Intervention de Didier Mandelli

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 29 avril 2020 : 1ère réunion
Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2020 — Communication de m. hervé maurey président et des rapporteurs en visioconférence

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli :

La loi pour un nouveau pacte ferroviaire, que nous avons adoptée il y a bientôt deux ans, a acté une profonde réforme du système ferroviaire français en prévoyant notamment son ouverture à la concurrence, à compter de 2021 pour les services librement organisés, et de décembre 2019, de manière facultative, puis de décembre 2023, de manière obligatoire, pour les services conventionnés.

Comme nous l'avions évoqué à l'occasion de la table ronde sur les enjeux du nouveau pacte ferroviaire l'année dernière, la réussite de cette ouverture à la concurrence est en grande partie tributaire d'un certain nombre de textes d'applications prévus. Ces textes, qu'il s'agisse d'ordonnances ou bien de décrets, sont également de nature à donner de la visibilité aux différentes parties prenantes en amont de l'ouverture à la concurrence.

À ce jour, 96 % des mesures attendues ont ainsi été publiées, dont des textes particulièrement structurants dans la perspective des futures échéances. Je pense par exemple au décret concernant la transmission des données relatives aux services faisant l'objet d'un contrat de service public, à celui relatif à aux redevances d'infrastructures liées à l'utilisation du réseau ferré, ou encore à l'ordonnance relative à la gouvernance de la « nouvelle SNCF ».

Le contenu de certains de ces textes suscite toutefois des inquiétudes. Je pense en particulier à l'ordonnance qui définit la nouvelle architecture du groupe SNCF. L'Autorité de régulation des transports (ART) a émis de vives réserves quant à certaines dispositions prévues, notamment sur la composition du conseil d'administration de SNCF Réseau, qui compte un tiers de membres nommés sur proposition de la société nationale SNCF, et sur la capacité de blocage de ces membres sur certaines décisions. Pour le régulateur, ces dispositions sont susceptibles de porter atteinte à l'indépendance de SNCF Réseau, qui constitue pourtant une condition sine qua non de la réussite de l'ouverture à la concurrence.

Au-delà des textes qui ont déjà été publiés, il convient de souligner que certaines mesures d'application doivent encore être prises. À l'approche des futures échéances d'ouverture à la concurrence, et alors que les entreprises ferroviaires rencontrent d'importantes difficultés, il est crucial de leur donner de la visibilité pour l'avenir.

L'achèvement du cadre social de la réforme, en particulier, est nécessaire. La loi pour un nouveau pacte ferroviaire prévoyait à son article 32 une habilitation à légiférer par ordonnance afin de favoriser le développement de la négociation collective au sein de la branche ferroviaire et de tirer les conséquences de l'absence de conclusion d'accords collectifs. À la suite de l'expiration du délai d'habilitation, un article de la loi d'orientation des mobilités a renouvelé cette habilitation. Or, après l'échec de l'accord de branche sur les classifications et les rémunérations en février dernier, le Gouvernement n'a pas encore recouru à cette possibilité.

Un autre texte très attendu - qui ne relève pas directement de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire mais qui est essentiel pour stabiliser le paysage de demain - est le décret sur le transfert de certaines petites lignes aux régions, en vertu de l'article 172 de la LOM.

Enfin, la réussite de la mise en oeuvre de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire est également liée à d'autres facteurs, et notamment à la trajectoire financière de SNCF Réseau. Si un décret d'application de la loi publié en décembre 2019 précise les modalités d'application de la nouvelle « règle d'or » pour le gestionnaire d'infrastructure, le régulateur considère que ce dispositif ne suffit pas, à lui seul, à garantir son redressement économique. Il est en outre important que cette règle d'or ne se traduise pas par une pénalisation du renouvellement, de la modernisation et du développement du réseau ferroviaire. Or, dans le contexte actuel, SNCF Réseau est privée d'importantes ressources liées aux péages ferroviaires.

Lors de son audition par la commission il y a deux semaines, Jean-Baptiste Djebbari a indiqué que sa trajectoire financière devrait être révisée, de même que le calendrier et la priorisation des travaux. Aussi, alors que l'actualisation du contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau devrait intervenir d'ici l'été, nous devrons être particulièrement attentifs à ce que ses recettes soient sécurisées. Il sera en outre important que ce contrat soit cohérent avec le contrat pluriannuel prévu par la loi entre l'État et la filiale chargée de la gestion unifiée des gares.

Contrairement à la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, la LOM, qui a été promulguée il y a quatre mois seulement, n'est encore que très partiellement applicable. 127 mesures d'applications sont attendues au total, dont 18 habilitations à légiférer par ordonnance. Or, à ce jour, n'ont été publiés qu'une ordonnance relative au permis d'armement et aux fouilles de sécurité des navires, ainsi que deux décrets, dont l'un adapte l'organisation et le fonctionnement de la Société du Canal Seine-Nord Europe à son nouveau statut d'établissement public local et l'autre définit un contrat type pour les auto-écoles.

