Intervention de François Baroin

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 16 avril 2020 : 1ère réunion
Table ronde « les collectivités territoriales face à l'épidémie de covid-19 »

Photo de François BaroinFrançois Baroin, président de l'Assemblée des Maires de France (AMF) :

Nos échanges sont particulièrement utiles alors que nous sommes actuellement en première ligne. Je tiens à préciser que notre état d'esprit, ainsi que celui de la quasi-totalité des maires, est d'être à côté de l'État pour assurer la protection de la population, garantir que la peur légitime s'atténue progressivement et permettre aux pouvoirs publics de bien faire leur travail.

La question de l'ouverture sur l'avenir est très importante. Nous avons créé il y a deux ans, avec Dominique Bussereau et Hervé Morin - le prédécesseur de Renaud Muselier -, Territoires Unis, afin de pousser un cri collectif provenant d'une saturation. Nous disons depuis de nombreuses années que l'État, très amaigri, n'était plus en situation d'avoir cette ambition voire cette prétention d'être présent partout et en toutes circonstances. Il n'en a plus ni les moyens financiers ni les effectifs. Comme nous ne voulions pas basculer dans un modèle fédéral mais que nous souhaitions activer des forces centrifuges, nous avons décidé de créer cette association réunissant, pour la première fois de l'histoire de la décentralisation, les régions, les départements, les communes et les intercommunalités afin d'offrir une réflexion pour une grande et ambitieuse décentralisation. Cette grande ambition s'est caractérisée par l'envoi d'un courrier il y a dix-huit mois, adressé au Premier ministre, retraçant la méthode, les objectifs et le calendrier de notre projet. Ce courrier précisait les compétences attendues et le cadre de transfert qui leur est associé. Cela n'a rien à voir avec le projet de loi 3D qui nous est proposé aujourd'hui, dont le coeur traite avant tout de la déconcentration et a minima de la décentralisation. Sur la base de ce que tous les Français et tous les élus constatent actuellement, il n'y a pas d'autre choix que d'avoir pour ambition l'établissement d'une troisième grande loi de décentralisation.

Je considère que les régions ont réalisé un important travail de coordination durant cette crise. Elles doivent conserver la compétence relative au développement économique, récupérer celle liée à la formation professionnelle et évidemment à l'alternance et, à mon sens, récupérer une partie de la gestion de Pôle Emploi. J'émettais cette idée, qui peut sembler iconoclaste, avant la crise, et à la lumière de ce qui nous attend, à savoir la perte de centaines de milliers d'emplois ou l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA, le maillage territorial piloté par les régions pour accompagner les personnes en demande d'emploi doit être un axe important d'une nouvelle loi.

Les départements s'occupent de la solidarité qu'il s'agisse des établissements ou des prestations. À titre personnel, j'avais plaidé dans plusieurs discours que la santé devait elle aussi passer sous la coupe des départements. Il est incontestable que le système actuel, composé du ministère de la Santé et des ARS, a explosé en plein vol. Ce qui a été demandé aux ARS, sur le plan des réductions budgétaires notamment - et je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que j'ai moi-même participé à des gouvernements qui ont oeuvré à la création de ces ARS - est dans l'impasse. Ce système doit être revisité et une partie de la santé doit désormais être pilotée par les collectivités locales, comme par exemple l'investissement et la possibilité d'embaucher des médecins, d'accompagner des sages-femmes, des infirmières ou des aides à domicile.

Les communes et les intercommunalités devraient enfin également récupérer une partie des compétences de proximité dans le domaine de la santé, du tourisme, du sport, de la culture,... Nous appelons de nos voeux un « big bang » territorial. Nous plaidons pour cela depuis de nombreuses années, bien avant la crise des gilets jaunes. Le Président de la République s'est appuyé sur les maires à travers le grand débat et a repris une démarche décentralisatrice. Celle-ci s'est retrouvée dans la tuyauterie bureaucratique française et a abouti à un projet qui vole lui aussi en éclats à la lumière de la crise. Cette contreproposition d'organisation territoriale est fondamentale ; elle est d'ores et déjà un des enjeux de la crise que nous vivons.

Sur la question du déconfinement, un protocole de bonnes pratiques est la solution adaptée. Nous l'avions fait, en lien avec le ministère de l'Intérieur, pour la tenue du premier tour. Le protocole qui avait été proposé prévoyait la distanciation sociale, le marquage au sol, l'organisation du bureau de vote et l'ensemble des consignes de manière générale. Un tel protocole peut parfaitement être imaginé pour le déconfinement et est même indispensable. Nous avons déjà engagé des discussions avec le ministère de l'Éducation nationale. Je rappelle que l'éducation est nationale et non municipale mais que nous devons être associés, avec la question des parents, juste avant que les élèves arrivent à l'école et jusqu'à leur sortie, alors que les parents doivent les récupérer dans des conditions sanitaires stables, mais aussi pendant la journée lors de l'organisation des repas, des cours, des pauses,... Les enseignants et les parents d'élèves ont de nombreuses interrogations.

Sur l'urbanisme, un texte est passé récemment en conseil des ministres. Sans critiquer le Gouvernement, je ne peux que constater que ce texte ne nous arrange guère. Le Gouvernement souhaite relancer la filière du Bâtiment et des travaux publics (BTP) et donc réduire les délais d'inscription sur les actes d'urbanisme. Or nous sommes aujourd'hui en volume réduit avec un temps de latence et tout ne repose pas sur les collectivités locales. Les services de l'État, les Architectes des Bâtiments de France (ABF), les fouilles archéologiques sont autant d'acteurs à prendre en compte. La réduction du temps de latence exigée par le Gouvernement ne permettra donc pas de donner entière satisfaction sur tous les points.

