Intervention de Bruno Angles

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 11 mars 2020 à 9h35
Audition de M. Bruno Angles représentant des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les discussions avec l'état sur les contrats de concession de 2014 à 2015

Bruno Angles, représentant des sociétés concessionnaires d'autoroutes dans les discussions avec l'État sur les contrats de concession de 2014 à 2015 :

Je suis X - Ponts, et ai débuté ma carrière au ministère de l'Équipement, d'abord à la Direction départementale de l'équipement (DDE) d'Ille-et-Vilaine puis comme conseiller technique au cabinet de Bernard Bosson, pendant la seconde cohabitation. J'ai ensuite été nommé directeur général d'Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB), fonction que j'ai exercée de 1994 à 1996.

J'ai ensuite décidé de rejoindre le secteur privé, d'abord en étant mis en disponibilité, puis après avoir épuisé ces droits à disponibilité, en démissionnant de la fonction publique. J'ai rejoint le cabinet McKinsey pendant huit ans, avant d'être recruté par le groupe Vinci où j'ai passé un an comme directeur général de la division Vinci Énergies - en charge des travaux électriques et télécoms, qui n'avait rien à voir avec Vinci Concessions, division dirigée à l'époque par David Azéma. J'ai ensuite quitté Vinci et ai rebondi comme senior partner au sein du cabinet de conseil Mercer Delta. Pendant ce temps, j'ai occupé deux postes d'administrateur : de la société Saft d'une part - qui n'a rien à voir avec notre sujet - et, au lendemain de la fin du processus de privatisation, de la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et AREA (Société des autoroutes Rhône-Alpes) d'autre part.

Après dix-huit mois dans cette configuration, j'avais appris à connaître Macquarie, société pour le compte de laquelle j'étais administrateur. Nous avons eu envie de travailler plus intensément ensemble, et j'ai donc quitté Mercer Delta pour travailler à temps plein pour Macquarie, comme président France. J'étais aussi en charge, pour les fonds d'infrastructures, de l'Europe continentale de l'Ouest - Scandinavie, Benelux, péninsule ibérique et France. J'ai donc eu à connaître d'APRR et d'AREA, car Macquarie était devenu en 2006 actionnaire à 50%, à parité avec Eiffage, de ces deux sociétés. J'ai occupé ce poste chez Macquarie jusqu'en mars 2016. À cette fonction, j'ai vécu une période très particulière, sur laquelle vous souhaitez m'entendre : du 3 décembre 2014 au 9 avril 2015, les sept sociétés concessionnaires d'autoroutes m'ont demandé d'être leur représentant dans les négociations avec l'État. J'ai ensuite quitté Macquarie en avril 2016 pour être président, pour la France et la Belgique, de Crédit suisse.

J'ai lu attentivement les documents que vous m'avez adressés, et j'aime que les choses soient parfaitement claires. Pour vous répondre sur d'éventuels liens voire conflits d'intérêts qui pourraient me concerner, je précise que je n'ai de lien personnel avec aucune des parties, que ce soit du côté du concédant ou des concessionnaires. J'ai rejoint il y a presque quatre ans la banque Crédit suisse, qui est en relation d'affaires avec plusieurs parties, que ce soit du côté privé avec Vinci, Eiffage, Macquarie, FFP ou Ardian, qui sont les actionnaires des sociétés concessionnaires d'autoroutes, du côté public avec l'Agence des participations de l'État (APE), la Caisse des dépôts et consignations et la CNP, ces deux derniers étant à l'époque actionnaires du groupe Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef) et Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN). Crédit suisse n'a travaillé depuis 2016 avec aucune des parties que je viens de citer sur les sujets liés aux concessions autoroutières ni avec aucune des sept sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Vous m'interrogez sur la situation des sociétés d'autoroute fin 2014 et la négociation - nous pourrons revenir sur les détails de celle-ci. L'élément déclencheur a été le rapport de l'Autorité de la concurrence, publié en septembre 2014, contenant des affirmations dont un certain nombre étaient fausses. Nous pourrons reprendre les points un par un si vous le souhaitez. Du 17 septembre 2014 au 3 décembre 2014 - date du démarrage de négociations un peu structurées -, il y a eu une phase « d'exubérance irrationnelle collective », comme je l'avais qualifiée devant le groupe de travail parlementaire mis en place par le Premier ministre par la suite, durant laquelle tout et n'importe quoi était dit, sans s'appuyer sur des faits. Or l'Autorité de la concurrence a été mise en très grande difficulté lorsqu'elle a été forcée de s'expliquer pour justifier ses affirmations, au moins à trois reprises.

