cette période particulière. Même si la continuité éducative est importante, même si les inégalités scolaires peuvent s'accroître en cette période de confinement, ils ne doivent pas s'imposer trop de pression ! C'est parfois une trop grande rigidité qui est à la source des maltraitances. Il faut donc faire preuve de souplesse en cette période vis-à-vis des enfants en leur permettant de diversifier leurs activités.
Notamment avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), nous avons identifié quatre grands types de besoins exprimés par les parents : un besoin d'information sur la pandémie et la meilleure façon d'en parler aux enfants ; un besoin de suggestions d'activités éducatives pour occuper les enfants durant la journée - de nombreuses initiatives ont été prises en la matière - ; un besoin d'appui en matière d'accompagnement à la scolarité, et la chaîne de télévision France 4 fait beaucoup en la matière ; un besoin d'accompagnement à la parentalité, pour prendre du recul, pour souffler, pour trouver des réponses aux difficultés dans la gestion du foyer.
Plutôt que de réinventer ce qui existait déjà, nous avons voulu, avec la CNAF, agréger toutes les ressources disponibles. D'une part, à travers le numéro vert du Covid, le 0800 130 000, qu'on appelait au début pour avoir des informations sur le virus et qui est de moins en moins sollicité, il est possible désormais de joindre une cellule de soutien psychologique en relation avec la Croix-Rouge. Les parents qui appellent ce numéro peuvent être dirigés vers différentes associations, comme Les Pâtes au beurre, que la sénatrice Michelle Meunier connaît bien, Enfant présent, Enfance et partage, e-Enfance pour les cas de harcèlement en ligne, les Apprentis d'Auteuil pour les ados, ou Enfance et Covid, structure montée par Boris Cyrulnik avec d'autres professionnels de la commission des 1 000 jours. Ces associations vont donc pouvoir accompagner les parents en fonction des problématiques auxquelles ils sont confrontés.
Par ailleurs, le site de la CNAF www.monenfant.fr met à disposition des fiches thématiques et des vidéos diverses. Le même site propose un centre de loisirs virtuels.
Tous ces moyens coûtent de l'argent au secteur associatif. C'est la raison pour laquelle j'ai dégagé 500 000 euros pour les aider en cette période de crise. Ces besoins concernent plus particulièrement le fonctionnement des lignes téléphoniques existantes (recrutement de personnel supplémentaire, formation et supervision, etc.), l'équipement destiné au travail à distance (achat de logiciels...) et l'élaboration et la diffusion de supports de communication.
Les caisses locales d'allocations familiales sont particulièrement mobilisées pour entretenir actuellement un lien plus étroit encore avec les familles qu'elles suivent en temps normal. Les familles en situation de fragilité sont en effet confrontées à un contexte de confinement qui peut s'avérer particulièrement problématique, qu'il s'agisse des familles monoparentales, ou des familles concernées par le handicap ou par une séparation conflictuelle.
Dernier point : l'Aide sociale à l'enfance, qui faisait l'objet d'une inquiétude particulière de notre part au début du confinement. Les associations comme les départements attendaient qu'un certain nombre de principes directeurs soient fixés par l'État. Au début du confinement, des décisions sans doute un peu trop rapides ont été prises : par exemple, certains départements ont décidé de suspendre du jour au lendemain toutes les interventions à domicile. Nous avons diffusé très rapidement un certain nombre de fiches consignes à l'attention des acteurs de la protection de l'enfance, associations comme départements.
Une fois par semaine, je réunis en audioconférence l'ensemble des associations et grandes fédérations de la protection de l'enfance, les gestionnaires d'établissements intervenant à domicile, les représentants des assistants familiaux pour traiter les problèmes et anticiper ceux qui pourraient se présenter, et évaluer l'effet des mesures prises. En outre, je m'entretiens régulièrement avec le président de l'Association des départements de France (ADF) et avec un grand nombre de présidents de conseils départementaux pour identifier les bonnes pratiques ou essayer de trouver avec eux des solutions.
Parmi les consignes que nous avons données : les droits de visite et d'hébergement. Il fallait arbitrer entre l'intérêt supérieur de l'enfant, l'impératif sanitaire et les droits des parents. Nous avons préconisé une suspension des droits de visite et d'hébergement, décision très difficile à prendre et à vivre pour les enfants concernés, surtout dans la perspective d'un prolongement du confinement. Nous avons indiqué qu'il convenait de définir des formes alternatives d'échanges entre les parents et les enfants (par téléphone, par visioconférence, etc.)
Je souhaite maintenant que, dans le respect très strict des règles sanitaires, on réfléchisse à une reprise du droit de visite, en l'adaptant, c'est-à-dire en accordant la priorité aux situations les plus à risque.
S'agissant des mineurs non accompagnés, alors que tous les services d'évaluation des préfectures sont aujourd'hui suspendus, la priorité va à la mise à l'abri des enfants, mineurs ou non. Nous avons aussi demandé aux départements d'accorder une attention particulière aux enfants séjournant dans les hôtels, qui sont particulièrement isolés et qui requièrent un suivi particulier. De même, les centres de protection maternelle et infantile (PMI) doivent continuer à fonctionner, ce qui est le cas la plupart du temps.
J'ai obtenu, dès la deuxième semaine du confinement, que les enfants des personnels de la protection de l'enfance au sens large puissent aller à l'école : ces structures ont retrouvé entre 20 et 30 % de leur personnel. Pareillement, les associations ont salué la mise en place, avec Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, de la « réserve sociale », grâce à laquelle les étudiants en travail social viennent en appui des travailleurs sociaux.
Nous avons fait en sorte que la protection de l'enfance soit intégrée à la plateforme de bénévolat mise en place par Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse (jeveuxaider.gouv.fr) pour proposer du soutien scolaire, de l'activité physique, artistique ou culturelle dans les foyers de l'ASE. 80 structures de notre réseau s'y sont déjà inscrites, pour environ 800 bénévoles. Avec la ministre des sports, nous avons encouragé les éducateurs sportifs, qui sont largement en chômage technique, à s'inscrire sur cette plateforme.
S'agissant de la continuité éducative et du droit à la scolarité, les enfants de l'ASE, d'une manière générale, connaissent des difficultés scolaires. Cette période de confinement - et cela vaut aussi pour les enfants des familles précaire - va accroître les inégalités scolaires. Le ministre de l'éducation nationale a annoncé un dispositif de soutien. Nous avons identifié un problème matériel dans ces structures et ces familles : l'absence d'ordinateurs. Avec le secrétaire d'État chargé du numérique, nous avons lancé un appel à la générosité via le site www.desordispournosenfants.fr. À ce jour, nous avons collecté 2 000 ordinateurs et 4 000 ont été annoncés - le besoin total est de 10 000.
Voilà donc quelques-unes des mesures mises en place pour protéger au mieux les enfants et s'assurer qu'ils ne soient pas les victimes indirectes du virus. Tous les moyens de l'État resteront mobilisés pour combattre les conséquences de l'épidémie dans nos familles et nos établissements de protection de l'enfance.