Pour la relance économique, il appartiendra de dresser un état des lieux très précis. Aujourd'hui les estimations se situent entre 4 et 5 milliards d'euros mais les pertes seront sans doute bien plus importantes au final. Si l'on estime par exemple qu'à l'échelle européenne l'impact du Covid est de l'ordre d'un minimum de 10% du PIB européen, cela nous amène au niveau européen à 1 600 milliards d'euros de pertes. On nous annonce aujourd'hui 700 milliards d'euros. Donc, en appliquant un tel ratio d'évolution, les pertes attendues pour les collectivités peuvent atteindre probablement les 10 milliards d'euros à la fin de l'exercice. L'effondrement des recettes fiscales s'accompagne également d'un effondrement des recettes de nature autre que fiscale, baisse très difficile à estimer. Par ailleurs, les restaurateurs demanderont un effacement des droits de terrasse, les acteurs sportifs auront eux aussi des réclamations, etc. Notre examen de ce sujet vient de commencer et est donc loin d'être exhaustif sur ce point.

Concernant le processus électoral, nous avons eu un point important sur ce sujet avec le Premier ministre ce matin. Après le rapport des experts du 23 mai prochain, notre volonté, partagée et collective, est d'installer le plus vite possible tous les maires et les conseils élus au premier tour. Le plus vite possible nécessite l'envoi d'une convocation et le respect du délai de cinq jours francs a minima. Si les experts donnent leur aval dès le 23 mai, cela peut donc s'envisager au plus tôt fin mai, et au plus tard durant la première semaine de juin. Pour le second tour, il existe une grande différence entre le tenir en septembre 2020 et le reporter en mars 2021. Nous sommes, à l'unanimité, partisans d'une organisation solide et rapide de nos communes et de nos intercommunalités car, comme vous l'avez évoqué, 70 à 75% de l'investissement public national est porté par les collectivités locales. Or la relance se fera nécessairement par l'investissement public. Cependant, alors que l'État peut emprunter pour financer ses dépenses de toute nature, nous ne pouvons le faire que pour les dépenses d'investissement et non pour les dépenses de fonctionnement. Il va donc falloir traiter rapidement la question du transfert des dépenses de fonctionnement en investissement. Je suis très favorable également aux transferts entre budgets annexes et budget général.

Les maires, dans leur totalité, souhaitent que le second tour puisse se tenir dans les meilleurs délais. Néanmoins ils s'aligneront naturellement sur la proposition du Gouvernement sur la base du rapport des experts. Certains membres du Gouvernement plaident pour l'organisation du second tour dès juin. Mais il nous faut avant tout agir sur la relance économique. Le choix de geler, c'est-à-dire de considérer comme acquis les résultats du premier tour, est éminemment politique. Ce n'est pas le regard actuel du Conseil d'État au regard des jurisprudences passées. Nous sommes toutefois dans un cadre tellement atypique qu'en cas de consensus des élus et du Parlement sur ce sujet, le Conseil d'État pourrait adapter sa jurisprudence pour justifier d'un écart de six mois entre les deux tours. Cela serait plus délicat si le second tour devait avoir lieu en mars 2021. La sincérité du scrutin pourrait alors être altérée. Ce débat est loin d'être clos. Sur la question de la QPC, le Conseil d'État a en revanche conforté les résultats du premier tour, et il s'agit là d'une décision de bon sens. Geler les résultats du premier tour permet l'organisation de campagnes sur un nombre de jours bien plus restreint. Sur les quorums assouplis ou les procurations, nous avons soutenu les propositions formulées en la matière par le président Philippe Bas et la commission des Lois du Sénat. L'installation des conseils municipaux devrait donc être grandement facilitée.

Nous avions effectué une première commande de 6,5 millions de masques puis une nouvelle de 12 millions. 1,5 millions de masques sont arrivés hier soir à Saint-Étienne et sont actuellement stockés au siège social de Casino, comme nous nous sommes appuyés sur une de ses filiales pour la logistique. Les premiers masques devraient donc arriver très rapidement dans les différents territoires. L'AMF avance et passe les commandes, les communes et les intercommunalités intéressées indiquent le lieu d'affectation logistique et elles remboursent par la suite les commandes passées à l'AMF.

Notre grande ambition sur la décentralisation passe également par la question de la clause de compétence générale. Comment redonner des moyens à l'échelon local ? Cela passe par des transferts de compétences, de personnels et de crédits budgétaires, mais avant tout par un cadre général. Je pense donc que la question de la clause de compétence générale se posera, notamment pour l'efficacité des politiques publiques de proximité.

Je pense que le modèle de 2008 et de 2012 est pertinent pour l'adaptation du code des marchés publics. Les mesures mises en place avaient permis à Bercy à l'époque d'être à la manoeuvre sur la relance. Or cette relance passera aussi par une refonte du code des marchés publics pour faciliter les achats. Mais Bercy saura se souvenir des exemples passés.

Pour les EPCI, si le second tour est reporté au mois de mars, les choses seront très compliquées. L'alliance des anciens et des modernes peut tenir sans difficulté jusqu'au début de l'automne mais elle aura du mal à perdurer au-delà.

Enfin nous sommes très favorables à l'idée d'une « task force », proposée par le Président Jean-Marie Bockel.

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