Intervention de Sébastien Soriano

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Sébastien Soriano président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse arcep en téléconférence

Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep) :

C'est toujours un plaisir de venir devant vous. Nous sommes attentifs aux orientations du Parlement, notamment à celles qui sont exprimées par cette commission, car nous sommes à l'écoute des priorités de la Nation.

En effet, les réseaux tiennent et on constate à quel point on a besoin d'eux. La première réaction des pouvoirs publics a été de s'assurer de la capacité des opérateurs à les entretenir par des interventions physiques, avec la mise en place de plans de continuation d'activité (PCA) axés sur cette priorité. Le risque de congestion était alors seulement potentiel et nous avons anticipé durant le week-end précédant le confinement les conséquences d'une explosion du télétravail, de l'école en ligne et des usages ludiques. Le déploiement a été traité par le Gouvernement par le biais des ordonnances, permettant une fluidification des interventions.

L'Arcep a agi plutôt sur la congestion, en maintenant un dialogue permanent afin de ne pas laisser les opérateurs seuls. Ainsi le redimensionnement de certaines interconnexions téléphoniques insuffisantes a été opéré, et les grands utilisateurs, les OTT - Over The Top - ont pris leurs responsabilités, à l'invitation de la Commission européenne et du Gouvernement. Sur ce dernier point, nous ne disposons pas aujourd'hui de bilan qui nous permette de rendre compte de l'efficacité des mesures qu'ils ont prises. Nous avons obtenu une réduction de 25 % du débit de certains OTT comme Netflix via des changements de formats dans les réseaux, mais nous n'avons pas constaté pour autant de baisse significative en volume. Par ailleurs, certains usages, les téléchargements en particulier, échappent aux pics de consommation et ne sont pas inclus dans le dialogue entre OTT et opérateurs.

Un effort a donc bien été fait, mais je ne peux dire aujourd'hui s'il a été efficace ; nous devrons l'étudier sur un plus long terme. D'autres mesures auraient peut-être pu être prises pour renforcer le dialogue. Ainsi, le report du démarrage de Disney + de deux semaines n'a, semble-t-il, pas permis un changement d'architecture technique chez les opérateurs, qui craignaient que les flux n'empruntent des chemins difficiles à optimiser. Une analyse ex post est donc nécessaire pour apprécier la proportionnalité de cette mesure, mais, face à la crise, il fallait prendre des décisions en urgence, à partir de ce que nous savions.

Il est également difficile de mesurer l'effet de la responsabilisation du grand public. Plusieurs messages ont été diffusés à son intention, afin de consolider les réseaux mobiles 4G. Aujourd'hui, la fragilité se trouve au niveau de la boucle locale, dans le dernier kilomètre : les réseaux fixes sont solides parce qu'ils sont spécifiques à chaque individu, alors que les réseaux mobiles sont partagés. Ainsi, beaucoup de sollicitations sur la même cellule risquent de ralentir le réseau.

Comment accompagner les opérateurs ? Faut-il augmenter les fréquences, les réorganiser pour mieux optimiser leur utilisation, voire éteindre certaines technologies, comme la 3G ? Il faudra sans doute aussi mutualiser davantage le réseau 2G, par exemple. Ensuite, il faut améliorer la collecte. Sur ce point, nous avons longtemps fait confiance aux opérateurs, nous avons accru la pression avec le New Deal mobile, et, pour le contrôle des obligations qui en découlent, nous devrons être exigeants, car les augmentations de trafic restent fortes et le dimensionnement du réseau doit suivre.

Sur l'importance du numérique et les inégalités territoriales, votre commission nous alerte régulièrement, et j'en ai fait la priorité de mon mandat. Avant la crise, l'investissement du secteur des télécoms était passé de 7 milliards d'euros au début des années 2010 à 10 milliards d'euros par an en 2018 et les chiffres de 2019, que nous rendrons publics fin mai, seront conformes à cet ordre de grandeur. Le marché se déployait et la mobilisation était forte sur la fibre, avec un record de 4,9 millions de lignes optiques déployées l'année dernière. En ce qui concerne le mobile, le déploiement massif de la 4G s'est généralisé : 95 % des sites existants, en dehors de ceux relevant des dispositifs propres aux zones blanches, ont basculé en 4G. J'ai, bien sûr, à l'esprit les 5 % restants et les zones non couvertes.

