Intervention de Geneviève Chène

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Geneviève Chêne directrice générale de santé publique france en téléconférence

Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France :

Santé publique France intervient en particulier dans trois domaines : la surveillance épidémiologique, la promotion de la santé et la réponse à l'urgence sanitaire. En matière de surveillance épidémiologique, l'agence assure notamment la surveillance de la grippe chaque hiver et produit un ensemble d'indicateurs en ville et à l'hôpital. Sa mission dans la promotion de la santé la conduit à gérer un certain nombre de dispositifs emblématiques tels que le « moi(s) sans tabac » en novembre.

Dans le cadre de la crise sanitaire liée au covid-19, le dispositif a d'abord reposé sur la surveillance et la mesure de l'impact de l'épidémie, non seulement dans sa dimension infectieuse, mais également ses conséquences sur l'ensemble des déterminants de santé et le recours aux soins pour d'autres maladies. Dans le domaine de la prévention, Santé publique France s'est beaucoup mobilisée sur la mise au point d'outils, tels que des affiches et des spots vidéo, destinés à limiter la transmission du virus et a porté une attention particulière au monitoring de l'adhérence aux gestes barrières. En l'absence de traitement ou de vaccin, les comportements individuels et collectifs sont cruciaux pour se protéger et protéger les autres.

La réponse à l'urgence sanitaire nous a conduits à mobiliser la réserve sanitaire qui a connu une augmentation d'activité majeure, et les stocks stratégiques gérés pour compte de l'État. La finalité de notre agence sanitaire est tournée vers l'amélioration et la protection de la santé de la population, à la différence d'autres agences plus axées sur la qualité et la sécurité des produits de santé.

Le 3 janvier 2020, la Chine avait rapporté 27 cas de pneumopathies à l'OMS apparus fin décembre 2020. Quatre jours plus tôt, les premiers échanges ont eu lieu avec la direction générale de la santé (DGS) du ministère des solidarités et de la santé, après une réunion au niveau international au cours de laquelle ces pneumonies ont été évoquées. L'organisation de l'alerte s'est rapidement mise en place pour que, dès le 10 janvier, soit mise en ligne une première définition de cas, diffusée par la DGS aux établissements de santé et aux professionnels de santé. En interne, Santé publique France mobilise l'ensemble de ses directions dans le cadre d'un programme transversal. Nous avons également mobilisé le centre national de référence (CNR) de l'institut Pasteur compétent dans ce domaine pour la mise au point de tests fondés sur la technique de RT-PCR (reverse transcription polymerase chain reaction) afin de diagnostiquer la présence du virus.

La mise en ligne d'informations sur le site débute le 14 janvier. Nous commençons à recevoir les déclarations de cas suspects testés par le CNR. Le 24 janvier, sont rapportés trois cas importés de Chine. Les premières enquêtes de contact tracing sont lancées avec les deux agences régionales de santé (ARS), l'ARS d'Île-de-France pour deux cas, et l'ARS de Nouvelle-Aquitaine pour l'autre, afin de freiner la diffusion du virus et de casser les chaînes de transmission à partir de la connaissance la plus rapide et réactive possible des cas et des contacts, et en mettant en oeuvre, le cas échéant, les mesures d'isolement nécessaires.

Le 26 janvier, nous produisons une première évaluation des scenarii possibles d'évolution de l'épidémie, en fonction du niveau de gravité d'une maladie pour laquelle nous ne disposons pas encore d'informations concrètes et très documentées, les principales venant essentiellement de Chine. Le 7 février est marqué par un tournant dans l'évolution de l'épidémie, avec un premier cluster identifié en Haute-Savoie à Contamines-Montjoie. Des moyens considérables sont alors déployés afin d'isoler les cas, tracer l'ensemble des contacts et définir des mesures de gestion qui se sont révélées efficaces, comme la fermeture des écoles pendant quinze jours. Aucun nouveau cas n'est recensé autour de ce premier cluster.

À la mi-février, de nouvelles données nous parvenant de Chine nous font évoluer dans notre scenario sur la base d'une gravité plus importante de la maladie. Un cluster plus important émerge, après un rassemblement, dans le Grand-Est. De manière concomitante se met en place une stratégie de tests plus ciblée sur les cas les plus graves et les professionnels de santé. Le système de surveillance est mobilisé pour recenser les cas confirmés, renseigner des indicateurs recueillis à l'hôpital et en ville -comme on le fait pour la grippe-, notamment au travers du réseau Sentinelles, et identifier les décès liés à l'épidémie.

Au début de la phase 3, le confinement est mis en place afin de maîtriser l'épidémie. Une stratégie limitée de dépistage biologique et une augmentation importante des hospitalisations, en particulier en réanimation, exigent que nous veillions à ce que la charge de l'épidémie sur le système de santé soit maîtrisée afin de faire retomber la pression. Les indicateurs du système de surveillance montrent que, pendant cette phase, l'épidémie a été maîtrisée, avec une diminution des prises en charge en réanimation et une diminution de la circulation du virus en ville. Dans la mesure où nous ne disposons pas de traitement ni de vaccin, cette crise sanitaire est appelée à durer.