Des volets importants de la loi ne sont donc pour l'instant pas applicables, ou seulement partiellement, qu'il s'agisse du cadre de l'ouverture des données de mobilité, du forfait mobilités durables, de l'encadrement des relations entre les plateformes de mobilité et des travailleurs, du verdissement des flottes de véhicules des entreprises, ou d'un certain nombre de mesures relatives au développement du vélo.

Le Gouvernement visait initialement un objectif de publication des décrets d'application ambitieux, puisque la majorité de ces mesures devait être publiée avant l'été 2020. Comme vous l'imaginez, la crise sanitaire, qui a perturbé l'organisation du ministère et réorienté une partie de ses moyens sur la gestion de l'urgence, engendre un retard dans la préparation de ces mesures d'un à deux mois au moins, d'autant plus que les acteurs des transports qui sont consultés sur leur rédaction sont eux aussi pleinement accaparés par la crise.

Le ministère s'efforce toutefois de maintenir le calendrier de publication de certaines mesures importantes, afin de respecter les échéances prévues par la loi. C'est le cas par exemple du décret relatif aux zones à faibles émission mobilités, qui doit impérativement être pris dans les prochains mois puisque la LOM rend obligatoire la mise en place de telles zones avant le 31 décembre 2020 sur les territoires qui ne respectent pas de manière régulière les normes de qualité de l'air. Un projet de décret a été finalisé et soumis à consultation à la fin du mois de mars.

D'autres projets de décret ont été finalisés, comme ceux relatif au forfait mobilités durables et au transfert de la gestion des petites lignes ferroviaires. Au total, d'après le Gouvernement, une quarantaine de mesures d'application sont actuellement soumises à consultation, en cours d'examen par le Conseil d'État ou en cours de signature.

Je vous informe également de la publication d'un arrêté sur un sujet dont nous avions débattu dans l'hémicycle à l'initiative de notre collègue Patrick Chaize, qui encadre les conditions de transformation des véhicules thermiques en véhicules électriques. Il permet qu'une telle transformation soit réalisée sur les véhicules de plus de cinq ans sans que l'accord préalable du constructeur soit nécessaire, ce qui répond à la demande que nous avions exprimée.

Au-delà du retard de parution des mesures d'application, la crise a deux impacts importants sur la mise en oeuvre de la LOM, qui pourraient mettre à mal son objectif de développer des services de mobilité sur l'ensemble du territoire, et en particulier dans les territoires qui en sont actuellement dépourvus.

Le premier impact concerne la prise de compétence « mobilité » par les communautés de communes. Vous le savez, et c'est l'une des mesures de phare de la LOM, les communautés de communes devaient initialement délibérer sur le transfert de cette compétence avant le 31 décembre 2020.

Afin de tenir compte du report du second tour des élections municipales, et de son incidence sur la constitution des exécutifs locaux, une ordonnance du 1er avril dernier a repoussé cette échéance au 31 mars 2021, sans pour autant reporter l'échéance de la prise effective de compétence, qui reste fixée au 1er juillet 2021.

Malgré ce report, et quand bien même le scrutin municipal pourrait avoir lieu à l'automne, il est à craindre que de nombreuses communautés de communes ne disposeront pas du temps nécessaire pour délibérer en étant pleinement éclairée sur la question avant le 31 mars 2021. Un nouveau report de cette échéance pourrait donc s'avérer nécessaire, sans quoi il est à craindre que les régions deviennent autorités organisatrices par défaut dans un grand nombre de territoires.

Le second impact, qui est étroitement lié au premier, concerne les ressources des autorités organisatrices de la mobilité. La crise impacte en effet fortement les recettes des collectivités, dont le versement mobilité (VM) qui pâtit de la réduction de la masse salariale. La commission des finances du Sénat, en lien avec les acteurs du secteur, a évalué la baisse du VM entre un et deux milliards d'euros, montant auquel s'ajoutent les pertes de recettes commerciales des opérateurs de transport qui s'élèveraient à 400 millions d'euros par mois de confinement, et qui remettent en cause l'équilibre économique des contrats de transport.

Cette baisse de ressources pourrait entraîner une dégradation de l'offre de services de transports. C'est pourquoi les associations de collectivité compétentes en matière de transport ont écrit au Gouvernement pour demander que cette baisse soit neutralisée. C'est une demande que je soutiens bien entendu : il est impératif que le prochain projet de loi de finances rectificatives comporte des dispositions permettant de sécuriser les ressources des AOM et préserver l'offre de transport public.

J'ajoute pour terminer que la crise ne doit pas remettre en cause et retarder la mise en oeuvre des nombreuses dispositions favorables à l'environnement de la LOM, notamment celles qui ont été introduites par le Sénat.

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