Notre stratégie, consistant à nous appuyer sur un marché fort qui investit beaucoup, a fonctionné. Des dispositifs publics doivent maintenant faire en sorte que le marché satisfasse des objectifs d'intérêt général, c'est le sens du New Deal mobile. Il faut également une mobilisation forte sur tout ce qui ne peut être servi par le marché, c'est la logique des réseaux d'initiative publique (RIP).

Cette dynamique peut-elle se poursuivre ? Je vais être un peu solennel : les pouvoirs publics ont fait le choix de s'appuyer fortement sur le marché pour déployer les réseaux ; le marché doit être responsable à l'égard de ce choix, que je continue à considérer comme pertinent, car il s'appuie sur une alchimie vertueuse entre public et privé permettant de pousser les forces du marché vers l'intérêt général. Aujourd'hui, les opérateurs s'en sortent plutôt plus confortablement que le reste de l'économie, malgré des difficultés opérationnelles : ils fonctionnent par abonnement et la crise limite les changements d'opérateur. Nous attendons donc d'eux qu'ils soient au rendez-vous de leurs responsabilités. Nous saluons les nombreuses initiatives qui ont été prises, les avances de trésorerie concédées aux PME sous-traitantes, les fonds de soutien créés, mais j'attends, notamment des quatre grands acteurs du secteur, qu'ils soutiennent, s'il le faut à bras-le-corps, le tissu de PME de la filière. Il faut éviter que la reprise ne soit ralentie parce qu'on aurait laissé se démanteler ce tissu que nous avons construit tous ensemble. Je les appelle à aller très loin dans leur soutien à cet écosystème, parce que l'après va être très exigeant sur la connectivité. Les réseaux sont essentiels, nous sommes tous impressionnés par la mobilisation des agents de terrain, mais tous, également, émus par les chiffres inquiétants de ceux qui ne sont pas connectés. Nous constatons combien, en situation de confinement, l'absence de connexion est un facteur d'exclusion massif. Les opérateurs doivent donc jouer pleinement leur rôle et permettre une reprise très rapide des déploiements.

Entre 1997 et 2020, nous avons construit un modèle gagnant dans lequel le marché a pu répondre aux objectifs d'aménagement du territoire et je ne suis pas favorable à la remise en place de monopoles publics pour créer des réseaux, mais il faut que les grands acteurs se montrent très responsables. L'Arcep est chargée du contrôle du respect de leurs engagements en matière de déploiement et elle sera très exigeante. Nous tiendrons, certes, compte des contraintes, mais les engagements des opérateurs ont une valeur juridique : nous nous assurerons que les retards soient proportionnés et justifiés et nous imposerons, le cas échéant, un nouveau calendrier portant des mises en demeure. Sur le mobile, nous aurons un premier rendez-vous au mois de juillet, quand devront être mis en service les premiers sites du dispositif de couverture ciblée du New Deal mobile. Sur le fixe, avec M. Julien Denormandie, Ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et les opérateurs de la zone AMII, nous devrons nous mettre autour de la table pour fixer des calendriers, sans doute à la rentrée.

Je suis très sensible à vos propos sur l'Arcep, Monsieur le Président, les réseaux sont un bien commun qui a besoin d'une autorité présente pour garantir que les forces qui concourent à son fonctionnement aillent dans le sens de l'intérêt général. Nous ne sommes toutefois pas naïfs : ce secteur porte de grands enjeux économiques et politiques. La gouvernance de la régulation doit donc garantir notre capacité à jouer notre rôle. Cela se joue sur deux plans. Le premier est notre pouvoir de sanction ; M. Chaize a déposé une proposition de loi pour le mettre à jour, nous accueillons positivement l'idée d'une consolidation et nous sommes à la disposition du Sénat pour en discuter. Le second est notre gouvernance ; nous y tenons jalousement, parce que toute modification nous fragiliserait. À ce titre, dans le cadre du projet de loi sur l'audiovisuel, nous sommes fermement opposés à l'idée de changer la composition du collège de l'Arcep avec l'introduction d'une personnalité désignée par la future autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qui succèdera au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Nous collaborons avec le CSA, mais modifier la gouvernance de l'Arcep ne nous semble pas souhaitable, car cela nous fragiliserait.

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