Intervention de S.E. Juan Manuel Gómez Robledo

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 mars 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur le forum génération égalité de 2020

S.E. Juan Manuel Gómez Robledo, ambassadeur du Mexique en France :

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette table ronde.

Je poursuivrai les propos de Delphine O en vous présentant les objectifs du forum de Mexico. J'aimerais au préalable revenir en arrière, car avant la Conférence de Pékin, il y a eu la Conférence de Mexico en 1975. Il s'agissait de la première conférence de l'ONU sur les femmes.

En outre, le nouveau gouvernement mexicain, qui a pris ses fonctions il y a un peu plus d'un an, s'est doté depuis cette année d'une politique étrangère féministe, à l'instar de la France. C'est dans le cadre de ce renforcement de notre politique pour l'égalité des droits que nous participons au Forum Génération égalité.

L'année 1975 a été proclamée par l'ONU « Année internationale des femmes ». Nous avons accueilli lors de la Conférence de Mexico 133 délégations d'États membres des Nations Unies, dont 113 étaient dirigées par des femmes. Or à l'époque, le monde ne comptait que trois femmes cheffes d'État ou de gouvernement. La Première Ministre du Sri Lanka, Sirimavo Bandaranaike, a été la seule à se déplacer à Mexico. Indira Gandhi, Première Ministre de l'Inde, et Isabel Perón, Présidente de l'Argentine, étaient absentes. J'éprouve une certaine honte à rappeler que la Conférence de Mexico a été présidée par un homme... Il s'agissait d'un membre du gouvernement choisi par le Président de la République de l'époque, parce qu'il était inconcevable qu'une femme puisse présider la conférence sur les femmes ! Nous avons heureusement évolué sur ce sujet...

La Conférence de Mexico portait sur les trois priorités immédiates de l'époque :

- promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes et éliminer les discriminations basées sur le sexe ;

- favoriser la participation des femmes au développement des pays, une idée alors novatrice ;

- développer l'implication des femmes dans le renforcement de la paix internationale.

Ce dernier point a donné lieu, en 2000, à l'élaboration par le Conseil de sécurité d'une très importante résolution, intitulée « Femmes, paix et sécurité » (résolution 1325), à la mise en oeuvre de laquelle nous travaillons toujours.

La Conférence de Mexico a conduit à l'adoption par l'ONU d'une convention sur les droits des femmes6(*). Comme l'ambassadrice Delphine O l'a souligné, nous n'arriverions peut-être pas à la faire adopter aujourd'hui. La conférence a aussi créé la structure onusienne que nous connaissons, le Comité sur les droits des femmes et les autres instances qui en sont dérivées, comme l'agence ONU Femmes.

Nous avons lancé à l'époque la première décennie pour les femmes, dont le thème était « Égalité, développement et paix ». Nous avons également relayé un mouvement féministe porté par la société civile. Les ONG étaient peu nombreuses au Forum de Mexico. De grands progrès sont survenus dans les années suivantes et la société civile a apporté des contributions extraordinaires à la Conférence de Pékin, même si des mesures très strictes avaient été prises pour éloigner les ONG de la conférence. Leurs droits d'accès aux enceintes de discussion étaient très différents de ce que nous connaissons à l'heure actuelle aux Nations Unies où les États travaillent désormais sur un pied d'égalité avec la société civile.

Après Mexico, des conférences ont eu lieu à Copenhague en 1980, à Nairobi en 1985 et enfin à Pékin. La première réunion à Mexico a donc ouvert une voie. Toutefois, force est de constater que le compte n'y est pas, comme l'a dit Delphine O : le phénomène effrayant des violences à l'encontre des femmes est là pour le rappeler aujourd'hui.

Les débats que vous connaissez en France concernant, par exemple, l'inscription du mot féminicide dans le code pénal, ont également eu lieu au Mexique. Mon pays est - malheureusement - à l'origine de ce terme. Au plus haut niveau de l'État, la question de savoir si ce terme ne devrait pas disparaître du code pénal se pose, sous prétexte qu'il est difficile pour le pouvoir judiciaire de prouver que l'homicide a eu lieu parce que la victime était une femme. La suppression du féminicide serait selon moi une grande erreur politique. Le but du terme « féminicide » est de donner de la visibilité aux violences subies par les femmes. Une femme peut être tuée uniquement parce qu'elle est une femme.

Alors que nos sociétés connaissent des disparités en termes de développement économique, nous nous rejoignons dans ces débats parce qu'il y a des forces qui veulent nous faire revenir en arrière. C'est cela, le constat le plus grave : ces forces ne sont pas seulement présentes à l'ONU, qui n'est que la partie émergée de l'iceberg. Elles sont à l'oeuvre au coeur de nos sociétés, au nord comme au sud. J'ai cru pendant longtemps, dans une grande naïveté, que ce n'était le fait que de pays théocratiques ayant une vision très conservatrice, mais il ne s'agit pas de cela. Ces mouvements sont en action aussi au coeur de l'Europe.

Il nous faut donc contenir ces mouvements régressifs et oeuvrer simultanément pour accélérer les changements et réduire l'écart entre les sexes afin d'atteindre l'égalité réelle à l'horizon 2030.

Un nouveau thème concerne les jeunes filles, qui sont dans une condition de vulnérabilité encore plus grande qu'auparavant. Dans mon pays, nous assistons à un phénomène de violence à un âge où tous les espoirs de l'amour seraient permis. La violence survient dès la période des fiançailles, au sein de couples qui ont un projet de vie commune. La violence est présente à des âges encore plus bas qu'auparavant. Nous avons réformé nos lois et les jeunes filles de 14 ans n'ont désormais plus le droit de se marier, même avec l'autorisation des parents ou des tuteurs. Il faut attendre la majorité.

Le Forum de Paris et celui de Mexico sont portés par la société civile. Nous ne sommes que des facilitateurs du travail de cette dernière. Le forum est conçu comme une enceinte multipartite à laquelle prendront part le secteur privé, les parlementaires, les autorités locales et les organisations internationales.

Le Forum Génération égalité ne sera pas seulement l'occasion de fêter un anniversaire. Il permettra de se mettre d'accord sur ces six coalitions afin de favoriser la poursuite de l'action là où les progrès ont été insuffisants. Cela concerne les violences basées sur le genre, la justice et les droits économiques, cette seconde coalition sera présidée par le Mexique ; l'autonomie corporelle et les droits en matière de santé reproductive et sexuelle ; l'action pour la justice climatique ; les technologies et les innovations ; les mouvements et le leadership féministes.

Nous voudrions également que le forum ne soit pas une fin en soi, mais qu'il agisse comme le catalyseur d'un mouvement pour, d'une part, préserver nos acquis, et envisager la poursuite de notre action, d'autre part. La poursuite de notre action se base sur une alliance de pays de bonne volonté, d'États progressistes, face à une autre coalition qui se renforce, celle des États conservateurs. Il faut mener cette bataille avec tous les outils qui sont à notre disposition.

J'ignore ce qui se passera dans les semaines à venir à New York pour la réunion de la Commission sur le statut des femmes. La question de son report fait le jeu de tous ceux qui voudraient qu'elle n'ait pas lieu7(*). Il faudra en tout cas se battre sur tous les fronts, au-delà des Nations Unies, car ce combat concerne toutes les organisations. C'est pourquoi nous avons besoin d'une coalition d'États, dans le cadre de l'Alliance pour le multilatéralisme lancée par la France et l'Allemagne il y a un an, à laquelle mon pays s'est associé, pour poursuivre cette bataille dans toutes les enceintes.

Au Mexique, le 9 mars sera un jour de grève nationale des femmes. Les femmes ont décidé de faire grève pour montrer à quel point leur rôle est indispensable. Il ne m'appartient pas de dire si le mouvement sera suivi ou non. Personnellement, je l'espère car il faut prouver le rôle des femmes dans la société d'aujourd'hui. Je vous invite donc à regarder vos journaux télévisés lundi soir pour mesurer quelle aura été l'ampleur de ce mouvement.

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