Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le sport a aujourd'hui le pouvoir, reconnu, de rapprocher les peuples et de promouvoir une forme de compétition positive et constructive, en tenant à l’écart les rivalités partisanes, voire violentes, trop souvent à la base des relations humaines. Oui, le sport peut et même doit apaiser les mœurs !
C’était du reste la volonté autant que l’espoir de Pierre de Coubertin lorsqu’il a donné un nouveau souffle aux jeux Olympiques. À ce propos, il convient, me semble-t-il, de raviver la flamme originelle, de maintenir et d’entretenir un tel état d’esprit, voire, dans certains cas et pour certaines disciplines sportives, de le restaurer.
En tout cas, c’est bien dans cette démarche que s’inscrivent les auteurs de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter au nom des membres du RDSE.
Faut-il rappeler à quel point le sport constitue non seulement un facteur de cohésion sociale, mais aussi un vecteur d’éducation et d’identité culturelle ? À mon sens, ce n’est plus à démontrer. Nous sommes tous très fiers lorsqu’un Français monte sur l’une des marches du podium, surtout si c’est la plus haute : nous sentons tous une très forte émotion nous envahir, et c’est alors un grand moment de communion nationale ! Mais tout cela n’a d’intérêt que si de telles victoires sont obtenues à la régulière, dans le respect de l’éthique et des valeurs sportives.
Plus largement, nous sommes tous très fiers lorsqu’un athlète, quelles que soient sa nationalité, ses croyances ou sa couleur de peau, accomplit une performance physique et sportive qui repousse encore un peu plus loin les limites du possible. Car le sport, qu’il soit pratiqué seul ou en équipe, demeure avant tout un défi à soi-même, un défi physique, mais également psychologique. Pratiquer un sport, c’est apprendre non seulement à se connaître, mais aussi à mieux connaître et respecter les autres.
Au-delà de tout esprit de compétition, au-delà de toutes les médailles que l’on peut collectionner et de tous les trophées que l’on peut brandir, l’essentiel est bien ailleurs ; mes chers collègues, vous connaissez la formule : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » L’essentiel, c’est d’être un homme le plus accompli possible, bien dans son corps, bien dans sa tête – mens sana in corpore sano » disait-on du temps des Romains –, en harmonie avec soi-même et avec ceux qui l’entourent. Voilà, madame la ministre, la première fonction du sport, et de très loin la plus importante.
C’est bien cette fonction sociale du sport qu’il faut réhabiliter, a fortiori dans une société en perte de repères. C’est pourquoi il ne saurait y avoir de sport sans éthique : ce serait un non-sens ! Sport et éthique sont consubstantiels ; devoir le rappeler aujourd’hui est bien la preuve qu’il y a un malaise qu’il ne nous est pas permis de nier.
Mes chers collègues, pratiquer une activité sportive, c’est entrer dans une formidable école de respect et de civisme. Le sport se trouve aujourd’hui, plus que jamais, au fondement même du « vivre ensemble ».
Ce sont justement ces fondamentaux que nous souhaitons restaurer, car on les trouve toujours au sein du sport amateur, certes, mais de moins en moins, hélas, au plus haut niveau. On a parfois l’impression que l’esprit de compétition, exacerbé par des enjeux financiers colossaux, vient dénaturer l’essence même du sport, au point que le législateur et le politique doivent intervenir et s’en mêler pour demander, comme on le dit dans un match, un « temps mort », provoquer une réflexion, une prise de conscience collective.
À l’instar de bien d’autres secteurs qui traversent une crise forte, le sport a selon moi besoin d’être, lui aussi, régulé, pour mettre un terme à certaines dérives qui sont inacceptables, car elles sont tout simplement contraires aux valeurs sportives. En effet, ces évolutions mettent en péril les fondements mêmes de notre société et jouent contre le sport lui-même.
Nous en convenons tous : le sport de compétition et les sportifs de haut niveau doivent pouvoir constituer un exemple et un modèle à suivre pour l’ensemble de la société, à commencer par notre jeunesse à qui l’on reproche si souvent manque de rigueur, manque de respect, manque de civisme et absence d’efforts. Aujourd’hui, du fait de l’hypermédiatisation du sport, les jeunes s’identifient totalement aux sportifs professionnels ou de haut niveau, devenus de véritables « dieux modernes », comme l’étaient les héros grecs de l’Antiquité.
Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : renforcer l’éthique du sport, c’est aussi panser les maux de notre société. C’est en cela, du reste, que nous défendons, au travers de notre proposition de loi, une cause noble et humaniste, tout comme nous l’avions fait voilà déjà un peu plus d’un an en permettant l’adoption par le Parlement du texte instaurant un service civique, lequel donne grande satisfaction sur le terrain, madame la ministre.
C’est dans la même démarche citoyenne, civique et humaniste que les sénateurs du RDSE se sont inscrits en déposant la présente proposition de loi, que nous examinons aujourd’hui.
Mes chers collègues, il est difficile de ne pas le constater, nous assistons à une véritable « crise des valeurs sportives ». Depuis plusieurs années, le problème du dopage entache le crédit du monde sportif.
Toutefois, il est loin d’être le seul fléau, hélas ! L’actualité sportive est régulièrement émaillée d’affaires qui viennent éclabousser la réputation de nombreux champions, tout en jetant l’opprobre sur l’ensemble d’une discipline. Cet opprobre se propage du haut vers le bas, du monde professionnel vers celui des amateurs, qui sont alors victimes des comportements irresponsables de ceux qui sont censés donner l’exemple.
Ces « affaires », qui concernent en premier lieu le dopage, sont particulièrement choquantes et consternantes, car elles salissent durablement l’image de certaines disciplines. Il n’y a pas de place pour les tricheurs dans le sport : ou l’on accepte une compétition « à armes égales », ou l’on déclare forfait, sans quoi la victoire ne vaut rien !
Évidemment, il n’y a pas que le dopage : la violence sur les terrains de sport et en dehors, le trucage de matchs, la corruption ou encore le racisme sont des phénomènes tout aussi choquants et, malheureusement, de plus en plus fréquents. Disons-le haut et fort à cette tribune : ils n’ont rien à voir avec le sport, ils n’ont rien à faire dans le monde sportif, ils sont contraires à toutes les valeurs de tous les sports !
Je n’entrerai pas dans le détail des dernières polémiques, notamment celle des « quotas » dans les centres de formation de football, car nous savons tous ce qu’il en est. D’ailleurs, il faut le dire, notre texte avait été déposé bien avant que n’éclate cette affaire navrante, qui n’aurait jamais dû voir le jour si nous connaissions un climat sain et apaisé ; elle est donc une preuve supplémentaire de la grave crise que traverse le sport.
Quoi qu’il en soit, l’actualité n’a jamais été aussi brûlante que ces dernières semaines, et l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de notre proposition de loi, issue de longs travaux internes de réflexion, n’en est donc que plus satisfaisante pour nous. Elle est l’occasion pour le Parlement, et d’abord pour le Sénat, d’adresser un message fort et sans ambiguïté en direction du monde sportif.
Nous avons fait le choix, délibéré, de déposer un texte qui prenne en compte diverses problématiques pour tenter, au mieux et au plus vite, de redorer le blason du sport en restaurant l’éthique dans ces activités et en renforçant les droits des sportifs. Nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, tant les attentes sont grandes, et nous avons conscience de ne pas résoudre tous les problèmes avec notre texte. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous faisons preuve d’humilité. Nous attendons donc beaucoup de la procédure parlementaire pour enrichir et améliorer, sensiblement sans doute, nos propositions. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons accepté de collaborer avec la commission de la culture et son excellent rapporteur, que je tiens à remercier particulièrement du travail accompli.
J’ai ainsi accepté plusieurs de ses propositions, qui ont dès lors pu être introduites dans notre texte lors de son examen en commission la semaine dernière.
En revanche, je n’ai pas pu donner mon accord à quelques-unes de ses propositions qui, bien qu’elles soient intéressantes, sont selon moi sans lien avec les objectifs visés par le texte.
Entendons-nous bien, mes chers collègues : notre proposition de loi n’a pas vocation à devenir un texte « fourre-tout » portant diverses dispositions sur le sport et les sportifs.