L'impact de la crise sur d'autres maladies, en particulier du fait du moindre recours aux soins pour le suivi de pathologie cardiovasculaires et neuro-vasculaires, fait également l'objet d'une attention particulière. Des enquêtes sont en outre mises en place depuis le début du confinement afin d'évaluer les conséquences de la crise sur la santé mentale, avec une augmentation initiale de l'anxiété, des troubles du sommeil ou encore des phénomènes dépressifs.

Nous préparons désormais le déconfinement, en lien avec la mission interministérielle coordonnée par Jean Castex. L'idée est d'adopter une approche fine au niveau territorial, en se fondant sur le niveau de positivité des tests réalisés, ce qui suppose de déployer une politique large de tests.

Nous avons également contribué à l'élaboration du dispositif de contact tracing. La traçabilité des cas relève, au niveau 1, des médecins généralistes et des médecins traitants. Nous avons soutenu cette position : dans un contexte de suspicion de cas, le premier professionnel vers lequel il convient de se tourner est le médecin. Au niveau 2, le relais en matière de contact tracing sera pris par la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). À cet égard, nous pouvons saluer l'énorme travail de préparation réalisé dans des délais contraints par l'ensemble des acteurs, à la fois les généralistes et les personnels de la CNAM.

Au niveau 3, nous intervenons en cas d'identification de clusters, pour lesquels il importe d'identifier les cas et les contacts le plus tôt possible, afin d'être en mesure de les placer en quarantaine ou en isolement et de casser les chaînes de transmission, l'objectif étant que chaque cas contribue à moins d'un cas.

Nous avons fait un certain nombre de propositions dans le sens d'une intensification de l'adhésion aux gestes barrières, afin qu'elle devienne obligatoire dans certaines circonstances, s'agissant du port du masque.

Nous portons également une attention particulière à la nécessité d'atteindre l'ensemble des populations, particulièrement les plus vulnérables, en collaboration avec les associations et les organisations non gouvernementales (ONG) : nos documents sont traduits en 22 langues et nos vidéos sont sous-titrées en langue des signes.

Nous avons souligné quatre points clés à la mission interministérielle.

En premier lieu, l'accent sera porté sur le dépistage à grande échelle afin de détecter les cas. Nous proposions une fourchette de 500 000 à 700 000 tests par semaine. Le niveau finalement retenu se situe donc dans le haut de cette fourchette, avec l'objectif de tester largement tous les cas évocateurs.

En deuxième lieu, il s'agit de déployer une capacité d'investigation très réactive à grande échelle des cas et des contacts, impliquant l'ensemble des professionnels sur le terrain.

En troisième lieu, nous devons être en mesure d'assurer un monitoring étroit et de mettre en oeuvre des actions les plus bienveillantes possibles afin que chacun adhère aux mesures d'atténuation. Il convient d'accompagner les personnes isolées dans le cadre du contact tracing dans la mise en oeuvre de mesures proportionnées qui tiennent compte de la situation sociale de chacun.

Enfin, il importe de disposer d'un système d'information qui soit sécurisé, réactif et offre toutes les garanties de protection des données personnelles.

En matière d'analyse de la situation épidémiologique, un indicateur sera fourni chaque jour et discuté dans chaque territoire. Il est essentiel que le tableau de bord des indicateurs soit partagé par les ARS avec les territoires, au niveau des préfets et des élus locaux, en associant l'ensemble des acteurs. L'indicateur de positivité des tests est assez sensible aux changements et est confronté, dans les territoires, avec l'ensemble des données quantitatives recensées par les ARS et les cellules régionales de Santé publique France, ainsi qu'avec des données qualitatives, comme l'émergence de cas groupés dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Nous disposerons chaque jour de l'indicateur sur la proportion de tests positifs à partir du moment où le système d'information national de dépistage du covid-19 (Sidep) sera fonctionnel, qui reste une opération lourde pour en assurer la fiabilité. Il importera de continuer à observer l'ensemble des aspects liés à l'impact de l'épidémie sur la santé, au-delà du seul covid-19, en évaluant des déterminants de santé tels que la consommation de tabac ou d'alcool, le manque d'activité physique ou l'aspect nutritionnel.

Les médecins et autres professionnels de santé doivent continuer à prendre en charge les patients et ces derniers doivent eux-mêmes être en capacité de se rendre en consultation en observant toutes les précautions nécessaires pour être suivis. Cette période est clé pour limiter les effets de l'épidémie et les indicateurs de pression sur notre système de soins.

Nous restons donc très concentrés sur la maîtrise de l'épidémie ainsi que sur la surveillance d'autres aspects. Le confinement ne pouvant pas durer, la crise économique et sociale peut conduire à des inégalités de santé affectant les plus vulnérables dont il faut tenir compte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion