Si vous me demandez de mettre en cause Bercy - certaines personnes présentes dans la salle en viennent ou y sont -, je serai très sévère, peut-être excessif, car j'en ai beaucoup souffert, et ce depuis ma première année de vie parlementaire. Je vous en donne trois petits exemples.
Premièrement, pourquoi Raymond Barre, lorsqu'il est devenu Premier ministre, a-t-il souhaité être en même temps ministre des finances ? Pour essayer de faire en sorte qu'un Premier ministre ait un tout petit peu de pouvoir dans cette grande maison, qui se situait alors rue de Rivoli.
Deuxièmement, j'ai échangé vertement avec un Premier ministre, qui a levé les bras au ciel en disant : « Que veux-tu, Gilles ? Je n'arrive pas à avoir les documents de Bercy. » Un Premier ministre ! Ce n'était pas Jean-Pierre Raffarin ; à l'époque, j'étais député. C'est gravissime dans un pays de droit.
Troisièmement - je pourrais passer la soirée à vous donner des exemples, mais je ne veux pas vous accabler ou vous démoraliser -, lorsque Jean-Pierre Raffarin m'a proposé le ministère de l'Équipement, des Transports, du Tourisme et de la Mer, j'ai également réclamé le Logement. Il m'a demandé pourquoi. Je lui ai répondu que cela me passionnait, et que j'aimerais bien essayer de faire à l'échelon national ce que j'avais fait dans ma ville. Il m'a donné satisfaction. Puis est arrivé le début de mon étude pour essayer de faire le dispositif qu'on a gentiment appelé le dispositif Robien pour le logement. Évidemment, Bercy était contre. À l'époque, le ministre des finances, mon ami Francis Mer, m'avait dit : « Gilles, tu te rends compte ? Cela va coûter de l'argent. » Je lui ai répondu : « Peut-être que cela coûte de l'argent ; je n'en suis pas sûr. En revanche, il faut des logements ; ça, j'en suis sûr. Il n'y a qu'une chose qui peut nous départager. Faisons-le, et dans un an ou deux, on calculera très exactement les recettes et les dépenses. » J'ai eu un arbitrage favorable grâce au même Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Au bout d'un an - ce n'est pas un secret d'État que je dévoile -, pratiquement tous les mercredis, je demandais à Francis Mer : « As-tu l'étude ? Il y a eu 10 000 logements cette année. On part sur 50 000 l'année prochaine et 80 000 l'année suivante avec le dispositif Robien. » Pendant six mois ou huit mois, j'ai demandé à Francis Mer. Il n'a jamais, lui, le ministre, obtenu le calcul entre les dépenses fiscales - pour Bercy, quand on a moins de recettes, ce sont des « dépenses fiscales » : encore une curiosité ! - et toutes les recettes que procurent les différentes taxes qu'on connaît. Quand on construit un logement, on crée un emploi et demi. Combien cela rapporte-t-il, en réduisant le chômage ? C'est un tout. Cela mérite tout de même une étude très approfondie. Ce serait même passionnant de savoir ce que le dispositif Pinel, qui marche très bien, coûte et rapporte aujourd'hui. Mais il n'y a rien à faire. Même le ministre de l'époque n'a jamais réussi à avoir une étude pour connaître la différence entre les recettes et les dépenses.
Lorsque j'ai commis une loi sur l'aménagement du temps de travail, Bercy m'a dit que cela allait coûter trop cher, à cause des réductions de charges sociales importantes liées aux créations d'emplois. Oui, mais un emploi, cela rapporte. Bercy n'a jamais fait d'étude sur ce point. Il y a eu des études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), de l'Assemblée nationale ; toutes étaient en faveur du dispositif pour dire que cela coûtait beaucoup moins cher qu'un chômeur.
Mais il est tout même terrible que le coeur financier de l'État pratique ce que j'appelle tout simplement de la rétention de pouvoir. Ce que je dis est très dur, mais je suis à un âge tellement amorti que je ne risque plus de subir des représailles. Encore que...