En matière de sobriété numérique, nous sommes en train de faire notre révolution : intégrer la question environnementale n'était pas intuitif pour nous. Après le Grenelle de l'environnement, la loi nous a confié un objectif général de sobriété, mais sans nous donner d'instrument concret. Nous menions donc sur le sujet un travail de veille peu actif. Nous voyons aujourd'hui monter cette question, y compris dans le cadre de l'arrivée de la 5G. Elle doit être une préoccupation forte pour nous, dans la continuation de notre manifeste Les réseaux comme bien commun et nous devons donc nous armer sur ce sujet. Ma culture d'ingénieur me dicte de disposer d'informations avant d'agir ; aujourd'hui, celles-ci sont parcellaires et insuffisantes, avec beaucoup d'agrégats généraux, alors qu'il nous faut une connaissance très fine. Des ordres de grandeur ont été dégagés : 50 % de l'impact environnemental est le fait des terminaux, 25 % des OTT et des serveurs et 25 % des réseaux de télécoms. Parce que nous avons besoin d'une connaissance plus précise de cette dernière brique, nous avons modifié notre collecte d'information annuelle, de manière à demander la consommation par opérateur à l'intérieur de chaque couche de réseau et, ainsi, de dialoguer avec les opérateurs pour comprendre où se trouvent les marges de manoeuvre. Certes, les individus sont responsables, mais, selon moi, la première responsabilité repose sur les grandes entreprises. Certaines d'entre elles sont très engagées, il faudra engranger leurs initiatives sans nécessairement adopter une logique coercitive. Nous en sommes aujourd'hui à la construction de la connaissance, nous ne ferons donc pas de préconisations à ce stade. Nous verrons si nous pouvons collecter des bonnes pratiques afin de les généraliser, notamment dans le mobile, en matière d'utilisation des bandes de fréquence. Pour l'instant, je ne souhaite pas entrer dans une logique régulatoire.
La question des usages est une question de société qui nous dépasse. Notre mission est de permettre aux Français de communiquer le plus librement possible. De ce point de vue, les forfaits illimités sont un must. Nous recherchons un développement des usages neutre, car la société en est dépendante. La sobriété numérique ne doit donc pas être synonyme de restriction de ces usages, ce qui ne serait pas un bon message dans la société de la connaissance.
En revanche, il faut d'abord imposer la sobriété numérique aux entreprises, et il y a, de ce point de vue, beaucoup à faire au niveau des OTT et des terminaux. L'Arcep milite donc pour une extension de la régulation des télécoms aux terminaux, car, à défaut, 50 % du problème nous échappe, alors même que la question de l'obsolescence programmée montre bien que ceux-ci jouent un rôle très important.
En ce qui concerne les utilisateurs, la société est prête, mais la sobriété doit être décidée par les individus et non par l'État. Nous entendons donc mettre en place une régulation par la data : afin de permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés, nous travaillons sur des outils de comparaison et d'information sur la consommation énergétique des usages. Un article de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire contraint les opérateurs à apposer la consommation énergétique sur la facture, mais il nous semble plus efficace de passer par un tiers certifiant les informations, ainsi que de mettre ces informations à disposition de l'utilisateur dans les OS des terminaux eux-mêmes. Des outils qui rendent ce service existent d'ailleurs déjà, comme Mobile Carbonaliser. Pour que la sobriété de l'utilisateur puisse être placée entre ses propres mains, celui-ci doit disposer des informations nécessaires et l'Arcep a déjà produit ce type d'informations avec les cartes de couverture des réseaux mobiles et de connexion internet, démontrant que la régulation par la data fonctionnait. Cela nous semble être la bonne réponse. Nous ne militons donc pas pour réviser la neutralité du net, qui nous semble rester un principe essentiel de la gouvernance des réseaux. Le remettre en cause serait aller à contresens de l'histoire.
S'agissant de StopCovid, l'Arcep n'a pas été saisie officiellement par le Gouvernement parce que les questions posées relèvent du respect de la vie privée, qui est du ressort de la CNIL. L'Arcep s'intéresse, certes, à la protection de la vie privée par les opérateurs, mais StopCovid ne passera pas par eux. Néanmoins, nous sommes en contact avec le Conseil national du numérique, qui a été saisi par le Gouvernement, et nous participons au débat sur la confrontation entre le Gouvernement et Apple à propos de la nouvelle API que cette entreprise prévoit de se réserver. Cette confrontation s'inscrit dans une réflexion sur la neutralité des OS. Aujourd'hui, ceux-ci dictent leur loi, ce qui pose problème et porte atteinte à la liberté des utilisateurs comme à la souveraineté des États. Nous proposons donc la mise en place d'un arbitre qui puisse questionner les OS, déterminer si les restrictions mises en place sont légitimes et forcer l'ouverture de certaines fonctionnalités, le cas échéant. Nous retrouvons un peu la philosophie de la neutralité du net : ce sont les utilisateurs qui doivent décider de ce qu'ils peuvent utiliser, et non un organe central, public ou privé, érigé en juge des usages.