Madame la présidente, je vous remercie d'avoir convié le HCE à cette table ronde.
Le HCE a élaboré à l'automne dernier une contribution pour les vingt-cinq ans de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin, afin de compléter le rapport de la France transmis à l'ONU et de faire entendre la voix de la société civile.
Ce rapport additionnel du HCE pointe les avancées et les progrès à réaliser en France pour mettre en oeuvre le Plan d'action de Pékin et pour atteindre les ODD en 2030.
Je centrerai mon propos sur la diplomatie féministe, qui est l'un des cinq domaines traités dans le rapport additionnel, rapport que vous pouvez trouver sur le site Internet du HCE.
Le HCE a également décidé de se saisir et d'approfondir la question de la diplomatie féministe et de réfléchir à sa signification, à son périmètre d'action, à ses objectifs et à ses critères parallèlement à l'évaluation qu'il doit mener de la Stratégie internationale de la France en matière d'égalité femmes-hommes. Ces travaux feront l'objet d'un rapport qui sera publié en juin 2020.
Le 25e anniversaire de la Conférence de Pékin est l'occasion de dresser un bilan des progrès et des défis en matière d'égalité femmes-hommes depuis 1995. Suite aux évaluations nationales et régionales, un bilan mondial a été réalisé par le Secrétaire général des Nations Unies. Ce rapport devait être présenté lors de la Commission de la condition de la femme la semaine prochaine.
Ce rapport mondial fait apparaître que les progrès sont en deçà de ce à quoi les États s'étaient engagés en 1995. Le rapport identifie des progrès, notamment sur l'abrogation des lois à caractère discriminatoire, sur la scolarisation des filles ou sur la santé avec une baisse du taux mondial de mortalité maternelle. Cependant, le rapport souligne aussi la stagnation et le recul à l'oeuvre dans certaines régions, notamment en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs. Des résistances sont apparues, visibles dans les négociations internationales actuelles. Il existe ainsi des difficultés pour obtenir l'inscription des questions de droits sexuels et reproductifs à l'agenda, comme en témoigne l'absence de ce sujet dans la déclaration politique qui vient d'être négociée et qui sera adoptée lundi 8 mars, lors de la journée unique de la 64e Commission de la condition de la femme.
Les autres domaines qui sont pointés dans le rapport mondial du Secrétaire général des Nations Unies sont notamment la persistance des violences de genre, la sous-représentation des femmes aux postes de décision ou encore la persistance du sexisme et des stéréotypes de genre. Le rapport souligne que les actions menées et les investissements n'ont pas été à la hauteur des engagements pris en 1995, avec seulement 4 % de l'aide publique au développement globale qui sont consacrés à l'égalité femmes-hommes en 2017, soit un niveau en baisse par rapport à l'année précédente. Les financements consacrés aux institutions en charge de l'égalité femmes-hommes et aux mouvements féministes sont insuffisants.
Dans ce contexte, quelles sont les implications pour une diplomatie féministe ?
Face aux résistances et aux mouvements contestataires de plus en plus structurés qui remettent en cause les acquis en matière d'égalité, l'engagement de la France en faveur d'une diplomatie féministe depuis 2018, à la suite de la Suède en 2014 et du Canada en 2017, présente une importance toute particulière. La France n'a pas encore donné de définition précise du concept de diplomatie féministe. Toutefois, l'objectif mis en avant, notamment dans la tribune conjointe du ministre de l'Europe et des affaires étrangères et de la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes en 2019, est de « décliner la grande cause du quinquennat à l'échelle internationale » et de « mener partout et tout le temps le combat de l'égalité ».
Plusieurs marqueurs ressortent de l'expérience suédoise et des premières analyses du HCE et permettent de caractériser une diplomatie féministe, parmi lesquels :
- les droits et l'égalité entre les femmes et les hommes, qui sont placés au coeur de la politique extérieure ;
- une vision transformative, qui cherche à modifier les structures inégalitaires du pouvoir ;
- la mobilisation de ressources financières conséquentes et pérennes au service de ces objectifs ;
- la participation des femmes et la parité dans la conception et la mise en oeuvre de cette politique.
