Intervention de Alain Legrand

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 20 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Legrand président de la fédération nationale d'accompagnement des auteurs de violences fnacav

Alain Legrand, président de la Fédération nationale d'accompagnement des auteurs de violences (FNACAV) :

Oui bien sûr, la prise en charge ne suffit pas à chaque fois à arrêter la violence. Dans la plupart des cas, la prise en charge permet de faire cesser les violences physiques, mais pas forcément les violences psychologiques. Pour certaines personnes, les insultes font partie de la vie « normale » car elles ont été construites comme cela et continuent de la même façon dans leur propre famille.

Le terme de « pervers narcissique » ne me satisfait pas totalement et il est particulièrement difficile de traiter ces cas. Certaines personnes ont des éléments de perversité qui se réfèrent à la jouissance dont j'ai parlé. En revanche, lorsque la totalité de la structure de la personnalité n'est pas soumise à des processus pervers, il y a moyen de travailler, de mettre en oeuvre une prise en charge.

La catégorisation établie par le Docteur Coutanceau renvoie plutôt à des éléments psychopathologiques liés à des traits de personnalité. Les différentes catégorisations ne sont pour autant pas contradictoires les unes avec les autres, voire se complètent mais pour notre propos, nous avons besoin d'enrichir le registre clinique par des éléments plus articulés aux violences. La distinction entre auteur de violences et homme violent permet de distinguer ceux avec qui nous avons le plus de chance de pouvoir travailler. En ce sens, le caractère pervers est une contre-indication à un travail thérapeutique.

L'auteur de violences ne peut pas être réduit à sa violence. Il est capable d'amour, de compassion, de sympathie et d'empathie, l'empathie étant un des plus grands freins à la violence : quand vous avez mal pour l'autre, vous ne pouvez pas lui faire de mal (sauf dans un seul cas de figure, qui est le sadisme). Il y a beaucoup de sadisme chez les hommes violents. Les registres de la domination et de l'emprise sont toujours liés au sadisme et à la haine.

L'auteur de violences ne s'inscrit pas dans le registre de la dévalorisation systématique de l'autre, il ne se situe pas dans ce registre de violence sadique, mais dans celui de l'agressivité. Sa violence reste limitée, même si ses actes agressifs peuvent revêtir un caractère dangereux. Sa violence est plutôt contextuelle : elle renvoie souvent à une perte de contrôle liée à des fragilités psychologiques - le manque de confiance en soi et l'angoisse de l'abandon étant les plus communes. Ce qui conduit ces hommes à la violence, c'est leur propre souffrance et leur tendance à « rendre le mal pour le mal », ce qui fait baisser la tension, mais c'est seulement pour quelques instants...

L'auteur de violences base sa relation à l'autre sur le besoin situé dans le registre du vital (« si l'autre n'est pas avec moi, je vais mourir »), et non pas dans celui du désir, où l'autre peut exister indépendamment de soi. Nous allons donc travailler sur cette notion d'attachement et ces angoisses d'abandon, de perte d'amour, qui sont des angoisses archaïques sous-jacentes motivant la violence.

Chez les hommes violents, la violence est permanente. L'homme violent n'a pas besoin d'exprimer sa violence physiquement. Il lui suffit d'un regard pour terroriser sa victime. On retrouve souvent chez ces hommes des personnalités narcissiques, psychopathiques ou perverses. La violence fait partie intégrante de leur façon d'être, elle n'est pas contextuelle mais structurelle. C'est leur sentiment de toute-puissance et de jouissance qui les pousse à mépriser l'autre, à le contraindre et à l'assujettir. Nous n'avons malheureusement aucun moyen d'action sur ces comportements, sinon d'enfermer les auteurs pour éviter qu'ils ne fassent du mal à l'autre.

Notre structure était l'année dernière au bord de la fermeture. Du fait du Grenelle, nous avons été enfin entendus et nous avons reçu des moyens pour exister. Aujourd'hui, la Fédération opère en partenariat avec le ministère de la justice et le secrétariat d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes. Certains mouvements contestent notre action et les moyens financiers qui nous sont attribués, car ces structures considèrent comme essentielle l'aide aux victimes. Elle est essentielle mais insuffisante, et j'objecterai que 60 000 euros pour sauver ne serait-ce qu'une femme, ce n'est pas excessif !

Je ne sais pas quels vont être nos moyens par la suite, mais je suis confiant. Nous allons vraisemblablement pouvoir engager des actions à l'échelle nationale. Il y a des disparités importantes sur tout le territoire : certaines structures n'interviennent qu'auprès des justiciables, certaines régions ne disposent d'aucune structure... Il y a du travail en perspective !

La question de l'hébergement des auteurs de violences reste prégnante. Certains se retrouvent à la rue, parfois sans papiers, ce qui peut les entraîner à considérer qu'ayant tout perdu, ils n'ont plus rien à perdre. Pour éviter ces situations désespérées et désespérantes, il faut proposer des hébergements ; cela me semble très important pour prévenir les situations de violence et les féminicides. Car c'est, dans la plupart des cas, la non-acceptation de la séparation qui conduit au féminicide. Notre réponse permettra peut-être d'éviter de tels drames.

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