La première fois fut le 17 septembre 2014, lors de l'audition du président de l'Autorité de la concurrence par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Vous pouvez retrouver ces éléments dans les comptes rendus de l'Assemblée nationale. Le président de l'Autorité avait été pris à partie par au moins quatre parlementaires, tous bords confondus, et pas les moins pointus en matière de finances : Olivier Faure, Jérôme Chartier, Valérie Rabault et Gilles Carrez, alors président de la commission des finances. Lors de cette réunion, on sent que la commission essaie de pousser dans ses retranchements le président de l'Autorité de la concurrence - et c'est très dommage que cela ne soit pas allé au-delà ce jour-là. La commission lui a notamment demandé s'il était sûr d'avoir les bons chiffres et s'il avait la certitude que son analyse était correcte.

J'ai retrouvé les notes que j'avais préparées pour mon audition devant le groupe de travail des parlementaires en février 2015. Ingénieur, j'ai appris que lorsque le point de départ d'une démonstration était faux, il y avait peu de chances que le point d'arrivée soit juste. L'exécutif - et non les sociétés concessionnaires d'autoroutes ! - nous avait dit, dès octobre 2014, les yeux dans les yeux, que ce rapport était un « mélange d'incompétence et de malveillance. » L'Autorité de la concurrence peut être comparée, dans ce cas précis, à un médecin qu'on enverrait contrôler la tension d'un patient et qui reviendrait, en disant à qui veut l'entendre que le patient a 36,5, ce qui est très grave - sauf qu'il s'agit de la température, et de surcroît d'une température normale. Le patient, c'est les sociétés concessionnaires d'autoroutes ; le médecin, c'est l'Autorité de la concurrence ; la tension, c'est la rentabilité ; et le 36,5, ce sont les 20 % à 24 % mentionnés dans le rapport de l'Autorité de la concurrence. Mais toute personne qui s'intéresse sérieusement aux concessions sait que le bon indicateur de rentabilité n'est pas une marge brute sur le chiffre d'affaires, mais le taux de rentabilité interne (TRI) sur la durée de la concession. Durant neuf ans chez Macquarie, j'ai participé à un nombre incalculable de comités d'investissement, et on ne regardait jamais cette marge sur chiffre d'affaires sur une année donnée - cela n'a strictement aucun sens s'agissant d'une concession - mais nous regardions le TRI. Lors de cette phase d'exubérance irrationnelle collective, les sociétés concessionnaires n'ont eu de cesse d'essayer de rétablir cette vérité.

Une réunion importante a été convoquée par les ministres de l'écologie et de l'économie de l'époque le 3 décembre 2014, qui a mis en place le processus de négociation. Dès le 8 décembre, les sociétés concessionnaires ont adressé au ministre un courrier avec une annexe spécifique sur les problèmes que posait le rapport de l'Autorité de la concurrence. Le 3 décembre, les ministres nous ont demandé de travailler à la fois sur des négociations avec l'État et sur une confrontation avec l'Autorité de la concurrence. Nous avons avancé rapidement avec les deux négociateurs désignés par l'État, Alexis Kohler et Élisabeth Borne, mais nous avons eu beaucoup de mal à obtenir une réunion contradictoire avec l'Autorité de la concurrence. Le 18 décembre au matin, le ministre de l'économie - chacun se souvient de qui il s'agissait - a affirmé qu'il était inadmissible que cette réunion n'ait pas eu lieu précédemment. Elle a eu lieu le 18 décembre après-midi à La Défense, sous l'égide de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), dans les bureaux du ministère de l'écologie. Il est alors apparu au cours de cette réunion, de façon assez flagrante, que l'Autorité de la concurrence s'était trompée - cela peut arriver à tout le monde.

Troisième circonstance, j'ai été auditionné en février 2015 par le groupe de travail rassemblant quinze parlementaires désignés par le Premier ministre, lequel estimait qu'il était indispensable d'organiser à nouveau une confrontation entre les sept sociétés concessionnaires et l'Autorité de la concurrence. Il doit rester, dans les archives parlementaires, des traces de cette confrontation de trois heures et demie, à laquelle les sociétés concessionnaires d'autoroutes étaient présentes mais à laquelle je n'ai pas assisté. À la suite de mon audition fin février-début mars, il n'y avait aucun doute, dans l'esprit des parlementaires présents - et sans faire de procès d'intention à qui que ce soit, ni à l'Autorité de la concurrence, ni à son président - que l'Autorité de la concurrence avait envoyé l'exécutif et les parlementaires, dans le mur. C'est un constat. Il a fallu un peu de temps, entre le 3 décembre 2014 et le 9 avril 2015, pour rétablir un certain nombre de vérités, que ce soit sur les fantasmes des surprofits, de la rentabilité excessive ou sur les tarifs. Je suis prêt à débattre de tous ces points.

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