Dans son rapport « Pékin+25 », le HCE soutient et reconnaît les efforts qui ont été effectués pour mettre en oeuvre une diplomatie féministe. Il souligne également les trois points ci-après.
Le premier point est la nécessité d'inclure dans le champ de la diplomatie féministe l'ensemble des domaines de la politique étrangère, y compris les domaines de la sécurité et de la défense, et les domaines économiques et commerciaux. À titre d'exemple, l'agenda « Femmes, paix et sécurité » devrait être partie intégrante de la « diplomatie féministe » et figurer à ce titre au coeur de certains dispositifs, comme l'Alliance Sahel dédiée à la sortie de crise dans cette région.
Le deuxième point porte sur la nécessité d'augmenter la part des financements consacrés à l'égalité femmes-hommes, et notamment la part de l'aide publique au développement marquée genre ayant pour objectif principal ou significatif l'égalité femmes-hommes. Cet objectif est de 50 % pour la France d'ici 2022. En comparaison, l'objectif européen est de 85 %. D'autres pays à diplomatie féministe ont également des objectifs plus élevés (près de 90 % pour la Suède). Afin de répondre aux objectifs d'une diplomatie féministe, il conviendra de veiller à ce que les enjeux d'égalité femmes-hommes soient inscrits au coeur de la nouvelle loi de programmation de l'aide publique au développement qui sera prochainement débattue au Parlement.
Le troisième point que nous identifions est la nécessité de renforcer la participation des femmes à la co-construction et à la mise en oeuvre de cette politique :
- sur le plan interne, en renforçant la parité. Aujourd'hui, la France compte 27 % d'ambassadrices et 25 % de directrices au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ;
- sur le plan externe, en associant et en soutenant de manière pérenne les associations féministes de terrain. Nous nous félicitons à cet égard de l'annonce de la création d'un fonds annuel de 120 millions d'euros par le Président de la République, rappelée par la secrétaire d'État à l'occasion de la remise du prix Simone-Veil de la République française.
Quelles sont les attentes qui découlent du Forum Génération égalité ? Précisons tout d'abord qu'il s'agit d'un événement diplomatique majeur, mais qui ne peut résumer à lui seul la diplomatie féministe, qui est fondée sur un travail dans la durée.
Le Forum Génération égalité devra être l'occasion de s'assurer d'une participation forte et d'une association des principales actrices concernées, à savoir les femmes et les mouvements féministes, à la co-construction de l'agenda et à l'événement lui-même.
En outre, nous espérons que le Forum débouchera sur l'adoption d'engagements concrets, financés et à visée transformative, et d'un dispositif de redevabilité de ces engagements.
Enfin, le Forum devra être l'occasion de se saisir de thèmes nouveaux ou insuffisamment portés. Nous saluons, à cet égard, la création de coalitions d'action dédiées aux enjeux de l'égalité dans les domaines de la transition écologique et aussi du numérique. Mais d'autres sujets doivent également être pris en compte à la hauteur de l'enjeu qu'ils représentent, comme l'agenda « Femmes, paix et sécurité », qui porte sur la participation des femmes aux processus de sortie de crise et de reconstruction, mais aussi la lutte contre l'impunité des auteurs de violences sexuelles dans les conflits. Il n'y a à ce stade pas de coalition d'action prévue sur ce sujet important, alors par ailleurs que nous célébrons également en 2020 le 20e anniversaire de cet agenda (résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies).
Les droits sexuels et reproductifs, enfin, qui étaient les grands absents du G7 en 2019, font l'objet d'une coalition prévue lors du Forum. Je vais laisser Christine Mauget préciser ce point.