Notre but n’est pas non plus de mettre en accusation qui que ce soit. Nous proposons plutôt une série de dispositifs pratiques tendant, avant tout, à réintroduire l’éthique sur le devant de la scène sportive.
En effet, il est devenu intolérable que des messages négatifs de violence, de dopage, de non-respect des autres puissent être véhiculés par le sport.
Nous préconisons donc, tout d’abord, d’instaurer des règles de base et de réaffirmer les valeurs intangibles auxquelles le monde sportif, dans sa globalité, ne devrait plus déroger. Cette « remoralisation », si l’on peut dire, du sport passe, selon nous, par la rédaction, et surtout le respect, d’une « charte éthique ».
Notre idée est née tout simplement de la réussite de ce type d’initiatives prises par les fédérations dans certaines disciplines ; je pense particulièrement aux arts martiaux, qui ont joué le rôle de précurseurs, ou au rugby. Nous souhaitons donc, tout simplement, généraliser l’existence de ces chartes éthiques.
Les fédérations et les dirigeants sportifs ont un rôle majeur à jouer dans le respect d’une éthique sportive. Ils doivent être partie prenante, avec les sportifs et à leurs côtés. Je rappelle, car ce point n’est pas assez souvent souligné, que les fédérations sportives participent à l’exécution d’une mission de service public. Désormais, elles devront toutes se doter d’une charte de ce type, qui réaffirmera une série de valeurs, comme la solidarité, la loyauté, le respect de soi et des autres. C’est tout le sens de l’article 1er de ce texte.
Dans cette même logique de renforcement des pouvoirs des fédérations sportives, nous proposons, à l’article 3, d’élargir le rôle de celles-ci en matière d’édiction de mesures destinées à réguler leur discipline.
En effet, au vu de leur mission de régulation, les fédérations et les ligues se voient dans l'obligation d’adopter des règles relatives à l’environnement juridique, administratif et financier dans lequel se déroulent les compétitions sportives. Une évolution du code du sport concernant la définition des compétences des fédérations et des ligues nous paraît indispensable afin, notamment, de conforter cette capacité des organisateurs à définir et à faire appliquer les règlements.
Mes chers collègues, la disposition que nous vous proposons d’adopter permettra de sécuriser l’institution de la « licence club », sur le modèle de celle qui est accordée par l’UEFA pour la participation des clubs de football aux compétitions européennes. Ce système représente pour un projet clef cette institution, qui a pour objectif de renforcer la crédibilité du football.
Une telle démarche est, bien sûr, valable pour toutes les disciplines. Il s’agit de s’appuyer sur un ensemble de standards de qualité, que les clubs doivent remplir pour pouvoir participer à des compétitions et parmi lesquels figurent la transparence ou encore l’intégrité. Ainsi, une licence accordée sera le gage d’un certain niveau de qualité, synonyme de garanties juridiques et, par là même, d’éthique.
Par ailleurs, l’article 3 fixe un plafond salarial s’imposant aux clubs. Est principalement visé le monde du football, qui concentre la plupart des situations les plus extrêmes. On y découvre, par la presse, l’existence de contrats fabuleux.
Le constat est bien connu : tous les meilleurs joueurs sont concentrés dans une dizaine de clubs aux moyens financiers colossaux, dont la plupart, il faut le souligner, sont paradoxalement terriblement endettés.
La bonne gestion financière des clubs doit être un critère pour le respect de l’éthique sportive. Où est l’éthique quand un club remporte le Championnat ou la Coupe d’Europe alors qu’il connaît un niveau d’endettement record et que, dans le même temps, certains se privent des meilleurs talents pour que leurs comptes ne soient pas dans le rouge ? C’est une situation proprement scandaleuse !
Déjà pratiqué dans les principaux sports aux États-Unis, le salary cap, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a pour but de limiter la masse salariale de chaque club. J’avais d’ailleurs eu l’occasion, madame la ministre, d’en faire la promotion et d’en demander l’instauration en France dans un rapport sénatorial, que j’avais remis en 2004, intitulé Quels arbitrages pour le football professionnel ? Tout le monde se souvient sans nul doute de ce rapport remarquable…